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puis tant de fiecles; un filence dont je me fuis fentie devorer; un filence enfin qui m'auroit de. fefperé, fi après tous les tour. mens qu'il m'a fait fouffrir, je n'avois pas trouvé de quoi fatisfaire tout à la fois & mon envie de parler, & la neceffité de me dédommager des pertes que mes enfans dénaturez m'ont caufé depuis le commencement du monde jufqu'à ce jour.

Il me paroît que je vois tout le genre humain reprefenté en cette illuftre Affemblée. Je trouve icy des perfonnes de toute condition, de tout fexe & de tout âge; c'est pourquoi en vous adreffant la parole, je crois parler à tout le genre humain : Occafion que je faifis promptement, & avec d'au. tant plus de raifon, qu'elle ne fe rencontre pas tous les jours. Elle me fournira les moyens de foulager mon cœur rempli depuis long

tems d'une infinité de chofes également interessantes & necessaires à vous expliquer.

N'est-il pas étonnant, que disje, n'eft-ce pas une ingratitude odieufe & infuportable, que depuis tant de fiecles, comblant le genre humain de mes bienfaits, je n'aye trouve perfonne qui ait pris la peine de faire mon Panégyrique, & que tant d'Apologiftes que j'ai formé, & dont j'ai dirigé le travail, n'ayent pensé qu'à bien faire ou leur propre éloge, ou ce lui des autres? Leur aveuglement eft allé encore plus loin. Ne fe font-ils pas abaiffés aux plus vils objets de la nature? Quoi ! l'âne & la puce ont eu desPanégyriftes,& même la folie,fi digne de mépris? O corruption des mœurs! O perverfité des tems! Moi qui les ai guidé & foûtenu en toutes ces occafions avec un foin égal au fuc cès,eft-il poffible que je fois la feu

le qu'ils ayent oublié?Oingratitu de, de tous les vices le plus noir ! Moi qui ne les ai jamais perdu de vûe, ont-ils pû être affez aveu. gles pour me méconnoître, & pour ne me pas rendre la juftice qui m'appartient? Mais afin que vous n'ignoriez pas, Meffieurs, les caufes de mon indignation je m'en vais fuppléer à ce que l'on a manqué de m'accorder jusqu'à prefent. Je m'en vais vous convaincre, que fi je n'ai pas encore trouvé de Panégyrifte, ce n'eft pas que je ne fois digne de louanges, c'eft qu'il n'y a perfonne qui s'en puiffe acquitter affez di. gnement. Je vous ai fouvent ouy dire qu'il n'y a qu'un Charlatan qui puiffe faire fon propre éloge. Par la même rai. fon, il n'y a que la Charlatanerie, c'eft-à-dire, moi-même, qui me puiffe dignement louer. Sans cette reflexion, j'aurois déja fait

éclater ma jufte colere contre mes enfans ingrats: ainfi il faut bien que je leur montre le chemin de remplir leurs devoirs. Si je ne dis pas à la fois tout ce que j'ai à dire, fi ce que je débiterai aujourd'huy, n'eft pas confor. me aux regles que j'enfeigne aux Orateurs pour bien haranguer vous devez vous imaginer qu'une femme qui commence à parler après un long filence, eft fembla. ble à un torrent impétueux qui fe répand rapidement & fans melure fur tout ce qu'il rencontre dans fon chemin. Donnez-moi quelques momens de votre at tention, je vous difpenfe pendant ce tems-là de tous les autres devoirs de mon culte.

Vous venez d'apprendre, Meffieurs,que je fuisla Charlatanerie, & que s'il y a une Déeffe parmi les femmes, c'est moi qui en fuis une, ou il n'y en a point du tout. Vous

allez comprendre, que les appas de vos Belles feroient infipides fans mon fecours, &que ces Divi nitez mortelles paroîtroient fans douteàvos yeux archidiableffes & très-mauffades femelles, fi elles n'étoient pas revêtues des attributs que je leur prête. Ne foyez cependant point furpris de ce que j'ai mieux aimé être une Déeffe qu'un Dieu, & que j'ai préferé le lexe des femmes à celui des hommes. La langue de la femme étant plus déliée que celle de l'homme, c'eft un inftiument dont la volubilité m'eft indifpenfablement neceffaire car je ne ferois ni Déeffe, ni Charlatanerie, fi je n'avois pas un babil, dont la lege. reté doit furpaffer celui de toutes les femmes,auffi bien que celui des plus grands ableurs qui ont paru depuis le commencement du monde.

Je ne vous entretiendrai pas

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