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dans ce lien que des contrariétés qui le réduifirent enfin à fe féparer de fa femme. Il eut en mariage le même fort que Socrate, & ne fut pas doué de la même patience. L'âme d'un Poëte eft moins exercée à cette vertu que celle d'un Philofophe.

La femme du Dante s'appeloit Gemma; elle étoit de la Famille des Donati, depuis long-tems illuftre à Florence.

Revenons fur nos pas, & confidérons la vie du Dante fous un point de vue différent. En le fuivant dans fes travaux, dans fa vie active & publique, nous parcourrons un nouvel ordre d'infortunes. L'homme, en changeant de paffions, ne fait fouvent que changer de malheurs. Ceux de l'amour, du moins, portent avec eux une confolation fecrete, qui tient fans doute à la fatisfaction que l'on a de se trouver sensible: mais, quand les plaics de l'ame viennent de l'ambition, quel appareil y mettre? L'orgueil mécontent

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ne goûte pas même la douceur d'être plaint; il hait le confident de ses peines, parce qu'il voit en lui le témoin de fon humiliation.

Le Dante, dès fes pfemières études, embraffa tout à la fois, la Poëfie, l'Hif toire & la Théologie. Ce dernier genré de connoiffances femble peu fait pour s'allier avec les talens du Poëte : mais la fcience des chofes faintes étoit alors d'un usage général parmi les personnes un peu inftruites. Les Eccléfiaftiques s'y livroient par devoir, les autres, pour communiquer avec eux. Ainfi se forme, par les circonftances, l'efprit général d'un fiècle. Le fiècle du Dante fe peint dans fes écrits; on y voit un mêlange abfurde de vérités Théologiques, & de fables puifées dans la Mythologie; mêlange qui infulte tout à la fois au goût, au bon fens & à la Religion. Au projet bizarre d'employer cent chants à décrire l'Enfer, le Purgatoire & le Paradis, on ne pouvoit peut

B

Murat. Anal. d'Ital.

être ajouter qu'une feule bizarreric; c'étoit d'appeler cet Ouvrage une Comédie & c'est ce que le Dante a fait, toutes les idées alors étoient confondues.

S'agit-il de juftifier le Dante fur le choix de fon fujet? On en trouve les moyens dans l'Hiftoire même de fon fiècle.

L'an 1304 l'Evêque d'Oftie fut envoyé par le Pape à Florence. On voulut faire honneur au Légat, & l'amufer par une fête. On n'en imagina point de plus convenable, ni de plus intéreffante qu'une représentation de l'Enfer donnée folennellement fur le fleuve de l'Arno. J'ignore ce que pouvoit être cette repréfentation; mais elle devint funefte à un grand nombre de fpectateurs. Le pont de l'Arno étoit fi chargé qu'il s'écroula, & beaucoup de Citoyens périrent.

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La naiffance du Dante, fon efprit & fes connoiffances lui donnoient des droits

aux premières places de la République, il y parvint. En 1300 il fut nommé Prïeur, c'est-à-dire un des premiers' Magiftrats de Florence. Cet honneur' fut la source de ses difgrâces, comme il le dit lui-même dans une lettre que nous a confervée un des Hiftoriens de fa vie.

Leon. d'A

« La place que j'avois briguée a cause rezzo. » toutes mes infortunes: non que j'en' » fuffe indigne; mon zèle & mon âge » me permettoient d'y prétendre. Dix » `ans s'étoient écoulés depuis la fameuse » bataille de Campaldino, où le parti » Gibelin fut prefque entièrement de» truit. J'étois déjà hors' de l'enfance lorfque j'y combattis. Les divers évé» nemens de cette bataille me rempli» rent de crainte, & fon fuccès me rem»plit de la jote la plus vive».

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Cette lettre ne permet pas de douter que le Dante n'eût été d'abord du parti des' Guelfes. Peut-être la conduite de Boniface VIII fervit à l'en détacher, &

pour lors il fe jeta dans celui des Gibelins. La neutralité eût été un parti trop fage pour un Républicain & pour un Poëte. Une Loi de Solon interdifoit aux Athéniens cette neutralité : cette Loi, fans doute, étoit fage en elle-même ; car, dans un État bien policé, perfonne ne doit se montrer indifférent aux événemens publics: mais quand le fonds de la querelle des deux parts étoit abfurde & ridicule, le Citoyen n'avoitil pas à gémir d'une Loi qui le forçoit de prendre parti pour l'un ou pour l'autre, c'eft-à-dire, contre fa raifon?

Le Dante fervit la caufe des Gibelins avec autant d'ardeur, qu'il en avoit mis fans doute à les poursuivre ; car dans les diffenfions civiles, le fonds de la cause n'est rien; on se bat pour fe battre, à peu-près comme ces animaux qu'on lance dans une arène, & dont la fureur devient redoutable à ceux mêmes qui fe font fait un jeu de l'animer.

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