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Il avoit perdu fon père de bonne heure; mais fon éducation avoit été confiée aux foins d'un homme affez

habile pour développer ses talens. Cet homme s'appeloit Brunetto Latini, Le nom de l'Élève fuffiroit pour illuftrer celui du Maître : mais Brunetto, par luimême, eut quelque part à la renaiffance des Lettres, comme nous le ferons voir ailleurs.

Un des Écrivains de la vie du Dante a retranché de fon récit toute la jeuneffe de notre Poëte, fous prétexte que l'amour en fut la principale occupation, Nous n'imiterons point cette réticence trop févère: eh! pourquoi dédaigner les premiers mouvemens d'une âme doucement attirée vers l'objet qui lui plaît? Les paffions de l'homme mûr le concentrent tout entier en lui; l'amour le fait vivre dans un autre : n'aurions-nous le droit d'intéreffer qu'en apprenant à ne plus aimer que nous-mêmes?

Le Dante a mieux jugé de fes amours & de fa jeunesse. C'est le feul tems de fa vie dont il ait voulu transmettre le fouvenir. Nous avons de lui le récit complet de la paffion qui occupa fes premières années; & ce récit, il l'a nommé fa Vie nouvelle, Vita nuova, comme si la naiffance de fon amour eût été pour lui le commencement d'une nouvelle existence. Le petit Ouvrage que nous citons eft écrit d'un ftyle naïf & mélancolique. On y reconnoît une âme profondément sensible, une imagination forte & fufceptible des impreffions les plus vives. Nous citerons cet Ouvrage le plus que nous pourrons, & dans toute la fidélité du texte : ainfi, rapportant du Dante fes fentimens, fes actions & fes paroles, nous n'aurons rien omis de ce qui peut le faire connoître.

Le Dante fut de moyenne ftature: fon visage étoit long, fon nez aquilin, fes yeux fortans, fes lèvres épaiffes, & celle d'en

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haut plus avancée. Il avoit le teint rembruni, la barbe & les cheveux, noirs, Vit. di épais & crépus. Bocace rapporte à ce fujet une anecdote affez plaisante.

Dant.

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Des femmes voyoient un jour le Dante paffer dans les rues de Vérone. Son Poëme de l'Enfer avoit déjà fait du bruit. L'une de ces femmes dit à l'autre : Tenez, voilà cet homme qui eft revenu » de l'Enfer pour nous en donner des » nouvelles. Son teint & fa barbe, reprit l'autre, font encore noirs de la fumée de ce lieu ». Le Dante entendit cc propos; il regarda ces femmes, &, s'appercevant qu'elles parloient de bonne foi, da pura credenza, il fourit & les falua.

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دو

La phyfionomic de notre Poëte avoit, comme fes Ouvrages, je ne fais quoi de doux & de mélancolique qui intéreffoit. Avec cet avantage, avec ceux du génie, & plus encore avec la paffion qui l'animoit, le Dante avoit droit de prétendre

au fort des Amans heureux. Il fut loin de l'obtenir. Il ne connut guères que cette félicité paffagère & d'illufion que les grandes paflions fe procurent elles-mêmes car, en amour, le plus. facile à contenter eft celui qui aime le plus; il est trop enivré de ce qu'il fent pour difputer fur le retour dont on le paye. Les Amans paffionnés reffemblent aux grands parleurs; pleins de ce qu'ils ont à dire, il fuffit qu'on ait l'air de les écouter avec intérêt, & fans les diftraire.

Dante n'avoit neuf ans lorsqu'il que vit la fille de Folco Portinari, Citoyen de Florence; il la vit, & ne l'oublia plus.

Neuf ans semblent un âge prématuré pour l'amour; mais l'ardeur du climat accélère le développement des paffions. D'ailleurs, les befoins d'une âme tendre s'annoncent de fi bonne heure! & la fimplicité du premier âge y mêle une

teinte de candeur & d'innocence, qui ajoûte encore à l'intérêt qu'ils infpi

rent.

Écoutons un moment le Dante parler de fa paffion. La première fois qu'il rencontra Béatrix, fa maîtreffe, peu de tems après leur première entrevue, elle jeta fur lui les yeux. « Ce regard, dit-il, » me parut le dernier terme de la féli» cité. J'étois tellement pénétré de sen» timens doux, que mon plus cruel

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pu

ennemi, dans ce moment, n'auroit » me déplaire. Rien de pénible, rien de » douloureux ne pouvoit entrer dans mon » âme Ailleurs il dit que les regards de Béatrix répandent la douceur par-tout où il fent l'amertume.

Portan dolce ovunque io fento amaro.

S'il faut l'en croire, il négligeoit le foin de fa fanté, il s'affoibliffoit, il dépériffoit; les Amis, frappés de ce changement, lui en demandoient la caufe;

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