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ginois à la paix. Il fut écouté avec plaifir. On lui envoia les principaux de Carthage, qui conférérent avec lui; mais loin d'acquiefcer à

trop obligé, bien loin de trouver à dire à fa conduite: Encore une fois, une feule victoire qui peut décider d'une guerre dès la premiere campagne, ou dès la feconde, n'eft pas du goût de ces Meffieurs. N'ont-ils pas raifon?

Une victoire décifive qui ne nous laiffe plus rien à faire, ne donne pas le titre de grand & d'excellent Capitaine, au lieu que plufieurs avantages remportés dans l'efpace de plufieurs campagnes, fans aller auffi loin que Xantipe, mettent en grande réputation, & au rang des grands hommes. Il vaut donc mieux laiffer quelque queue aux fuccès d'une campagne, que de la couper tout d'un coup. Il vaut mieux porter pour excufe la maxime de Scipion, qu'il faut faire un pont d'or à l'ennemi vaincu. Echapatoire ordinaire des Généraux, qui cherchent moins à finir la guerre qu'à l'éternifer, & cette maxime, prefque toujours mal appliquée, & dont l'Auteur ne s'eft ja mais fervi, eft la caufe éternelle de l'inutilité des batailles; ceux qui craignent la paix n'ont garde de pouffer au complet, de peur de réduire l'ennemi dans la néceffité de la demander.

Le reproche qu'on a fait à plufieurs Capitaines qui n'ont vaincu qu'à demi, lorfqu'ils étoient en état de tout faire, n'eft pas toujours aufli mal fondé que l'on diroit bien. Si tel, difent les glofeurs, avec un peu de hardieffe & de grandeur d'ame, eût profité de fes victoires, il étoit en paffe de réduire fes ennemis à demander la paix, & très-humblement; ou il lui étoit libre de fe déborder dans fon païs, & d'y faire de grandes conquêtes. Il est vrai que cette médifance eft une felle à tous chevaux, & qu'elle s'applique à tous ceux qui ont fait de grandes actions; mais combien entend-on de femblables médifances, que ceux qui fe font trouvés fur les lieux font en état de juftifier?

Ceux qui ont blâmé le Maréchal de Luxembourg de n'avoir pas fû profiter de la victoire de Fleurus, & qui lui ont appliqué le compliment qui fut fait à Annibal après la bataille de Cannes, l'ont fait à tort: j'apprendrois ce fecret Historique à mes lecteurs, mais il n'eft pas encore tems. Je le réferve pour mes Mémoires, où l'on en trouvera bien d'autres.

Bien des gens ont accufé le Maréchal de MontRevel, qui étoit un Officier d'un très-grand mérite, d'avoir négligé de couper court à la guerre des Fanatiques lorfqu'il le pouvoit. On prétendoit que cette guerre étant une abondante moiffon de piftoles pour le Général, il n'avoit garde de fe trop preffer. C'étoit la matiére des lettres & des difcours de fes ennemis. Le fieur Tenicn, Curé de Montpezat, lui propofa plufieurs fois les moiens de terminer cette affaire,

rien

d'exterminer & d'enveloper ces rebelles jufqu'au dernier dans le même piége. Bien loin de l'écouter, il s'en moqua, & le renvoia à l'office du jour, pendant qu'il s'amufa & fit fon capital d'elever des potences dans Nifmes, & d'y faire pendre une infinité de malheureux de tout fexe, qui n'avoient aucune part dans la rebellion. Il n'avoit d'autres crimes à leur reprocher, finon qu'ils chantoient les Pfeaumes. I auroit pû fe difpenfer de tant de fupplices, c'étoit faire un très-grand tort aux affaires du Roi; car par ces exécutions il anima encore plus les rebelles à courir à la vengeance de leurs freres, par une guerre fans quartier. Il eût mieux fait de courir au plus preffé. Cette conduite lui attira des ennemis en foule; & les Eccléfiaftiques s'étant mis de la partie, ils écrivirent à la Cour, qui lui renvoia toutes ces lettres, felon la politique du Ministére de ce temslà, excellente pour ne jamais rien favoir de tout ce qui fe paffe dans les Provinces & dans les armées; on ne laiffa pas que de révoquer ce Gé néral, & d'envoier le Maréchal de Villars à fa place. Dès que Mont-Revel vit qu'il ne tenoit plus à rien, il eut recours à l'Office du jour, c'est-à-dire au Curé de Montpezat. Il écouta les avis de cet honnête homme, qu'on avoit fi fort méprifé; il fe mit en campagne, avec fon projet dans la tête; & bien qu'il ne le voulût pas éxécuter en entier, il ne laiffa pas que de tailler en piéces une partie de ces fcélérats, les autres aiant trouvé des iffuës qu'on négligea de fermer: de forte qu'il laiffa affez de befogne au Maréchal de Villars, pour mériter l'honneur d'avoir terminé une guerre fi furieufe & fi incommode. Celui-ci la finit d'autant plutôt, qu'il y alla du bon pied, & fe gouverna par des maximes bien différentes de celles de fon prédéceffeur. Il fe fit aimer & eftimer de tout le monpe par fa douceur & par fa conduite; mais de peur que l'imagination de mes lecteurs n'aille trop loin, je les avertis que les ennemis du Maréchal de Mont Revel ne lui rendirent pas toute la justice qu'il méritoit. Il ne fit rien de fa tête, il avoit des ordres; le Confeil de Confcience s'étoit imaginé que les éxemples d'éxtrême févérité feroient d'un grand effet, & intimideroient ces furieux; mais comme on s'apperçut que cela faifoit un effet tout contraire, on changea de batterie & de Général. Le Maréchal de Mont-Revel n'étant point coupable, fut envoié commander à Bourdeaux, où revenant dans fon état naturel, il fe fit autant aimer dans la province de Guienne, qu'il s'étoit fait craindre dans l'autre, contre fon intention. Mes Lecteurs ne manqueront pas de croire ici que M. Tenien, après l'avis falutaire

rien de ce qu'on leur difoit, (a) ils ne pouvoient fans impatience entendre les conditions infupportables que le Conful vouloit leur imposer.

qu'il avoit donné, devint plus gros Seigneur que n'étoit un Curé de Montpezat. Car que ne meritoit pas un tel fervice, & que coûte-t-il à la Cour pour récompenfer un homme d'Eglife? I faut les défabufer, le ficur Tenien demeura Curé comme devant.

(a) Ils ne pouvoient fans impatience entendre les conditions infupportables qu'il vouloit leur impofer.] Toutes les fois que je me repréfente cet air de hauteur & de mépris avec lequel Régulus traite de la paix avec les Députés de Carthage, & les conditions dures & infupportables qu'il veut leur impofer, comme s'il ne leur reftoit d'autres reffources pour fe fauver, que de fe rendre à la difcrétion du vainqueur: toutes les fois, dis-je, que je penfe a cette conduite du Romain, & à quoi il eft affujetti lui-même peu de tems après, cela me rappelle une maxime d'Efope. On lui demandoit quelles étoient les occupations ordinaires de Jupiter. Il abaiffe les chofes hautes, répondit-il, éléve les chofes kaffes. Voilà en deux mots l'abrégé de l'Hiftoire humaine. Le monde est un véritable jeu de bacule, & ceux qui y jouent les premiers rolles y réuliffent le mieux. Ils cominencent, ils finiffent, ils fe relévent & retombent. Heureux ceux qui voient ce jeu fans être obligés d'y prendre part.

Les Deputés de Carthage fe retirent indignés des propofitions du Proconful. Ils aiment mieux périr les armes à la main, que de fubir la pefanteur du joug dont il prétendoit les charger. Le mépris qu'il femble qu'on fait de nous, produit des effets furprenans dans les hommes véritablement courageux, quoique vaincus & atterrés. Les reffources naiffent fouvent des grands périls, & de l'extrémité de nos affaires. Régulus s'imagi ne follement que la prife de deux villes & deux grandes victoires gagnées, l'une fur mer & l'autre fur terre, reduiront fes ennemis à fe foumettre à tout ce qu'il lui plaira de leur impofer. Il n'en vifage que ce qu'il y a de trifte & de fâcheux dans ceux avec lefquels il traite, fans penfer au jeu de bacule, & combien le parti des défefpérés, à quoi l'on nous oblige, nous éléve & abaiffe les

autres.

C'est ce qui arriva aux Alliés contre la France, aux négociations de Gertruydemberg en 1710. Se peut-il rien voir de plus conforme à celles de Rome & de Carthage? Ils nous propofent des conditions honteufes & impoffibles; nous leur en propofons d'autres qui levent cette impoffibilité, fans en ôter la honte & le deshonneur; elles étoient triftes & fâcheules. Mais la néceffité nous les extorque, ou plutôt l'ignorance de nos reffources. Nous n'envifageons que nos difgraces paflees, fans en connoître la caufe, ni les moiens de les réparer, & ces moiens étoient aifés en

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En

changeant notre façon de faire la guerre, & en ufant d'une politique un peu moins timide: car c'est par là que nos maux parurent tout à découvert, quoiqu'ils fuffent moins grands que le bruit de la renommée ne les faifoit. Nous propofons des conditions fort au deffous de nos forces, & aufquelles nos ennemis ne s'étoient jamais attendus, car ne tenions-nous pas alors au bout de nos armes la reffource dont les Carthaginois s'étoient fervis? N'avions-nous pas un Xantipe en France dans le Maréchal de Villars, comme les Carthaginois en Afrique? Les Alliés font furpris de nos propofitions fans le faire paroître. Ils nous croient aux derniers périls. Ils s'imaginent que nous nous foumettrons à quelque chofe de moins fupportable. Ils appefantiflent tous les jours le joug par des demandes plus onereutes; elles deviennent enfin ridicules. Il ne s'agit de rien moins que de detrôner un Roi légitime: & fi l'on demande quel étoit le véritable objet, & les différentes vûes de chacun des ligués contre les deux Couronnes, on répondra la trop grande puillance de la France; mais dans le fond c'étoit le partage imaginai re de la Monarchie Efpagnole à l'égard des Indes, & l'affoibliffement de l'autre par la ceffion de nos conquêtes. Ils partagent la peau de l'ours. Ils l'ont bleffé, mais il n'a pas reçû de coup mortel, On le croit mort à Gertruydemberg, il leur écha pe peu de tems après. Lorfqu'ils croient le tenir, ils le voient revenir fur la voie, reprendre de nouvelles forces, & regagner les campagnes & lo fort d'où il a été chasse.

L'orgueil de nos ennemis eft tel, qu'à peine daignent-ils nous parler: femblables à ce Romain, dont parle Tacite, qui ne daignoit jamais parler à fes efclaves, de peur de fouiller fa langue. Ils fe font longtems attendre au Congrés. A la ma niere des Empereurs Romains, il faut leur écrire, On ne vit jamais tant de fuperbe. Un ou deux Députés de Hollande font le perfonnage de Régulus, ils nous impofent les conditions les plus dures de leur part, comme de celle des Puillances unies contre nous, dont ils feront bientôt les dupes. Ils parlent en maitres. Ils croient que tout ce qu'ils nous accordent doit être reçu comme une grace, & avec reconnoiffance. La dureté des conditions, aufquelles ils vouloient nous foumettre, fit notre falut, comme elle fit celui des Carthaginois. On les rejette avec indignation. Nos Plenipotentiaires fe retirent; & quoique nos affaires femblaffent defefpérées, on trouva des refources aufquelles on ne fe feroit jamais attendu. Le changement du Ministere dans la guer re, comme dans les Finances, renouvelle la face des affaires, & la defection des Anglois du parti de la ligue nous remit fur nos avantages. L'action de Denain renverfa toutes les efperances, &

fit

En effet Régulus parloit en maître, & croioit que tout ce qu'il vouloit bien accorder, devoit être reçû comme une grace & avec reconnoiffance. Mais les Carthaginois voiant que quand même ils tomberoient en la puiffance des Romains, il ne pouvoit rien leur arriver de plus facheux que les conditions qu'on leur proposoit, ils fe retirérent non feulement fans avoir confenti à rien, mais encore fort offenfés de la pefanteur du joug dont Régulus prétendoit les charger. Le Sénat de Carthage, fur le rapport de fes Envoyés, réfolut, quoique les affaires fuffent défefpérées, de tout fouffrir & de tout tenter, plutôt que de rien faire qui fût indigne de la gloire que leurs grands exploits leur avoient acquife.

fit expirer cette ligue formidable. Je ne vois rien de plus mortifiant pour nos ennemis, & de plus glorieux pour la France accablée de leur nom bre. Ils vouloient tout à Gertruydemberg, peu s'en faut qu'ils n'aient rien à Utrecht. La paix fe fait, & chacun fe trouve dans une égale condition de ruine & d'épuisement.

Ce qui est arrivé par la fuite, entre la France & l'Espagne, a fait voir aux Hollandois, (les auteurs & les premiers mobiles de cette guerre,) qu'ils avoient mal raifonné, & ignoré leurs véritables intérêts. Qu'ont-ils fait que changer de voifin contre un autre qui n'eft pas moins redoutable, le feul qui ait profité dans cette guerre, & dont la puiffance eft fort au deffus de cel

le qu'avoit la France fous le regne de Louis XIV. Concluons de tout ceci, que lorsqu'un ennemi victorieux offre des conditions onereufes au vaincu, & qu'il veut tout avoir, il faut se réfoudre à tout perdre. Régulus avoit écrit à Rome qu'il tenoit les portes de Carthage comme fcellées par la crainte. Il la regarde comme une con. quête qui ne lui peut échaper. Il veut tout avoir & ne rien perdre, & fait fi bien par fes hauteurs, qu'il réduit fes ennemis au parti des désespérés. Ils fe refolvent à fe fauver, ou à tout perdre. Ils fe fauvent effectivement; le défefpoir fait leur falut, & l'orgueil de Régulus la perte de fa liberté, celle de fa gloire & de la réputation, & la ruine entiére de fon armée.

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Polybe trop concis dans l'abrégé qu'il fait de cette action. Importance de connoître les lieux quand on écrit l'Hiftoire.

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Olybe paffe fort légérement fur cette bataille. Il écarte plufieurs circonftances effentielles, & ces circonftances me font extrêmement regretter ce qu'il auroit pâ nous apprendre d'une action fi célébre. Car tout ce qui opére des furprifes d'armées, eft très-intereffant dans l'Hiftoire. Ce font des morceaux qu'on ne fauroit étendre ni 'conferver avec trop de foin. C'eft, je penfe, dans ces feuls cas qu'un Hiftorien abreviateur peut fe permettre la liberté de s'écarter, & de courir au large tant qu'il lui plaît. On s'étonnera peut-être que j'ofe qualifier Polybe d'Hiftorien abreviateur; il l'eft fans doute dans fes deux premiers Livres: car il nous avertit dès l'entrée, qu'il ne les donne que pour fervir d'introduction à fa grande Hiftoire. On avouera pourtant que marche

fa

marche n'eft pas toujours égale. Il fait fouvent des haltes très-longues en des endroits où elles auroient pû être plus courtes. On ne doit pas le trouver mauvais. Mais n'eût-il pas mieux vallu qu'il s'arrêtât uniquement fur les faits d'où dépendent les événemens les plus extraordinaires & les moins prévûs?

La bataille d'Ecnome eft un grand fujet, & décide d'un grand deffein. Auffi la représente-t-il dans toute fon étendue. Cela eft en fa place. Mais celle d'Adis méritoit-elle moins d'être décrite avec la même éxactitude? Je ne fai pourquoi il se resserre fi fort fur un fait fi rare; car puifqu'il avoit voiagé exprès, & s'étoit porté fur les lieux où s'étoient paffées les grandes actions, pour ne rien écrire dans fon Hiftoire qui ne fût conforme à la verité; combien nous auroit-il pû dire de chofes qu'il nous laiffe à deviner? Puifqu'il avoit voiagé en Afrique, felon qu'il le dit lui-même, rien ne l'empêchoit de fe porter à Adis, d'en éxaminer les environs, & la colline fur laquelle les deux armées combattirent; il lui eût alors été aifé de mettre en ufage fes propres conjectures, de juger du projet de l'entreprife, & de la difpofition des deux armées par celle des lieux. Un homme du métier, habile & expérimenté, eft capable de fuppléer par ce qu'il voit, à ce qui n'a pâ venir à fa connoiffance qu'il n'a pû comprendre dans les mémoires ou les lettres des Officiers particuliers, ou des Généraux d'armées. L'infpection des lieux aide extrêmement un Hiftorien militaire, tout s'éclaircit & tout fe débrouille à la vûe des objets. Un Officier qui veut écrire l'Hiftoire de fon tems, n'a pas un meilleur parti à prendre. Qui voudroit écrire le combat de Fribourg, de Senef, ou la bataille de Malplaquet, n'en écriroit jamais avec éxactitude s'il ne prenoit ce parti. On lit alors avec beaucoup de plaifir, on eft comme transporté fur les lieux. Qu'on life Herodote, Thucydide, Xenophon, Polybe lui-même; car il ne tombe pas toujours dans le défaut que je lui reproche ici ; & pour venir jufqu'à notre tems, qu'on life l'Auteur anonime des deux dernieres campagnes de M. de Turenne, Auteur qui pour le moins va du pair avec les grands hommes que je viens de citer; on verra, à n'en pouvoir difconvenir, combien la connoiffance des lieux répand de clarté & d'agrément dans le récit d'une action militaire.

Polybe a donc grand tort d'avoir manqué d'éxactitude dans une action auffi célébre que celle d'Adis car il n'eft rien de plus rare qu'une furprise que l'on tente fur une armée. Malgré tout cela, ce qu'il nous apprend de cette grande action, n'eft pas fi peu confidérable, qu'on n'y puiffe faire des obfervations. C'eft ici une occafion de traiter des furprises d'armées : & cette matiere eft fi curieufe & fi importante, qu'il ne peut fe trouver trop d'occafions de l'aprofondir.

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A qu

Inutilité d'une armée de fecours quand elle refte dans l'inaction,
quelque pofte qu'elle occupe.

Près la prise d'Afpis, Régulus fongea à ne laiffer aucune place derrière lui} pût l'inquiéter dans le deffein qu'il avoit de marcher à Carthage. Il s'approche d'Adis dont il fait le fiége. Sur ces nouvelles les Généraux Carthaginois fe mettent en campagne, avec une armée plus propre à tenir les plaines, qu'à combattre dans un païs de montagnes très-âpres & très-difficiles. Il leur importoit de les traverfer pour aller à l'ennemi, & fecourir la place; ils s'y déterminent, & les paffent heureufement. Les voilà arrivés, & fur les hauteurs qui bordoient la plaine; rien ne les empêchoit d'y defcendre, & d'attaquer les Romains dans un naïs favorable à la Cavalerie & aux éléphans. Ils n'en font pourtant rien, & le tems s'écoule. Ils s'étoient

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campés

campés fur une hauteur très-avantageufe, & d'un accès très-difficile , comme s'ils n'étoient venus que pour faire voir à l'ennemi qu'ils s'entendoient parfaitement dans la fcience des poftes, & lui apprendre par leur inaction ce qu'il y avoit de mieux à faire pour fe délivrer de leur voifinage.

Quel pouvoit être leur deffein? Je ne faurois bien le dire; l'entreprise hardie de Régulus me feroit affez foupçonner qu'il craignoit qu'on ne lui coupât les vivres, fi cela n'étoit déja fait. Ne craignit-il pas plutôt qu'on ne jettât quelque fecours dans la place? Je le croirois affez: car fi les Romains euffent perdu le chemin de leurs vivres, Polybe n'eût pas manqué de nous en informer; ce ne font pas là des faits, qu'un Hiftorien auffi éxact que le nôtre, puiffe jamais écarter, s'il les fait. Difons plutôt que Régulus eut affaire à de très-mal-habiles Généraux, qui s'imaginérent qu'il leur fuffifoit de jetter un fecours dans la place. C'eft quelque chofe en apparence; par là on incommode, on inquiéte & harcé'e les affiégeans: mais tout cela dans le fond ce n'eft rien, quoiqu'on s'imagine aujourd'hui que ce foit beaucoup. Qu'y gagne-t-on lorfqu'on a en tête un ennemi opiniâtre qui ne céde point, & qui foule aux pieds tous les obftacles, quelque infurmontables qu'ils paroiffent? Qu'en arrivet-il? On retarde de quelques jours la prife de la place, & puis c'eft tout. Si les Carthaginois n'avoient paffé les montagnes que dans le deffein de faire un tel coup, cela me femble bien peu fensé dans une telle conjoncture. Le voifinage d'une armée de fecours, qui arrive fubitement, & qui refte enfuite dans l'inaction tiffement aux affiégeans de prendre de bonnes mefures, & de fe tenir fur leurs gardes; est un averc'eft d'abord la premiere chofe à quoi l'on penfe: après qu'on eft délivré de ces précautions incommodes, on pense à faire plus, parce qu'on nous donne tout le tems de chercher & d'imaginer, s'il n'y auroit pas quelque chofe de mieux à faire, & on n'imagine pas inutilement. On tâche d'être bien au fait des forces de l'ennemi, on fait reconnoître la nature & la fituation du païs pour aller à lui, & celle de fon poste ; on s'apperçoit enfin qu'on peut entreprendre deffus, & l'on s'y réfout.

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Le Conful Romain s'apperçut bientôt que la plus grande partie des forces des Carthaginois étoient inutiles dans le pofte qu'ils occupoient. Il conclut de là que des gens, qui fe gouvernoient de la forte, avoient bien moins d'envie d'engager un combat que de l'éviter. A la guerre on ne juge pas autrement de pareilles conduites. Les Généraux Carthaginois fe crurent très-bien & très-avantageufement poftés. Les camps, qui nous paroiffent les plus affurés, les plus impraticables, & d'un abord le plus difficile, font ordinairement ceux qui prêtent le plus à la furprife, & fur lefquels l'on entreprend avec plus d'affurance de réuffir. Cette maxime eft inconteftable. Je ne fais aucun doute que nos gens de la montagne n'en avoient jamais ouï parler. Ils ne penférent à autre chofe qu'à inquiéter les Romains dans leur camp, dans leurs fourages, ou dans leurs vivres, objet bien mince pour des forces fi confidérables. Mais ceux-ci, qui n'étoient pas d'humeur à laiffer prendre aucune forte d'avantage fur eux, & qui craignoient d'ailleurs que leurs ennemis ne fe ravifaffent, & ne defcendiffent dans la plaine, fongent à une entreprife fur leur camp qui ne leur parut pas inabordable.

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