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DE LA

CHARLATANERIE,

DIVISE'E

EN PLUSIEURS DISCOURS, en forme de Panégyriques, faits & prononcés par Elle-même. SECOND DISCOURS.

duflot to

A PARIS;

Chez la Veuve MERGE', rue S. Jacqués, au Cocq.

M. DCC X X VII.

Avec Approbation & Privilege du Ray

entiere, quand l'objet de fa joye ou de fa trifteffe n'eft pas entier, c'est-à-dire, quand la verité se mêle avec la chimere. Vous ne difconviendrez peut-être pas, Meffieurs, de ce que je viens d'a vancer, vous le fentirez aifément par vous-mêmes, cependant vous me foûtiendrez peut-être, que hors de ces occafions, ma puiffance eft finie. Vous dites, quand notre efprit n'eft pas occupé de trifteffe ou de joye, nous fommes difpofez, nous fommes les maîtres de goûter les plaisirs d'un bon repas, d'un beau feftin d'une belle fimphonie: car ces chofes rempliffent par elles-mêmes notre esprit de douceurs dès qu'il eft chez lui, c'est-à-dire, de ce qu'il ne voyage & ne s'occupe pas ailleurs. Mais quand je vous dirai que votre repas, votre fe ftin, votre fimphonie même le peuvent faire voyager & s'abfenter, pour ainsi dire, à cent mille lieuës

lieuës de là, & qu'il faut abfolument le fixer par mes drogues vous verrez clairement que vous vous trompez.

L'autre jour un de vos Confreres donna un grand & délicieux repas à un Milord, & à quelquesuns de fes amis :-tout y étoit re. cherché, tout y étoit exquis, les goûts les plus difficiles y auroient trouvé de quoi fe contenter, les oreilles les plus fines auroient été enchantées du beau Concert cependant quand on se mit à table, un ami du Milord lui dit: voilà un mets pareil à celui que nous avons mangé ensemble à Rome un tel jour, à une telle oc. cafion. Vous fçavez bien, lui ditil, combien vous étiez enchanté de la belle Dame qui étoit affife à votre droite. Dans l'inftant le Milord le mettant à récapituler fes plaifirs de Rome, ne goûta plus aucune chofe préfente. Le maître du Logis s'en apperçût, &

lui fit un reproche honnête, ea difant, qu'il étoit au defefpoir de n'avoir rien trouvé qui pût faire plaifir au Milord. Celui-ci fe contraignit autant qu'il fût poffi ble de manger, de boire, & de faire remarquer fa fatisfaction à l'Hôte. Mais lorsqu'au lende. main on questionna le Milord fur ce qui s'étoit paffé au repas, il n'en eut aucun fouvenir diftingué, il avoua franchement que pendant tout le tems du repas, il avoit été à Rome. Il feroit inutile de vous conter un nombre de pareils exemples, vous en trouverez vous-mêmes autant que vous voudrez, en repaffant une partie de votre vie. Qui croiroit qu'un cheveuxtrouvéfur une affiette ou dans un plat, qu'un difcours fa le, qu'une action indécente puiffent dégoûter du repas le plus magnifique S'il y a des chimères très-petites, ce font affurément celles-ci; cependant elles ont un

effet furprenant. Jugez donc du refte. Mais quand je veux me mêler de ces affaires, il n'y a ni cheveux, ni difcours falės, ni actions indécentes, ni plaisirs passez, ni plaifirs à venir, ni bonnes, ni mauvaises nouvelles qui puiffent troubler les plaifirs préfents. Un grain de mon fpecifique fait né. gliger l'avenir, oublier le paffé, méprifer les bagatelles dégou. tantes, differer les affaires les plus férieuses, chaffer tous les chagrins, remettre les jaloufies, & les haines à un autre tems. On dit alors, jouiffons du préfent, ce tems ne reviendra plus, diver tiffons - nous aujourd'huy, de. main nous aurons affez de loifir pour nous chagriner. Il n'est pas neceffaire que les mets foient exquis, que le vin foit excellent que la fimphonie foit parfaite, que les manieres de l'Hôte foient engageantes & enjouées. Tout cela ne fait rien à la chofe, tout

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