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tête des ennemis d'une prévoiance & d'une expérience un peu moins bornée. Il faut cependant avouër que la défaite du premier lui eût été toujours glorieufe. On eût dit qu'aiant fait tout ce qui dépendoit de l'habileté d'un Capitaine fin, rufé & entrepre→ nant, il méritoit de réuffir. Nous ne tiendrions pas, je penfe, un femblable langage à l'égard du fecond, it prêtoit un peu plus le flanc à la glofe fans la mériter. On voit par ce qui préceda cette grande action, quel eft le poids & la force d'un feul moment à la guerre, & par conféquent de plufieurs momens; car pour être parti une heure ou une demie heure plus tard, ce qu'il ne pouvoit éviter, il faillit à tout perdre, s'il n'eût réparé ce contre-tems, qui ne fembloit rien, par la grandeur de fon courage & par fa conduite. Apprenons de là qu'un habile Général n'eft jamais furpris. Pallons maintenant aux fautes des Généraux Carthaginois.

§. V.

Faute des Généraux Carthaginois. Il ne faut approcher d'une place affiégée que dans le deffein de la délivrer par quelque action de vigueur. Secours de Douai.

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L eft évident que les Carthaginois ne fe déterminérent à traverfer les montagnes que dans le deffein de fecourir Adis: & s'ils changérent de fentiment moins par les obftacles qu'ils rencontrérent dans leur entreprise, que par leur ignorance, & plus encore par leur lâcheté.

La présence de l'ennemi, dans un Chef habile & véritablement courageux, lui ouvre l'efprit, & lui fournit des reffources infinies, aufquelles fans cela il n'auroit jamais penfé. Elle produit un effet tout contraire dans un malhabile & un lâche; il ne voit que dangers & qu'embarras dans fon entreprife: de là naît l'incertitude & l'indétermination; il ne fait quel confeil prendre, & cependant le tems s'écoule, & toutes ces belles résolutions prifes loin du péril s'évanouiffent & s'en vont en fumée.

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Si les Généraux Carthaginois n'euffent été dans le deffein de fecourir la place par une action d'éclat, fe fuffent-ils expofés à être attaqués dans ces défilés, en cas que les Romains avertis fuffent tombés fur leur marche? Et s'ils avoient un tout autre deffein, comme ils ne l'eurent jamais, ce qu'on ne remarque que trop par leur miférable conduite, ils euffent très-embaraffé Régulus dans fon fiége. Peut-être n'en fûtil pas forti à fon honneur. Ce deffein eft aifé à comp endre: il n'y en avoit pas plus efficace que de tenir la campagne, de fe faifir de tous les paffages des montagnes, de répandre leur cavalerie dans les plaines, de refferrer les affiégeans & les inquiéter dans leurs fourrages, d'intercepter leurs convois, de couper la communication qu'ils avoient avec Aspis, d'où ils tiroient leur fubfiftance, & de les bloquer par mer & par terre en cas qu'ils n'en pûffent pas faire le fiége. Quand même ils n'auroient fait ni l'un ni l'autre, ils obligeoient les Romains de lever leur fiége, ou du moins ils le retardoient; ce qui eft toujours mieux & plus honorable que de ne rien faire, & de finir par une honteufe défaite.

Il est toujours honteux de marcher au fecours d'une place affiégée, fi l'on n'eft dans la réfolution de la délivrer par quelque action de vigueur: fi l'on fait le contraire de ce qu'on s'eft réfolu, rien ne nuit davantage à notre réputation, & les conféquences d'une telle conduite font toujours dangereufes. La crainte de l'ennemi fe tourne peu à peu en mépris, & ce mépris produit à la fin des coups de réfolution, aufquels on ne fe feroit jamais attendu. Régulus nous en fournit un bel éxemple, & cet éxemple n'eft pas le feul: l'Hiftoire eft toute remplie d'événemens tout femblables à celui d'Adis. Si l'ennemi ne tente rien fur nous, il preffe fon fiége autant qu'il lui eft pof

fible, & fon courage augmente à proportion de la crainte qu'il remarque en nous. Les affiégés qui nous voient dans une honteuse inaction, & fpectateurs de leurs miféres & de leurs périls, fe laiffent abattre, perdent tout efpoir d'être fecourus; & lorfque la place eft renduë, on répand fur le Général les reproches les plus chagrinans. Cela lui fait fouvent beaucoup plus de deshonneur qu'il n'y en a, lorfqu'il fe trouve lié par les ordres de la Cour, qui l'empêchent de rien hazarder. Un Général fe trouvant bridé de la forte, feroit beaucoup mieux, pour fon honneur, de s'éloigner du fiége que de s'en approcher. Car en s'en approchant, fans aucun ordre de combattre, on s'expofe à combattre au gré de l'ennemi, & non pas au nôtre; ce qui est un très-grand defavantage.

Le Maréchal de Villars s'expofa terriblement en marchant au fecours de Douai en 1710. fi le cœur en eût dit aux Généraux Alliés, ou pour mieux dire, s'ils euffent connu leurs avantages. Le Général François avoit apparemment des ordres précis de ne point combattre, autrement la démarche qu'il fit ne ferviroit qu'à nous convaincre, que l'on ne peut pas être homme, & ne pas quelquefois fe démentir. Car indépendamment de ces ordres, il femble qu'il fit une faute de s'être fi fort approché de l'ennemi: peut-être le fit-il à deffein, pour lui donner envie de l'attaquer & de combattre en rafe campagne, fans qu'on pût lui imputer d'avoir outrepaffé fes ordres. L'éxemple ne déplaira pas aux gens du métier, par la raifon de fa fingularité & des inftructions qu'il renferme : l'on y verra même que Milord Marlborough, que l'on a comparé à Céfar dans fa guerre des Gaules, quoiqu'il n'en approchât pas de cent lieues, tout habile & tout éclairé qu'il étoit, ne laiffoit pas que de broncher quelquefois auffi lourdement que bien d'autres qui en favoient moins que lui.

Les Alliés voiant qu'il leur feroit difficile de réuffir dans le deffein qu'ils avoient de pénétrer en France, fi Douai ne leur en ouvroit les routes, firent tous les préparatifs néceffaires pour une fi grande entreprife. Il y avoit de très-grands obftacles à furmonter. La Deule étant par tout impraticable, & bordée de marais en deçà, & plus encore en de-là, l'ennemi n'en pouvoit approcher que par quelques chauffées trèsétroites: ajoutez à cela qu'il leur falloit forcer un très-bon retranchement, ouvrage de la campagne précédente, & qui regnoit tout le long des bords de la riviére. D'un autre côté nous avions, pour nous défendre, des avantages infinis, mais nous ne les reconnûmes pas, quoiqu'ils nous euffent paru très-redoutables, fi nous euffions été à la place des ennemis. Ceux-ci ne doutérent jamais que nous ne nous portaffions fur la Deule pour en défendre le paffage; car à ne juger de ce pofte que par les principes de la lumiére naturelle, ce parti devoit être le feul que nous dûffions prendre pour rendre tous leurs efforts inutiles. Sur ces confidérations ils ne virent rien de mieux à faire, pour réuffir dans un deffein de cette importance, que de nous prévenir fur cette riviére par une campagne prématurée, qui ne nous donnât pas le tems d'affembler toutes nos forces, ou du moins un corps affez puiffant pour nous opposer à tout ce qu'ils pouvoient tenter fur un front de deux ou trois lieuës.

Le Maréchal de Montefquiou, qui commandoit fur la frontiére de Picardie, aiant informé la Cour que l'armée des Alliés s'affembloit à Fromion, entre Lille & Tournai, on jugea bien qu'elle alloit tomber fur Douai pour en faire le fiége. Ce Général fe met en campagne avec un corps de troupes très-confidérable, il n'y avoit perfonne qui ne crût qu'il fe porteroit fur nos lignes de la Deule, & qu'il attendroit les ennemis dans un pofte fi vifiblement inabordable. Il n'en fit rien. Il n'eft cependant pas poffible qu'habile & éclairé comme il étoit, il ne fe fût pas apperçû de la facilité où il fe trouvoit de s'oppofer à tous les mouvemens des ennemis, & de les prévenir par tout où ils pouvoient fe porter, & qu'au contraire ceux-ci avoient des mouvemens infinis à

faire dans un païs de défilés, de bois & de marais impraticables, outre la Deule qu'il leur falloit paffer pour entrer dans la plaine de la Baffée: on eut beau faire voir au Maréchal qu'il n'avoit que ce parti à prendre, & qu'il étoit aifé, puifqu'il n'avoit que quelques chauffées à défendre; que s'il méprifoit fi fort les yeux d'autrui, il fe portât fur les lieux, & les reconnût par lui-même. Rien ne fut capable de l'engager à mettre à couvert un pofte fi avantageux. Les ennemis, ravis d'apprendre que les lignes de la Deule font abandonnées, arrivent fur cette riviére, la paffent diligemment le 20. Avril à Pont-à-Ventin, & le 22. un grand corps de leurs troupes marche au Maréchal, qui s'étoit pofté proche de Vitri, derriére la Scarpe, où il fe croioit invincible & le mieux du monde, il eft attaqué & battu tout en même tems, ne fe doutant pas même qu'il dût l'être; & comme les furprifes ne font pas trop favorables aux équipages, il en perdit la plus grande partie. Les ennemis, contens d'un fi beau début de campagne, profitérent du tems, & la place fut inveftie le 23. Avril 1710.

A cette nouvelle le Maréchal de Villars affembla fon armée fous Cambrai, réfolu de marcher droit aux ennemis, & de n'en pas faire à deux fois; il le difoit hautement, & n'en faifoit aucun miftére; ce qui me fit douter qu'il parlât tout de bon, & que le fentiment de la Cour fut qu'il hazardât une bataille. J'avance ceci de mon chef & par conjecture, car je n'ai jamais pû découvrir fi véritablement le Maréchal avoit ordre de ne rien faire: ce qui me le feroit croire, c'eft que la Cour appuioit beaucoup fur les confeils du Maréchal de Bervick. Or le fentiment de celui-ci étoit de ne rien hazarder, dans une conjoncture cependant, où la vivacité étoit une très-grande fagefle. Quoiqu'il en foit, nous marchons droit aux ennemis, nous paffons la Scarpe à Arras au beau plein jour, fans qu'il parût que les ennemis en euffent la moindre nouvelle. Nous entrons dans la plaine d'Iffe fur vingt colonnes, l'armée fe met en bataille felon la méthode ordinaire, c'eft-à-dire la cavalerie fur les ailes, & l'infanterie au centre, fans faire réfléxion que ce que nous avions de plus fort & de plus redoutable à notre droite, où étoit l'élite de notre cavalerie, fe trouvoit inutile de ce côté-là. Cette droite de cavalerie, & une partie de celle de l'infanterie, s'étendoient en ligne oblique jufqu'à la Scarpe, où elle appuioit, à caufe d'un crochet que les ennemis formoient à leur gauche, qui nous empêchoit de nous ranger fur un front paralléle avec l'ennemi, de telle forte que cette droite en étoit fort éloignée.

On étendit la gauche au ruiffeau de Lens, entre Noyele & cette ville, au marais,' qui regne le long de fes bords jufqu'à fon confluant dans la Deule. Cette gauche fe trouvoit fort près du camp de Milord Duc. Nous avions en face la hauteur de Bois-Bernard, qui couvroit prefque tout le centre de notre infanterie, & qui empêchoit qu'on ne pût voir, & notre difpofition, & tous les mouvemens que nous pouvions faire à ce centre: avantage ineftimable pour un Général fin & rufé, & qui ne fuit pas la route ordinaire.

Cette hauteur s'élevoit doucement jufqu'à la cenfe de Bois-Bernard, où elle formoit une petite plaine pelée & unie, qui faifoit le haut du côteau, & qui continuoit dans toute fon étendue. Ses deux extrémités tomboient en pente infenfible, celle de la droite alloit finir à un grand ravin très-profond & d'un abord très-difficile, qui commençoit un peu au deffous du château de Vilerval, que nous avions derriére la ligne vis-à-vis notre centre, & alloit finir au village d'Iffe, qui étoit entre les deux camps. Ce ravin partageant & coupant la plaine en deux, rompoit prefque la communication de nos deux aîles. Ce defavantage eût été très-confiderable fi nous euffions été attaqués.

La gauche de la hauteur alloit fe perdre d'une même pente dans la plaine, à mille pas environ du marais, où notre gauche étoit appuiée.

Tom. I.

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Pendant que l'armée fe forme dans la plaine, le Maréchal de Villars s'avance fur la hauteur de Bois-Bernard, d'où l'on découvroit toute l'étendue & le terrain où les ennemis étoient en bataille, & tous les mouvemens qu'ils pouvoient faire fur tout le front de leur armée. Nous avions la hauteur fur eux à notre centre; bien que cet avantage ne regardât que notre canon, il ne laiffoit pas que d'être fort confidérable avant & même pendant le combat. Il y avoit plus que cela, c'eft qu'on remarqua à leurs manoeuvres embaraffées, qu'ils ne s'étoient pas attendus à la marche hardie de l'armée de France; & leur canon étant encore au parc, on ne doit point douter qu'ils ne fuffent furpris. Voici leur ordre de bataille.

Ils avoient à dos leurs lignes de circonvallation, & la Deule. J'ai déja dit que leur gauche s'étendoit jufqu'à la Scarpe au village de Vitri, & leur droite aux marais du canal de Lens: de forte que les deux armées étoient également affurées à leurs aîles. Voilà quant à la fituation du païs, voici quant à l'ordre de leurs troupes. On peut bien juger qu'il n'y aura rien de fort nouveau. Ils fe rangérent fur deux lignes & une groffe réferve, la cavalerie fur les ailes, & l'infanterie au centre. L'une & l'autre avoient en front une ligne de redans qu'ils avoient tirés d'efpace en efpace, traverfant la plaine de leur droite à leur gauche. Le moindre de ces redans étoit capable de contenir un bon bataillon. Cette bordure n'eût pas laiffé d'être incommode, fi ces ouvrages euffent été achevés. Il me parut trois lignes à la droite de leur cavalerie, foit qu'ils craigniffent que nous ne fiffions un plus grand effort de ce côté-là, ou qu'ils euffent deffein de le faire eux-mêmes. C'eft tout ce que nous pûmes remarquer de leur ordre: je ne le donne pas pour une réalité, car il fe faifoit tant de mouvemens le long de leur ligne, & fur tout au centre, que je ne vis prefque rien de fixe.

Cette difpofition étoit excellente contre une autre toute femblable, & ces redans très à redouter. Je fuis perfuadé qu'en combattant felon la méthode de nos ennemis, dont tout l'avantage eft dans leur feu, nous pouvions être battus; mais la maniére d'attaquer que j'avois propofée, ne confiftoit pas feulement dans l'avantage de l'arme blanche, mais encore dans celui de l'ordre, comme je le dirai bientôt.

Ces redans inquiétérent & occupérent longtems le Maréchal, non qu'ils fuffent infiniment dignes de fon attention, mais parce qu'il plaifoit à certaines personnes, qui difoient les avoir vûs de fort près, de les groffir & de les perfectionner dans fon efprit, & par contrecoup dans la tête des autres. Je crois que le Maréchal s'en fût peu foucié, s'il n'eût craint de prendre un peu trop fur lui, & de mettre les affaires en péril.

La plupart de ceux en qui il fe confioit le plus, & dont le caractére étoit de ne faire aucune différence du facile au difficile, & de celui-ci à l'impoffible, alléguérent toures les raifons & les lieux communs dont on fe fert ordinairement pour diffuader une bataille, & qui n'ont été que trop ordinairement alléguées vers la fin de cette guerre: mais n'en déplaife à ces Meffieurs, le fage Catinat & le Maréchal de Villars raifonnoient mieux, lorfqu'ils difoient quelque tems auparavant, qu'en perdant une place de la conféquence de Douai, nous nous verrions en deux campagnes, & peut-être même la fuivante, dans la trifte néceffité de courre les rifques d'une action générale qui décideroit du tout, peut-être en lieu défavantageux. Mais toutes ces raifons, quelques fenfées qu'elles puffent être, ne furent d'aucun effet: les lettres qu'on écrivoit fans ceffe de l'armée, & les lieux communs, fi en vogue alors, & dont on avoit la tête toute remplie, firent abandonner cette entreprife, qui, au jugemenr des connoiffeurs, étoit une de celles qu'un habile Chef d'armée n'a garde de laiffer en arriére, lorfqu'elles fe préfentent, & que des ordres fupérieurs ne le brident point.

J'ai déja remarqué que la plaine où nous étions campés, étoit partagée à notre centre

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