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que de décider, fur tout fi l'on n'eft pas plus éclairé fur l'un que fur l'autre. Lorfqu'on n'eft pas habile, le meilleur & le plus prudent eft de ne pas décider fur les opinions d'autrui fans donner des preuyes, ou éxaminer les matiéres. Jufques ici beaucoup de Décideurs se font présentés, mais aucun n'a donné des preuves. On n'a oppofé que la nouveauté, & la prescription des ufages_communément reçus, tant les préjugés ont de force & de pouvoir. Le croira-t-on, que malgré la folidité de mes raisons appuiées fur des faits d'expérience les plus remarquables, enfin fur des démonftrations les plus fùres, on craint encore, au moins le gros des Officiers Généraux, comme les autres qui ne le font pas, que la fcience du Général d'armée dans fes principales parties ne foit incertaine & peu fûre, & qu'il n'y ait pas trop à s'y fier. On le craint avec raison de la routine, mais on peut se fier à la fcience dont nous avons à traiter dans cet Ouvrage. Les principes de celles-ci font certains, fimples, & démontrés par la raifon & par l'expérience.

Cette fimplicité & cette évidence ne me laiffent aucun lieu de douter, que le tems & la guerre feront peu à peu abandonner les principes méchaniques dont nous fommes fi fort entétés : fi quelqu'un qui ne le fera pas, fans avoir égard à l'Auteur de ces nouveautés, mais feulement aux vérités qu'il démontre, les met une fois en pratique; c'eft là le vrai moien de la décision. Ne doutons pas un feul inftant que cela n'arrive. Je ne fuis pas même encore fi vieux, que je ne puiffe espérer de dire, fur la nouvelle de quelque victoire remportée par ma Colonne, que semblable à la pierre à aiguiser, fans couper moi-même, je fers à faire couper,

Fungor vice cotis, acutum

Reddere quæ ferrum valet, exfors ipfa fecandi.

Je n'ofe rien dire ici des fecours que j'ai trouvés, pour tout ce qui ne regarde pas la Guerre, chez mes Voifins & mes bons Amis les Bénédictins. Ils ont eu trop de peine à me pardonner la justice que j'avois rendue à leur Congrégation dans mes Nouvelles Découvertes. Je me garderai bien déformais de me commettre avec leur modeftie. Mais Dom Thuillier & Dom le Seur, fon Camarade d'étude, dûffent-ils gronder, je ne puis m'empêcher de reconnoître, qu'ils ont fait pour moi, je ne dis pas beaucoup: car ils ne me pafferoient pas cette vérité; mais tout ce que je pouvois attendre & de leur amitié, & de leur zéle pour le progrès, l'avancement & la perfection des Sciences.

J'oubliois d'avertir qu'aux pages 194. & fuivantes de ce volume, dans la Note, il m'est échapé de faire une cenfure des mots d'intrépide & d'intrépidité, qui, toutes réfléxions faites, m'a paru, mais trop tard, un peu trop févére. Je m'étois mis en tête que l'homme intrépide

ap

approchoit fort du téméraire, & que l'intrépidité marquoit quelque chofe de plus que la hardieffe & l'affûrance dans les plus grands périls. Et là deffus j'ai avancé qu'un grand Capitaine ne devoit pas être loué pour fon intrépidité, ou être appellé intrépide, fans un correctif, qui fit connoître que cette qualité ne l'avoit point emporté au-delà des bornes d'une prudente & courageufe hardieffe. Mais aujourd'hui je pense que l'on peut fe paffer de cette précaution. J'ai confulté fur ce fujet les plus habiles, & je n'ai trouvé personne qui fût choqué de ces deux mots, quelque feuls qu'ils fe rencontraffent. Ainfi de peur de me fingularifer, je veux bien paffer l'éponge fur ma Note, & en faifant réparation d'honneur à M. de la Rochefoucault, je reconnois que l'intrépidité n'eft rien autre chofe qu'une hardieffe, une affùrance, une force extraordinaire de l'ame, qui s'éléve au-deffus des défordres & des émotions, que la vûe des plus grands périls pourroit exciter en elle. Les Manes de M. de Saint-Evremont me pardonneront auffi, s'il leur plaît, la petite contradiction que j'ai crû voir dans la différence que met cet Auteur entre la brutalité & l'intrépidité. Au refte on trouvera là même dequoi fe dédommager du petit défagrément que l'on aura d'abord effuié. Du moins cette critique trop pouffée fervira à quelque chofe. Elle me juftifiera de la folle témérité dont m'accufoient certaines gens, qui dans un Confeil de guerre, fur un fujet que j'avois propofé, & qui n'étoit que hardi', étoient d'avis que l'on m'étouffat entre deux matelats comme un furieux. On est bien éloigné de la témérité, quand dans l'idée d'intrépidité on croit entrevoir un excès dangereux.

xxiv

An de Rome

BXLVIII.

VIE

DE POLY BE.

OLYBÉ étoit de Mégalopolis, ville du Péloponéfe dans l'Arcadie. Il vint au monde environ l'an cinq cens quarante-huit de la fondation de Rome. Son pére fe nommoit Lycortas, illuftre par la fermeté avec laquelle il foutint les intérêts de la République des Achéens, pendant qu'il la gouvernoit.

Il fut élevé, comme tous les enfans de fa nation, dans un grand refpect pour la Divinité: pieux fentiment, où les Arcadiens mettoient leur principale gloire, & dans lequel il perfévéra fi conftamment pendant toute Polyb. fa vie, qu'il eft peu d'Auteurs profanes, qui aient penfé de Dieu plus noblement, & T. II. qui en aient parlé avec plus de dignité.

P. 1174.

edit.

T.I. P. 402.

Pour la Politique, il eut pour Maître Lycortas fon pére, grand homme d'Etat ; & Amftel. pour la Guerre Philopomen, un des plus habiles & des plus intrépides Capitaines de Polyb. l'antiquité. Ce fut dans ces deux écoles qu'il prit ces favantes leçons de gouvernement L. IV. & de guerre, qu'il a mifes lui-même en pratique, & qu'il a fait paffer à la poftérité. Comme le pére & le fils fe trouvent prefque toujours joints enfemble dans les affaires de l'Achaïe, il n'eft guéres poffible de faire l'Hiftoire de l'un fans faire celle de l'auMaccius, tre, Nous avons pû d'autant moins nous en difpenfer, qu'il a plû à un Auteur du fiécle paffé d'avancer, contre l'autorité des Hiftoriens les plus dignes de foi; que Polybe étoit un homme de néant, qui ne parloit de lui-même fi fouvent & fi avantageufement dans fon Hiftoire, que pour donner du relief à la baffeffe de fa naissance, & du luftre à l'obfcurité de fa vie. Quand les témoignages des Hiftoriens nous manqueroient pour détromper ceux qu'une penfée fi bizarre auroit pû jetter dans l'erreur, l'élévation de fon efprit & la nobleffe de fes fentimens juftifieroient affez fon origine. Mais on va voir par des faits, appuiés fur les autorités les plus refpectables, quel rang tenoient fon pére & lui dans la République des Achéens, & de quel fecours ils lui ont été dans les tems les plus fâcheux. Car le tems où ils gouvernoient l'un & l'autre, eft l'époque à peu près du renversement de cette République. Ceci nous engage à donner au moins une légére idée des révolutions qui y font arrivées, depuis fon établissement jusqu'à la mort de Philopamen, à qui Lycortas fuccéda.

T. II.

L'Achaïe, dont il eft ici queftion, c'est le Péloponése, c'est-à-dire tout ce païs de la Gréce, qui environné de trois mers, ne tient au continent que par l'Ifthme Polyb. de Corinthe, Tifaméne fils d'Orefte en fut le premier Roi, & fes fucceffeurs y P. 178. regnérent tranquillement jufques à Ogyges. Sous fes enfans, les Achéens indignés de fe voir foumis en efclaves, non à des Rois, mais à des Maîtres, changérent la forme de leur gouvernement. Ils formérent une ligue, qui ne fut d'abord compofée que de douze villes; favoir, Patres, Dymes, Phares, Tritta, Léontium, Egire, Palléne, Egium, Bure, Ceraunie, Oléne, & Hélice.

Cette ligue fubfifta jufqu'après la mort d'Aléxandre le Grand. Troublée fous fes

fuc

fucceffeurs, elle fe rétablit vers la cent vingt-quatriéme Olympiade. Patres, Dymes, Olymp. Phares & Tritta fe rejoignirent les premiéres: cinq ans après Egium chaffa fa garnifon, cxxiv. & fe remit auffi en liberté ; Bure fe défit de fon Tyran; Ifeas, Tyran de Carye, Ibid. p. craignan: le fort des autres, remit fa ville aux Achéens: de forte qu'en vingt-cinq ans 179. ces douze villes fe retrouvérent au même état qu'elles étoient avant leur féparation. Aratus y joignit enfuite Sicyone fa patrie, Corinthe, Mégare. Il fut manier tous les ef- p. 181. prits avant tant d'art & de prudence, que les Tyrans n'attendirent pas qu'il prît les armes contr'eux pour quitter leur domination, & affocier leurs villes à la République naiffante. Lyfiades céda Mégalopolis, Lyfimaque Argos, Xenon Hermione, Cléo- p. 183; nyme Phliafie. Enfin par le fecours d'Antigonus & de Philippe, que cet habile Négociateur eut l'art de gagner aux Achéens, cette République fe rendit maîtreffe de tout le Péloponéfe.

XXXVIIS.

D'abord les affemblées fe tinrent à Egium: dans la fuite, felon que les conjonctures Tit. Liv le demandoient, ou qu'il plaifoit au Capitaine Général, tantôt elles fe faifoient à Si- Lib. cyone, tantôt à Argos, tantôt à Mégalopolis. C'eft là que fe déclaroient les guerres, que fe concluoient les Traités de paix ou d'alliance, que fe prenoient toutes les réfolutions, d'où l'on envoioit des Ambassadeurs, où l'on écoutoit ceux des autres Puissances. Le Capitaine Général y préfidoit, affifté de dix autres perfonnes choifies, que l'on appelloit Demiurgi. La charge de Général ne duroit qu'un an, fauf à reprendre dans la fuite celui qui l'avoit auparavant occupée, fi l'on avoit été content de fon adminiftration. Lorsqu'Aratus fut empoisonné par ordre de Philippe, il étoit dans fon) dix-feptiéme Généralat.

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Paufan

Le Gouvernement étoit fondé fur peu de loix. La premiére étoit que l'on ne tien- Polyb. droit d'Affemblée pour aucun Ambassadeur, qu'auparavant il n'eût montré ses inftruc- T. II. tions par écrit. La feconde, qu'aucune Ville de la République n'envoieroit de fon P. 1185. chef & en particulier des Députés à aucune Puiffance étrangére. Par la troifiéme, il in 4étoit défendu dé recevoir des préfens de quelque Roi que ce fût. La quatriéme bor- chaic. noit la durée du Confeil à trois jours, & ordonnoit que le Decret fe fit au quatriéme. Polyb. La derniére portoit qu'aucune Ville n'admettroit perfonne dans la ligue, que toutes les T. 11. autres n'y euffent confenti. P. 181.

Lib.

Ce que fit cette République de plus important pour maintenir fa liberté, fut le Trai- An de té d'alliance qu'elle conclut avec Philippe de Macédoine. Ce Prince avoit brigué cet- Rome te confédération, pendant qu'Annibal étoit en Italie, prévoiant que de quelque côté DXXXVI; que tournât la victoire, il avoit tout à craindre du victorieux. Il ne fe déclara pas Juftin. d'abord, il attendit qu'un parti eût quelque avantage fur l'autre. La bataille de Tra- XXIX. fyméne n'eut pas été plutôt gagnée, qu'il envoia au Vainqueur cette Ambaffade fameu-fe dont Tite-Live rapporte les avantures, & qui fut la caufe de la guerre, que les Ro- Tit. Liv. mains portérent bientôt après dans la Macédoine. Philippe ne fut pas longtems fans fuc- Lib. comber à fa mauvaise fortune. Preffé tout à la fois par Attalus Roi de Pergame, par Marcus Valerius & par les Dardaniens, & ne pouvant tenir tête en même tems à tant Rome d'ennemis, il fit fa, paix avec les Romains, qui aiant Annibal fur les bras, ne furent pas DXLIX. fâchés de pouvoir différer la guerre de Macédoine, jufqu'à ce qu'ils euffent terminé. Juftin. celle qu'ils avoient à foutenir dans leur propre patrie.

XXIII.

An de

Lib.

.DLVII.

Celle-ci finie, fous prétexte de fecourir les Etoliens, Attalus & les Rhodiens, qui XXIX. fe plaignoient de Philippe, on reprit les armes contre ce Prince. Après fa défaite, Fla- An de minius penfa à détacher de lui la ligue des Achéens. Il n'étoit pas aifé d'y réu fir. Rome Ce peuple étoit très-attaché au Roi de Macédoine, il en avoit reçû de grands fecours en différentes occafions; il avoit même, par une loi expreffe, défendu que l'on propo fat rien dans le Confeil, qui fût contre l'alliance que la République avoit faite avec Phi Tom. I.

lip.

Tit. Liv.
Lib.

XXXII.

lippe. Cependant une méchante harangue d'Arifténe, alors Général, l'emporta fur toutes ces confidérations. Philippe fut abandonné, il n'y eut que Dymes, Mégalopolis &. Argos qui tinrent bon pour lui. Effet furprenant du bonheur des Romains: fans cette foibleffe des Achéens, jamais peut-être ils n'euffent mis le pied dans la Macédoine..

Comment des Magiftrats fi clairvoians ne prévirent-ils pas, que les Romains ne leur pardonneroient jamais de s'être déclarés contre eux, & qu'ils leur feroient de leur alLance avec Philippe un crime, qu'ils n'expieroient que par la perte de leur liberté? Ils ne virent leur faute que quand il ne fut plus tems de la réparer. En vain élevérent-ils jufqu'a 'aux nues le Conful, pour la liberté qu'il avoit rendue à la Gréce à Nemée en plein théâtre. En vain fignalérent-ils leur zéle pour les Romains contre Nabis Tyran: de Lacédémone, contre Antiochus, contre les Etoliens & les Gallo-Grecs, ils s'apperçûrent bientôt, qu'en faifant alliance avec les Romains, il ne leur reftoit plus de leur ancienne liberté, qu'autant qu'ils en uferoient pour étendre la puiffance & la domina tion de ces impérieux Maîtres.

Sur des plaintes mal fondées de la part des Mefféniens, Flaminius donna le tort aux Achéens, & fit de fanglans reproches à leur Capitaine Général d'avoir ofé mettre le fiége devant Mefféne fans fon ordre. L'Ile de Zacynthe, qu'ils avoient achetée d'un homme à qui l'on n'en conteftoit pas la propriété, ils furent obligés de la lâcher aux Romains fur une décifion de Flaminius, laquelle condamnoit plus les Romains mêmes Plut. in que les Achéens. Ce Conful compara le Péloponéfe à une écaille, & fes peuples à la tortue qui y eft enfermée ; & là-deffus il prononça gravement, que comme la tortue n'eft en fûreté, contre les infultes du dehors, qu'autant qu'elle ne s'étend pas au-delà de fon écaille, de même il étoit dangereux pour les Achéens de pofféder quelque chofe hors du Péloponéfe. Quel coup de foudre pour le brave Philopoemen!

pio.

Lib.

XXXIII.

XXXVIII.

Tit. Liv. Il eut bien plus à fouffrir dans la fuite. Quand le même Conful rendit, au moins en apparence, la liberté à tous les peuples de la Gréce, il fut réglé que les Achéens auroient la garde de toutes les places maritimes de la Laconie. Les Lacédémoniens, malId. L. gré ce Traité, aiant infulté une bourgade de la côte, toutes les autres places, craignant pour elles-mêmes, envoiérent aux Achéens des Députés. Philopamen, qui gouver noit alors, fit affembler le Confeil, & il y fut conclu qu'on obligeroit les Spartiates à livrer tous ceux qui avoient eu part à l'infraction du Traité. On porte cet ordre aux Lacédémoniens: mais ceux-ci, loin d'obéir, députérent à Fulvius, qui étoit à Cépha lénie, pour le prier de venir dans le Péloponéfe, & de prendre leur ville fous la protection du peuple Romain. A cette nouvelle les Achéens prennent les armes contre ces rebelles, & ne ceffent pendant tout l'hiver de les harceler.

Ibid.

Rbid.

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Pour mettre ordre à ces brouilleries, le Conful vient dans le Péloponéfe, le Confeil par fon ordre s'affemble à Elis, & il y eft défendu aux deux partis de fe faire la guerre, jufqu'à ce qu'ils aient député à Rome, pour favoir les intentions & recevoir les ordres du Sénat. Diophanes & Lycortas y allérent de la part des Achéens: celui-ci plein de zéle pour les intérêts de fa République, & inftruit par Philopomen, demanda qu'il fût permis aux Achéens d'agir felon leurs loix, & d'ufer de la liberté que les Romains euxmêmes leur avoient rendue : l'autre, lâche adulateur, fe contentoit que les Romains fuffent les Arbitres de la conteftation. Le Sénat eut affez de peine à fe déclarer. Il auroit bien voulu qu'il ne fût rien changé de ce qui avoit été réglé au fujet des Lacédémoniens; mais d'un autre côté il craignoit de choquer les Achéens qui étoient à Rome en grande confidération. Le parti qu'il prit, fut de répondre d'une maniére fi équivoque, que les Achéens crurent avoir obtenu tout ce qu'ils fouhaitoient, & que les Lacédémoniens ne leur crurent pas tout accordé.

Au

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