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LETTRE DE MONSIEUR LE CHEVALIER, &c. XXI peine, & que j'aurois pu employer un peu mieux mon tems, auffi bien que contre ce vieux radotteur de Barras, fi riche & fi abondant en expreflions de Comite ou de Forçats dans fes admirables Brochures. Je faifois un peu plus de cas des deux premiers, mais aujourd'hui j'en fais un beaucoup moindre. Quand je vous tiens ce langage, ce n'eft pas fans de grandes raifons. Ces deux malhonnêtes gens ont ufé de repréfailles. Ils n'ont pas cru devoir s'amufer à une Critique, ils ne fe font pas trouvés en état de la faire; ils s'y font pris d'une autre façon, ils ont extrait de mon Livre tout ce qu'il leur a plu. D'ufer de bonne foi, ils n'euffent rien trouvé qui pât les fatisfaire; ils ont fuivi la belle méthode des Journalistes de Trévoux, auffi ont-ils eu befoin de leurs confeils, & ils les ont affez bien fuivis ; car je jurerois bien fans craindre de faire un parjure, que ces gens de bien ont attifé le feu, & ont laiffé au Sr. Guignard, qui eft le feul qui ait paru, à l'entretenir. Celui-ci aidé de l'autre a fait un Ouvrage manufcrit de plus de 300. pages, l'a présenté à Mrs. les Maréchaux de France fous le titre de Dénonciation, où mon Livre & ma perfonne ne font pas épargnés, & de la maniére du monde la plus indigne & la plus lâche. Vous ne fauriez vous imaginer qui a pouffé ces gens-là à une si méchante action, juf ques ici fans exemple dans des Gens de guerre, fi on peut mettre en ce rang un Hiftorien Militaire qui n'a jamais fait qu'une campagne en fa vie, & qui fut fait Brigadier en cette confidération; & l'autre n'a jamais fait la guerre que dans un nouveau Régiment. Ces deux. gens de bien m'accufent dans leur Piéce d'avoir calomnié toute la Terre, & la Nation même, & fe font fervis de tous les actes de mauvaise foi & de toutes les rufes dont les Journalistes de Trévoux ignorans & malins fe fervent pour fe divertir & fe venger de ceux qu'ils n'aiment pas, ou qui les méprifent; & ceux-là font toujours les plus honnêtes gens de la République des Lettres. Ces deux mé chans Auteurs ont fuivi cette route; & fe font fait comme un point d'honneur de fe deshonorer. Ils ont affez bien réufli. Ils ont falfi fié & corrompu tous les paffages de mon Livre de la maniére du monde la plus groffiére & la plus maligne, s'imaginant qu'ils feroient crus: comme Evangile, & que perfonne ne s'aviferoit de chercher s'ils en ont ufé de bonne foi. Cette belle Piéce fut préfentée au Maréchal de Villeroi; mais comme il eft vieux & infirme, elle fut renvoyée au Maréchal de Villars, qui eft fâché contre moi pour avoir dit fur la foi d'une Patente du Roi, que le Préfident le Fevre d'Orval étoit l'auteur du Projet de Denain. Ce péché eft irrémiffible, malgré les éloges verfés à pleines mains dans mon Livre. On opina d'abord à s'aflurer de ma perfonne, mais cela parut trop violent, & l'on cruz bien que fi Mrs. les Maréchaux de France s'affembloient, on penferoit tout autrement, & qu'il faloit auparavant examiner fi j'étois cou

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pable. Quoi qu'il en foit, je fus promtement averti, & bien que j'ignoraffe une bonne partie des chefs d'accufation, je fus voir les perfonnes qui font chargées des affaires de la Librairie, où je trouvai le Cenfeur de mon Livre qui avoit été appellé pour rendre compte de fa conduite. Après avoir vu la piéce, il dit qu'il n'y avoit pas un mot de vrai, & admira la hardieffe & la mauvaise foi de mes accufateurs, & leur malice effroyable. Il fut chez le Maréchal de Villeroi, auquel il fit voir les paffages cités fauffement, puifque c'étoient des éloges, & lui lut en même tems l'affaire de Crémone qui eft au commencement de mon cinquiéme Tome. Ce Seigneur faillit à tomber de fa hauteur, & marqua fa fatisfaction de la juftice que je lui rendois. Je fus à la Cour porter mes plaintes. J'ai été fervi comme on fert un innocent fous un Ministére tout plein de droiture, d'équité & de justice. Je n'en attendois pas moins de fon Eminence, car fa vertu & fes grandes qua lités font un prodige dans un fiécle fi corrompu, & fi Dieu nous fait la grace de nous conferver (fi nous avions le malheur de la perdre) ceux qu'il a mis au timon des affaires pour le foulager, la France fera trop heureufe. Ils font tous tels que nous devons les fouhaiter, & furtout Mr. d'Angervilliers. Tout le monde l'eftime & le révére à un point que je ne faurois vous l'exprimer; car l'article qui me regarde a furpris une infinité de monde par des raifons que je vous dirai, & vous verrez le grand, & le beau de juftice & de probité en lui, fi je furvis à l'auteur des tracafferies que l'on m'a faites. Le Sr. Guignard a été traité comme il le méritoit. Il voudroit être un âne, & un âne batté, & furement il vaudroit mieux qu'il ne vaut, & feroit infiniment moins méprifable qu'il n'est.

Mon Cenfeur a fait mon apologie, qui a été remife aux Miniftres; je la ferai peut-être imprimer dans la Préface du Tome cinquiéme, qui paroîtra un mois plus tard qu'il n'auroit paru fans ces tracafferies. Ön veut qu'elles foient finies, c'eft ce que je fouhaitte fort; ce n'est pas que je craigne ce Guignard, il eft trop méprifable; mais ceux qui l'ont mis en œuvre, n'ont pas un petit crédit. L'innocence contre de telles gens n'est pas toujours un bouclier bien redoutable, & lorsque certaines perfonnes s'en mêlent, qui ne fe font nul fcrupule de calomnier, il y a toujours à craindre, & furtout lorsqu'on a le courage de leur réfifter, & de ne point les épargner lorsque l'occafion s'en préfente. Il me paroît par votre Lettre que je n'ai pas, car j'ai éclipsé tous mes Papiers, non pas fans raison, que vous avez compris les Bonzes. Si j'avois écrit au Païs où vous êtes, vous pouvez bien vous imaginer que j'aurois étendu la chofe d'une maniére qui les auroit très-mortifiés; car je fçai bien comment il les faut prendre. Ce n'eft-là que le canevas Vous êtes trop pénétrant pour ne pas voir où cela me pourroit

mener.

Venons à mon cher Mr. le Clerc que j'aime de toute mon ame, je vous prie de lui fouhaitter une heureufe année de ma part. Il doit avoir reçu le quatriéme Tome de Polybe, & le Supplément du Dictionnaire de l'Ecriture. On me menace d'une Critique, & c'eft un Docteur de Sorbonne qui me la prépare; furement il n'y trouvera pas fon compte, car je ne vois pas qu'on puiffe m'attaquer fur la Tactique des Juifs, qui eft la même que celle des Peuples de l'Afie mêlée de celle des Egyptiens, qui combattoient par grands Corps féparés & tous Piquiers; auffi voit-on clairement que les Grecs ne font pas les inventeurs de la Phalange, ni de rien: il eft même certain que tous les Arts & toutes les Sciences ont paffé de l'Orient en Occident. Je fuis ravi de ce que vous me dites de mon quatriéme Tome, on en penfe de même ici. Je ne fuis pas peu charmé de vous voir parler fi bien de la Guerre. Vous verrez l'affaire de Crémone dans le commencement du cinquiéme Tome. Le fixiéme me fait trembler à caufe de la profondeur des matiéres, je n'oublierai rien pour m'en bien

tirer.

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Je n'ai pas encore vu Mr. le Chevalier d'Harville (*), on m'a dit qu'il n'est pas à Paris, vous pouvez bien vous imaginer que je lui marquerai ma reconnoiffance. Mr. le Chevalier (**) d'Ambre, votre compatriote, est toujours bien de vos amis & des miens, & nous parlons fouvent de vous. J'ai encore une affaire ici avec Mr. d'Asfelt & quelque autre, qui prétend que je ne lui ai pas rendu toute la juftice qu'il mérite à l'égard de la Bataille d'Almanza, dont j'attribuë la gloire après le Général à Mr. d'Avaray, dont on n'avoit fait nulle mention à la Cour, non plus que du Marquis de Goësbriand à l'affaire de Toulon. On lui a fait voir qu'il fe plaignoit à tort qu'il n'avoit pas chargé à la feconde ligne où il fe trouvoit, que j'avois dit vrai; & qu'à l'égard de certaines circonstances que je n'avois pas rapportées, j'avois eu mes raifons, quoique je ne les ignoraffe pas. Il s'étoit formé une cabale pour me faire parler différemment que je n'ai fait, mais tout cela est tombé, & la vérité a fait tout évanouir. Ce n'eft pas d'aujourd'hui que ceux qui n'ont rien fait, veulent s'attribuër fauffement les actions d'autrui, s'en orner & s'en parer. Je le leur ai entiérement ôté, tout le monde m'en louë. Il eft fâcheux d'enlever les ornemens de certaines gens qui leur ont fervi vingt-deux ans de parure, & qui ont même aidé à leur fortune. J'en uferai de même envers les autres lorsque j'en trouverai l'occafion. Vous me ferez beaucoup de plaifir de me ramasfer les injuftices & les filouteries des actions d'autrui pour les inférer dans mon Ouvrage. Il n'eft pas qu'il n'y ait quelqu'un de vos Militaires qui ne foit en état de recourir à mon tribunal. Je me ferai un plaifir d'en user comme j'ai fait avec les nôtres, fans qu'il paroiffe que cela

vienne

(*) Colonel du Regiment de Cambrefis & Brigadier des Armées du Roi, qui avoit fait un voyage en Hollande. (*) Depuis Mr. le Comte de Lautree.

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LETTRE DE MONSIEUR LE CHEVALIER, &c.

vienne d'eux, mais il faut être bien affuré des faits. Vous leur rendrez un grand fervice, & cela me fera honneur.

Je ne vous ai rien dit de Mr. Barbeyrac, le grand Ami de l'Inquifition. Je l'honore & l'eftine infiniment. S'il m'aimoit autant que j'aime fes Ouvrages, je pourrois me vanter d'avoir un excellent Ami. Je prends la liberté de lui demander quelque part dans fon cœur, faites: enforte qu'il me l'accorde. Je ferois fort curieux de voir l'Extrait de mon Commentaire dont vous me parlez. Si l'on pouvoit y ajoûter le mauvais tour qu'on m'a fait fans qu'il parût que cela vînt de moi, je vous en ferois très-obligé, mon cher Monfieur. Je vous prie de ne pas dire dire que j'aye eu l'honneur de vous apprendre cette nouvelle. Il fuffit que je vous affure que cela me feroit tort; car il y a des gens en crédit mêlés dans cette affaire, qui ne leur fait pas beaucoup d'honneur; ils ne manqueroient pas de redoubler leurs perfécutions, Comme vous voyez, mon cher, je ne fuis pas fitôt prêt à voir changer ma mauvaise fortune; je dois m'attendre au contraire à mille Libelles diffamatoires, mes ennemis n'en font pas chiches, leur morale les y menant tout droit. Ils mettent tout en mouvement fans paroître ouvertement. Je vous embrasse très-tendrement, & je suis &c.

1

PRE

PREFACE

DU COMMENTATEUR.

NTRE les défauts dont un Philofophe de nos jours
accuse les Commentateurs, le plus ordinaire eft, à l'en-
tendre, qu'ils s'imaginent que leurs Auteurs meritent Malebr.
l'admiration de tous les hommes, & qu'ils fe regardent la vérité.
auffi comme ne faisant qu'un avec_eux & dans cette

vie, ajoute-t'il, l'amour propre joue parfaitement fon jeu. Je dois être d'autant plus en garde fur ce défaut, qu'il m'a été déja reproché par des gens, il eft vrai, de qui je n'aurois pas dû me défier, fi l'on fe rendoit juftice à foi-même avant que de condamner les autres: car enfin loripedem rectus derideat ; mais de quelque part que me viennent les avis, il eft bon d'en profiter, foit pour me corriger de mes défauts, foit pour éviter d'y tomber; quoique je fache fort bien que ce que je dis de moi, eft bien moins par vanité, que pour fervir à ma juftification. Quoiqu'il en foit, je déclare nettement que je ne prétens rien à la gloire de Polybe, je la lui laisse toute entiére, & fans vouloir m'en attribuer la moindre parcelle: mon Commentaire n'eft pas tant pour expliquer cet Auteur célébre de l'antiquité, que pour tirer des faits qu'il raconte les principes de la fcience des armes qu'il poffédoit à un dégré fi éminent, & pour mettre à la portée de tout le monde les réfléxions qu'il nous donne lui-même fur ces faits. Polybe eft plus pour le Commentaire, que le Commentaire n'eft pour Polybe.

Rech. de

Je prie que le mot de Commentaire n'allarme perfonne. Ce n'est point ici un affemblage de notes triviales, furannées & pédantefques, prises ou maraudées par-ci par-là, & transférées de plufieurs Livres dans un feul, fans autre mérite que la tranflation; ce n'eft rien de tout cela, je marche en habit de campagne dans mon ftile: nul airain de Co-Préface rinthe, nulle pompe, nul précieux ridicule, nulle décoration de Rhé-re torique de Collége, c'eft un corps de fcience militaire; & bien que je Romai me fois affez étendu fur chaque partie, il s'en faut bien que je l'aie é- no. puifée. Et qui pourra trouver cette partie trop longue, lorsqu'il fera réfléxion aux avantages qui en reviennent?

Quand nous avancerions que la guerre eft la plus belle, la plus noble & la plus importante de toutes les fciences, & qu'elle renferme même celle des mœurs, nous n'avancerions rien que de véritable. Quoi de plus grand & de plus élevé, puisqu'elle eft celle des Rois, des Princes, Tom. I.

a

des

de l'Hif

toire

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