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nent être Eloquens & Orateurs parce qu'ils font en poffeffion de parler depuis le matin jufqu'au foir, fans prendre haleine, & parce qu'ils connoiffent les plus petites minuties de la Grammaire, comme les Marchands de couleurs, fe pourroient imaginer d'être excellents Peintres, ayant lû dans quelque Dictionnaire que la Peinture eft la fcience des couleurs, bien perfuadés, qu'ils connoiffent toutes les couleurs imaginables beaucoup mieux que les plus grands Peintres, & qu'ils Jes préparent & rendent propres à l'ufage de la peinture. Quelques-uns de mes bons enfans se peuvent trouver bien épouvantés en voyant cette terrible def cription de l'Eloquence. Quel malheur, fe difent-ils, de n'être pas éloquens, de n'avoir pas la Icience,l'ufage de la parole! Quel malheur, d'être muets, puifque

nous

nous ne fçavons pas parler, ou fi nous le fçavons, nous craignons de parler mal, & à caufe de cela nous fommes muets! Quel malheur d'être pendant plufieurs jours à concevoir un difcours de trois lignes, de paffer la moitié de, fa vie pour faire un Livre de rien ! Quel malheur de nous trouver apoftrophes dans toutes les converfations que nous que nous entamons, & qu'à peine ouvrons. nous la bouche, les railleries, les ris, ou le caquet des hableurs nous affomment, ce qui nous jette dans un éternel filence, & nous réduit à la condition des muets. Oh que nous ferious voir du pays à ces parleurs impitoyables, fi nous avions la fcience de la parole! C'est tantôt un enfant, une fem. me, une servanté, un laquais, ou une harangere, qui nousréduifent au filence, & qui par leur caquet nous mettent au bout de notre langage.

B

Je vois, Meffieurs, que cette defcription de l'Eloquence alarme un grand nombre de mes Auditeurs. Quittons-la, voyons-en une feconde. D'autres difent,que l'Eloquence fignifie l'Art de parler, ainfi fçavoir parler & poffeder l'art de parler, n'eft pas la même chofe. Comme fçavoir broder & être Maîtreffe Brodeufe font deux chofes fort differentes l'une de l'autre. Sçavoir donc parler avec art, nous découvrira peutêtre la fignification du terme d'E loquence.

On apprend l'art de parler par regles, par preceptes & chez un Maître; mais on fçait parler, fans connoître feulement s'il y a des regles, des preceptes, & des Maîtres dans le monde. J'avois établi cette définition de l'Eloquen ce, pour abaisser tous ceux, qui ne fçavoient parler que par rou tine, & pour relever ceux qui

avoient appris mes regles & mes preceptes de mes maîtres, dont je voulois faire la fortune, en les faifant paffer pour feuls dépofi. taires de l'art de parler.

J'ai commencé par les Villages, où celui qui ne poffede pour toute fcience, que l'arrangement de fon Alphabet, s'eft érigé en Orateur, parlant en toute occa fion à fes manans avec une fierté Héroïque. Il ne tiroit les avanta ges de fon Eloquence, que de ce que les autres ne fçavoient pas fi le langage qu'il tenoit étoit Grec, Arabe, ou Siriaque. Je me fuis. fervi de cette excellente maxime jufques dans les Villes, dans les Cours, & à l'Armée. Ce qui a donné à mes petits monarques Abecedaires un fi haut relief que tous ceux qui ne s'apperce voient pas,qu'ils parloient en pro fe, en déclinaifon, en conjugaifon, en fintaxe, & felon mes

autres regles & maximes, n'o soient pas ouvrir la bouche en pu. b. Les uns prioient & paygient gralement mes Orateurs, pour faire leur charge, en haranguant à leur place, ou s'il falloit le faire abiolument par leur propre bou che, ils faifoient conduire leur langue par mes Orateurs, comme l'on conduit celle d'un Peroquet. Il en refulta un double avantage & pour les uns & pour les autres. Les premiers tirerent leur épingle du jeu, & les autres furent reputez très- éloquens bien loin de paroître Peroquets. Cela contribua en même tems à la perfection d'un Art qui m'a toûjours été précieux. Qu'est ce qui fait la perfection des Arts ? c'eft lorfqu'on ne défire rien de plus. Mes Orateurs étoient au fuprême degré de leur Art, puif etoient les feuls dépofitai

es fecrets, & les autres

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