Imágenes de páginas
PDF
EPUB

avoit obtenu un décret par lequel il étoit défendu à Dolet de rentrer dans Toulouse, & peut-être de demeurer dans l'étendue de la Jurifdiction de fon Parlement.

Malgré l'altération que toutes ces tracafferies avoient caufée à fa fanté, Dolet tourna fes pas vers Lyon. La chaleur de l'été, les incommodités des routes & fa foibleffe, lui rendirent une fievre dont il se croyoit guéri, & il fut obligé de s'arrêter quelques jours au Puy en Velay; néanmoins il arriva à Lyon le premier Août de l'an 1533, dans un état prefque défefpéré.

Son but, en s'arrêtant dans cette Ville, avoit été d'y faire imprimer, avec fa premiere Harangue contre Toulouse, une feconde plus violente, qu'il avoit compofée depuis fa fortie de prison; mais fa maladie lui en fit différer la publication (9). Cependant il alla voir en arrivant Sébastien Gryphe, Imprimeur célébre, à qui Jean Boyffonnée l'avoit adreffé. Voici le témoignage qu'il en rendit à cet ami : « J'ai été voir Séb. Gryphe, & je l'ai falué » de votre part : c'est un homme rempli » d'inclination à obliger, & qui eft bien

(9) Ibid. p. 125. 126. 127.

» digne de l'amitié des Savans. Il á montré beaucoup de fenfibilité lorfque je lui ai » annoncé votre bonheur, & que vous aviez >> recouvré votre charge. Il a voulu me rete»nir chez lui: mais reconnoiffant toute la

[ocr errors]

politeffe & la bonté de cet honnête-hom» me, je l'en ai loué & remercié; car je ne » voulois pas lui être à charge

[ocr errors]

La réfolution qu'il avoit prife, & dont il avoit fait part à fes amis de Toulouse, relativement à la publication de fes Harangues, ne fut point exécutée, foit qu'il n'ait pu résister au defir de fe venger, ou que réellement Simon Finetius, qui l'avoit accompagné jufqu'à Lyon, lui eût dérobé officieusement ses papiers, comme il en a fait l'aveu à Claude Cottereau leur ami commun; & il eft certain que dans le temps où Dolet rétablissoit fa fanté dans une Campagne auprès de Lyon, fes deux Harangues virent le jour avec quelques autres de fes Opufculés.

C'est dans ce rare & curieux volume que l'on peut lire tout ce que le reffentiment des offenses les plus graves a fait dire à un jeune homme bleffé dans l'endroit le plus fenfible. Forcé par les circonftances de dévorer fon chagrin & de fufpendre fa vengeance, il eut

le temps de travailler à fa feconde Harangue, & d'y entaffer les traits les plus mortifians. & les plus durs. On avoit provoqué par de mauvais traitemens, par des calomnies & des railleries outrageantes, fa haine & fon courroux; & quand il put fe livrer fans danger à toutes les paffions qui s'étoient allumées dans fon coeur, il fit connoître à fes ennemis que s'il les avoit ménagés, ce n'avoit été que pour leur porter des coups plus certains. Pinachius & fes Conforts, Toulouse & fes Habitans, quelques-uns même de fes Magiftrats furent les objets de fes déclamations & de fes épigrammes, fans doute trop violentes. Quelle fanglante apoftrophe que celle contre le Juge-Mage Dampmartin (10)! C'est fur-tout contre Gratien du Pont, fieur de Drufac, qu'il fit éclater fa colere. Il devoit aux follicitations de cet homme vindicatif, une partie de ses derniers chagrins; aussi ne l'épargna-t-il ni dans fes moeurs, ni dans fes Écrits. Ce Poëte Touloufain devoit être fenfible au mal que l'on pouvoit dire de fes Ouvrages; car jamais un Poëte n'a cru faire de mauvais vers : & j'en prendrois à témoin

(10) Ibid. p. 200. 201.

plufieurs Cotins de notre fiecle, fi une pareille digreffion ne pouvoit leur déplaire autant que la Harangue de Dolet fâcha Drufac. Quoi qu'il en foit, celui-ci méritoit doublement d'être tancé : il s'étoit avifé de médire des femmes dans un Ouvrage fait exprès (11). Ce fexe l'avoit vu de mauvais oil. Dolet le fachant, redoubla la dofe de méchanceté.

(11) Les Controverfes du fexe mafculin & féminin imprimées pour la premiere fois fans nom d'Auteur à Touloufe, chez Jacques Colomiez, en 1534, in-fol. Caract. Goth. Comme j'ai effayé plus bas de prouver que le Recueil qui contient les Harangues de Dolet contre Toulouse a dû être imprimé en 1533, on pourroit m'objecter qu'il n'a pu l'être qu'en 1534, puifque le Livre de Drufac dont il y eft parlé n'a paru qu'en cette année : mais je réponds d'avance, 1°. que l'Ouvrage de Drufac a fans doute été connu avant que d'avoir été imprimé; car quel eft le Poëte qui réfifte à la tentation de réciter fes vers? 2°. qu'en conféquence de cette espece de regle poétique, Dolet pouvoit en avoir lu ou entendu lire quelques paffages, peutêtre les meilleurs; 3°. pour conclure, que c'étoit un double plaifir pour lui de décrier cet Ouvrage avant qu'il parût ; car, d'une part, il chagrinoit l'Auteur, & de l'autre il faifoit fa cour à un fexe que l'on devoit chérir, principalement dans une Ville où Clémence Ifaure a fondé des couronnes pour les Poëtes vainqueurs aux Jeux Floraux. Voy. le jugement des Editeurs des Annales Poétiques fur Drufac, 1778, tom. 3. p. 292.

On peut en donner un échantillon:

α

Si tuum quifquam neget effe prorfus
Utilem Librum, temerè loquatur;
Nempè tergendis natibus peraptus
Dicitur effe.

Nemo nec jurat piperi tegendo

Commodum, aut fcombris, quibus officina
Par tuo fervant operi volumen,

Uno obolo emptuin.

Dolet avoit peut-être voulu mettre de fon côté le fexe offensé comme lui par ce Poëte malhonnête; car un ami lui écrivoit (12): Sachez que vous êtes regretté à Toulouse, » & que ceux qui vous aiment font fâchés de > votre éloignement, fur-tout les Dames les » plus honnêtes & de la plus haute condition, auprès de qui vous avez trouvé grace par > vos Épigrammes contre Drufac ». Et dans fa pofition fâcheufe il avoit eu raison, comme on le voit, de dire du mal des Ouvrages de cet homme, puifqu'il avoit acquis par ce moyen la protection & l'eftime d'un fexe qui a chez les Peuples policés tant d'afcendant fur les opinions.

[ocr errors]

Cette cruelle aventure fit perdre à Dolet

(12) Voy. le Recueil déjà cité, p. 175, où cette Lettre eft datée du 5 Juin 1533.

« AnteriorContinuar »