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Comme les villages font ce qu'il faut le plus éviter dans une bataille, & que fa victoire ne dépend pas de leur attaque, mais d'un centre ouvert, ou d'une aîle fautée hors, évite ici d'y aller fouiller. Bien qu'un centre percé & ouvert par un puiffant corps de troupes (8), décide du fuccès d'une journée, il eft plus fûr de tenir en échec & en crainte les aîles, pour empêcher les fecours que le centre en pourroit tirer. Je forme un corps du refte de ma cavalerie à la droite de l'ennemi (8), les efcadrons (9) appuiés aux deux colonnes (10), & une autre au centre (11) d'une feule fection. Ces efcadrons feront entremêlés de pelotons comme ceux de la feconde ligne (12). Ce corps ne chargera que lorfque l'affaire fera tout à fait engagée; mais comme il pourroit faire un contre-tems, on doit ufer de fignaux, & les fufées font toujours les meilleures dans les affaires de nuit. Les troupes du premier détachement (13), dont j'ai parlé plus haut, feront une fauffe attaque du côté du village (14), fans en approcher, pour tenir les deux aîles en échec. Le canon doit tirer principalement du côté des ailes, & toujours en écharpe.

Voilà l'ordre & la diftribution d'une bataille nocturne. Ceci mérite une analyfe; les Officiers expérimentés la feront bien fans que je m'en mêle, mais les autres ne la feront pas, & les premiers y feront embaraffés, s'ils ne font au fait de mon principe des colonnes, il faut du moins qu'ils en aient une bonne idée, & les autres plus que cela.

La premiére régle à la guerre, ou pour mieux dire, l'axiome inconteftable fur lequel on ne fe fonde pas aujourd'hui, eft que dans toutes fortes de combats une arme foit foutenuë par l'autre celui, qui ne l'obferve pas, eft furmonté par l'ennemi qui le fuit. Voilà déja un point de vérité que la raison, le bon fens, & la guerre nous démontrent, quand les éxemples ne le feroient pas. Affurez bien vos flancs, non par les obftacles que le terrain vous offre, car on ne les trouve pas toujours, mais par vos armes mê mes. Or les colonnes font les feuls moiens qui puiffent les garantir, alors quelque débordé que vous foiez, vous n'avez rien à craindre, la force de la colonne étant égale par tout. Ces trois corps, quoique les deux des aîles foient infiniment moindres que celui du centre, & féparés extraordinairement, attaquent & fe défendent indépendamment l'un de l'autre : leur force étant en eux-mêmes, ils ne craignent ni à leurs flancs, qui n'offrent aucun foible, ni fur leurs derriéres. J'attaque d'abord au centre (15), où j'ai prefque toutes mes forces, pour féparer l'ennemi de fes aîles; & quand les deux autres ne donneroient pas, la victoire ne feroit pas moins certaine.

De la maniére dont nous nous rangeons, & dont nous combattons aujourd'hui, il n'est pas poffible que nos bataillons puiffent foutenir contre le poids & le choc de plufieurs colonnes. Ma maniére de combattre eft auffi invincible, lorfqu'on l'oppofe à une autre, dont toute la force confifte dans le feu; car ce feu ceffe dès le moment qu'on l'aborde, & qu'on le joint. Il y a encore plus à confidérer que ce que je viens de dire: on ne peut pas douter que la cavalerie & l'infanterie de l'ennemi ne foient féparées l'une de l'autre, & par conféquent elles n'ont aucun fecours réciproque à attendre. Si la premiére fe trouve avoir affaire aux deux armes que je lui oppofe à fa droite, il eft impoffible qu'elle puiffe parer au feu de l'une, pendant qu'elle a à fe défendre contre l'épée de l'autre, & à des armes de longueur, qui fraifent tous les corps de mon infanterie, & ces armes font infiniment plus fortes & plus redoutables que la pique.

L'ennemi ne fauroit réfifter ni foutenir contre le choc du corps du centre rangé fur une ligne de colonnes, appuiées à de plus groffes, & foutenues d'une ligne de cavalerie; les efcadrons fortifiés par des pelotons, aufquels les compagnies de grenadiers, inferées dans les espaces des colonnes, peuvent fe joindre dans le combat: le corps de la gauche n'eft-il pas auffi bien foutenu? Voilà quant à la diftribution de mes armes, qui

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fe foutiennent réciproquement: voici quant à la difpofition, & aux effets qu'elle doit produire.

Je ne fuis point en peine de ce qui arrivera au premier choc, l'ennemi ne efauroit jamais s'empêcher d'être percé & ouvert à fon centre. Si cela arrive. comme il arrivera infailliblement, où le grand corps donnera, tout eft perdu & culbuté, fans que ce qui n'eft pas attaqué ofe courir au fecours. Alors ce qui a pénétré agit à droite & à gauche, & s'abandonne fur les flancs des corps qui n'ont pas été attaqués, & la cavalerie achéve & diffipe ce qui eft rompu, ou qui panche à l'être, pendant que le corps de ma gauche tombe au premier fignal fur ce qui eft encore en entier. L'ennemi fe repliera-t-il où il n'eft pas attaqué, pour enveloper ce qui attaque? Cela fe peut-il, s'il eft occupé à fes aîles? Car les fauffes, ou feintes attaques font le même effet que les véritables dans les affaires de nuit, pendant que le gros de l'armée donne au centre, & le prend à dos & en flanc après avoir percé; mais cet ennemi ofera-t-il hazarder une manœuvre fi délicate, puifqu'il ne fait pas, comme je l'ai déja dit, s'il ne va pas être attaqué lui-même ?. Il ne voit rien de ce qui fe paffe, ni ne connoît rien de cet ordre de bataille, à caufe de la nuit, qui lui en dérobe la vûë. Joignez à cela le canon qui fe fait entendre fi près d'eux, par de continuelles décharges. Il ne peut s'imaginer qu'il y ait peu de monde en cet endroit. Chacun croit que les véritables attaques font ailleurs que de fon côté, & le Général les imagine toutes véritables; ce qui le tient irréfolu & incertain de ce qu'il fera: & pendant que l'un profite du tems, l'autre le négli ge & le perd, fans favoir quel confeil prendre, ni fans avoir même le moment de délibérer & de recourir aux avis des autres, qui ne font pas moins empêchés, ni moins étourdis. Le plus grand défavantage des combats de nuit, eft de multiplier & de groffir les objets, & de remplir de craintes & de terreurs imaginaires. On diroit que les foldats & leurs Généraux ne voient qu'à travers de verres à facettes: peu font éxempts de ces fortes de lunettes, & c'eft encore pis lorsqu'on eft furpris; car ce n'eft que dans ces cas que les plus braves demeurent fans forces, & comme enchantés, & les Généraux fans tête & fans jugement.

J'ai donné des raifons & des preuves, que dis-je, j'ai démontré l'excellence de mon ordre de bataille: cela ne fuffira pas pourtant aux gens prévenus de la coûtume & de la vénérable routine; ils voudront quelque chofe de plus que cela, s'il y a quelque chofe de plus fort que la démonftration; ils demanderont des éxemples, il faut donc les fatisfaire. Nous en fournirons deux qui appuieront les attaques d'armées par grands corps féparés, pour faire connoître aux admirateurs de la coûtume que je ne me repais pas d'illufions dans ma tactique. Je tire l'un de l'antiquité la plus reculée , pour faire voir que la fcience & le bon fens font de tous fes tems & de tous les païs. L'autre n'eft pas moins convaincant, quoique plus proche de nous de quelques frécles; il fervira à montrer combien les attaques & les farprifes nocturnes font avantageufes, & combien le petit nombre l'emporte fur le grand dans ces fortes de cas.

Les Ammonites aiant affiégé la ville de Jabez, Saül marcha à fon fecours pour en faire lever le fiége. Voici ce que dit l'Ecriture. Le lendemain étant venu, Saul divifa fon armée en trois corps, & entra dès la pointe du jour dans le milieu du camp des Ammonites, & ne ceffa de les tailler en pièces, jusqu'à ce que le Soleil fût dans fa force. Ceux qui échapérent furent difperfes çà & là, fans qu'il en demeurât seulement deux enfemble.

L'autre éxemple eft d'Aléxandre le Grand, dans la bataille qu'il livra contre Porus. Alexandre, dit Plutarque, qui craignoit cette multitude d'ennemis & leurs éléphans, qui étoient d'une prodigieufe grandeur, évitant de donner dans le front de leur

R 3.

corps:

corps de bataille, alla charger l'aile gauche, & ordonna à Perdiccas d'aller attaquer en même tems l'aile droite. Ces deux ailes aiant été rompues du premier choc, fe retirérent vers leurs éléphans, à la faveur defquels elles fe ralliérent. Le combat recommença avec plus de furie & beaucoup plus mêlée; de forte que les ennemis ne commencérent à plier & à fe retirer que vers la buitiéme heure du jour. C'est ainsi que l'écrit dans Jes lettres, conclut l'Auteur, le Général même qui donna la bataille, & qui la gagna. J'ai de h peine à ajouter foi à cette lettre : fans doute qu'Alexandre fe feroit un peu mieux expliqué; car il n'eft pas vraisemblable que les aîles de Porus fe fuffent ralliées fous les éléphans qui formoient une premiére ligne comment l'auroient-elles pû, puifqu'elles furent pouffées en arriére? Il falloit dire que les aîles fe ralliérent derriére le corps de bataille. Voici un fait qui n'eft pas moins remarquable que les deux premiers, & qui fait voir combien les Généraux doivent être fur leurs gardes pour s'empêcher d'être furpris.

Le Duc d'Albe aiant affiégé Mons en 1572. le Prince d'Orange, qui voioit l'importance de cette place, marcha à fon fecours; mais aiant trouvé la circonvallation toute établie, & les Efpagnols en bonne pofture, il ne jugea pas à propos d'y ufer fes troupes. Comme il craignoit d'être inquiété dans fa retraite, il décampa à la -faveur de la nuit. L'Efpagnol en étant averti, détache promptement deux cens fantaffins d'élite, & huit cens chevaux, ceux-là revêtus de chemifes blanches par-deffus leurs habits, pour fe reconnoître. Au moment que l'ennemi étoit prêt à lever le camp, ces hommes déterminés s'y jettent tout au milieu, paffent fur le corps des premiéres gardes, pénétrent & taillent en piéces tout ce qui s'affemble & ofe leur tenir tête; & avant que l'armée eût pû fe reconnoître, elle voit tout en feu. camp fut confumé avec d'autant plus de vîteffe, que les hutes des foldats étoient compofées de branchages. Ce coup fait, & après avoir tué cinq cens hommes, le victorieux fe retira tranquillement. Si le Duc d'Albe eût marché avec une partie de fon armée, où en étoit le Prince d'Orange?

Le

CHAPITRE VII.

Xantippe arrive à Carthage, fon fentiment fur la défaite des Carthaginois. Bataille de Tunis. Ordonnance des Carthaginois. Ordonnance des Romains. La bataille fe donne, & les Romains la perdent. Réfléxions fur cet événement. Xantippe retourne dans fa patrie. Nouveaux préparatifs de guerre.

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Ans ces conjonctures arrive à Carthage un de ces foldats mercénaires, qui avoient été envoiés en Gréce, conduifant une grosse recrue, où il y avoit (a) un nommé Xantippe Lacédémonien, inftruit à la maniére de son païs, & par conféquent fort versé dans le métier

(a) Un nommé Xantippe Lacédémonien, inftruit La maniére de fon pais, & par conféquent fort

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verfé au métier de la guerre.] La maniére dont Cafaubon, & après lui le fieur du Ryer, avoient

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