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bunal de l'Inquifition d'Efpagne & celui de Por tugal, encore plus furieux, ne nous faifoit voir quelque chofe de plus affreux, & tout à fait oppofe à l'efprit de l'Evangile. Pour revenir à Alcibiade, il jugea bien qu'on en vouloit à fa vie; il fe retira à Lacédémone, & de la auprès d'ArtaXerxès, comme avoit fait Themistocle, où il ne fut pas plutôt arrivé, qu'il fit voir à fon ingrate patrie combien il eft dangereux de pouffer à bout un homme de cœur, & d'une habileté peu commune, qui peut fe vanger avec éclat. Elle cut tout lieu de s'en repentir, Alcibiade lui fit une fi cruelle guerre, qu'elle fut trop heureufe de le rappeller, & de le voir revenir dans un tems où elle panchoit à fa décadence. Ce grand homme la remit dans fa premiére fupériorité par fes victoires; mais elle revint bientôt dans fon état naturel d'ingratitude & d'injuftice: car après l'avoir délivrée des plus grands périls, on lui imputa la défaite d'un de fes Lieutenants, qui donna un combat contre fes ordres, & où il n'eut aucune part. Il fut obligé de s'éxiler lui-même, & cet éxil volontaire, fut la caufe de fon falut, & celle de la perte de fa patrie. Thucydide repréfente l'état pitoiable où les Athéniens fe trouvérent réduits après l'éxil de cet excellent Chef de guerre.

Mais pourquoi aller chercher des preuves fi éloignées, pour faire voir que les Républiques ont été de tout tems ingrates envers les hommes du premier mérite? Athenes, Rome & Carthage n'éxiftent plus; mais Venife & la Hollande font encore fur pied, & felon toutes les apparences, le feront un très-longtems, parce qu'elles font plus fages & plus équitables. Cette derniére République, fans parler de l'autre, nous pourroit fournir des éxemples d'ingratitude & d'inhumanité qui la flétriffent un peu. Plufieurs grands hommes l'ont éprouvé. Le crime de Barnevelt étoit un peu é quivoque, & ceux qui furent éxécutés avant lui n'étoient pas tous coupables: fi Grotius, le plus célébre & le plus grand homme de fon tems, ne fe fût échapé de prison, il n'eût pas été éxemt du fupplice. Les deux freres de Witt furent égorgés & déchirés par la populace: quels fervices

Mr. le Chevalier de Folard eft trop équitable pour alleguer un pareil exemple, s'il eût éte mieux inftruit, Ce fait ne preuve rien contre la République de Hollande, comme il l'a crû, puifque les Souverains n'eurent aucune part à la mort des freres de Witt, & qu'il ne fut pas en leur pouvoir d'empêcher le maflacre de ces deux illuftres Citoiens. Le peuple animé par les partifans de la maifon d'Orange, iminola à fa fureur ces zéles Républicains, comme tout le monde fait; & on ne peut charger le corps de la République d'une action qui fit horreur à tous les gens de bien. Pour ce qui eft du fecret Hiftorique que l'Auteur tient d'un Colonel des troupes de l'Empereur, nous ne ferons pas difficulté de dire que cet Officier lui en a impofé fur toutes ces particularités. Le feu Comte de Tilli peut lui avoir dit qu'il étoit de garde le jour du maflacre des freres de Witt, mais ce Colonel a ajoûté le refte, comme on peut s'en convaincre en lifant les Annales des Provinces-Unies par Mr. Bafnage. 19, Corneille de Witt n'étoit point dans les prifons de l'Hôtel de Ville, mais dans les prifons de la Cour, ainfi l'Escadron des gardes devoit être pofté dans un autre endroit que celui où on le place

Tom. I.

n'avoient-ils pas rendus à la République? La mort de ces deux zélés Républicains me fait fouvenir d'un fecret hiftorique qui a, ce me femblé, échapé aux Hiftoriens qui ont écrit des affaires des Hollandois: je le tiens d'un Colonel des troupes de l'Empereur. Il me dit que le feu Comte de Tilli lui racontoit un jour, qu'étant de garde en ce tems-là fur la place des prifons de l'Hôtel de Ville, où étoit un de Witt, dont le frere devoit venir le prendre en caroffe pour le mettre en liberté, qu'étant là, dis-je, pour empêcher que la populace animée par ceux du parti du Prince d'Orange, ne lui fît aucune infulte, ce Prince lui envoia plufieurs ordres réiterés de fe retirer avec fon efcadron, dans un tems où il paroiffoit qu'il devoit y refter pour contenir une foule de peuple qui s'étoit affemblée fur la place. Il foupçonna quelque mauvais deffein, & comme il craignit qu'on ne lui imputât ce qui pouvoit arriver, il ne voulut jamais abandonner fon pofte qu'il n'eût un ordre par écrit du Prince d'Orange. On fut obligé de lui en envoier un, qu'il eut la fage précaution de prendre & de garder: vingt-cinq ans après les Meffieurs des Etats, aiant réfléchi fur cette démarche du Comte, lui en demandérent la raifon, & bien lui valut d'avoir encore cet ordre à montrer car fans cela, dit-il, je me fuffe vû dans un très grand péril de la vie, l'on ne parloit de rien moins que de me faire mon procès. C'eft une chofe furprenante, de voir les plus grands hommes & les meilleurs Citoiens perfécutés & expofes fans ceffe, & perpetuellement, à la rage de leurs envieux, & mourir prefque tous de mort violente. Quand même on les accuferoit fur quelque fondement, je veux même que leurs crimes fuffent avérés, s'ils ne tendent pas à la tyrannic & à l'oppreffion de la liberté, il me fembleroit très-jufte d'adoucir & de plier les loix en leur faveur, de les rompre même, plutôt que de s'y conformer; car c'eft en ce cas que l'extrême févérité devient une extrême injuftice. L'indulgence en faveur des hommes extraordinaires, eft plus utile à 1 Etat que l'éxemple des châtimens. premiére change les coupables en les gagnant, & l'autre cft moins capable de nous corriger , que

La

de

pour contenir le peuple. 20. Le Prince d'Orange n'étoit point à la Haye, mais à la tête de l'armée, par conféquent il ne pouvoit envoyer de fi loin les ordres léïterés pour faire retirer la cavalerie. Le Comte de Tilli quitta fon pofte fur l'ordre qu'il en reçut de quelques Deputés des Etats, allarmes du bruit qui s'étoit répandu que les pécheurs de Scheveling & les pailans de la campa gne accouroient en grand nombre pour piller la Haye & profiter de la confufion qui y regnoit. Les ennemis de Mrs. de Witt employerent cet artifice pour cloigner la cavalerie, qui mettoit obftacle à leur deffein. 30. left faux que le Cointe de Tilli ait jamais été recherche fur cette demarche, & qu'il ait eu befoin de produire l'ordre qu'il reçût de fe retirer. Ces circonftances font de l'invention du Colonel. Mr. Le Chevalier de Folard aime la vérité & il fait profeffion de la dire dans toutes les occafions; ainfi il ne peut defaprouver cette remarque. On auroit volontiers retranché cet article de fa note, fi on eût ofé prendre cette liberté fans fa peimiflion. Note de l'Editeum, d'Amfterdam.

T

(a) Une action fi brillante & fi extraordinaire, dans un païs étranger, l'eût mis en butte aux traits mordans de l'envie & de la calomnie: au lieu que dans fon païs, où l'on a des parens & des amis pour aider à les repouffer, ils font beaucoup moins redoutables. On donne encore une

de nous revolter, & de nous remplir d'indignation & de fureur contre un peuple, ou un Prince fanatique, fottement fuperftitieux, qui condamne au dernier fupplice, ou qui fe défait des hommes extraordinaires qui lui ont rendu les plus grands fervices, & qui font capables de le tirer des plus grands embarras car cette efpéce d'inquifition établie dans les Etats, ou qu'on cherche à établir, eft la plus forte machine & le moien le plus affuré pour caufer les plus grandes révolutions, & les conduire à leur perte. L'on peut dire, fans craindre de fe tromper, que la fuperftition perdit A. thénes; car dès qu'on vouloit faire périr un grand homme, on l'accufoit d'impiété ou d'irréligion. Si les gens de guerre, où les homines d'Etat, euffent été éxemts de cette recherche à Athénes, elle eût été très-longtems debout. On ne remplace pas aifément les bons fujets, lorfqu'on n'ufe pas d'indulgence à leur égard: au lieu qu'en leur pardonnant on en peut tirer de grands fervices. Alcibiade ne fut pas plutôt chaffe de fon pais, qu'on s'apperçut bientôt qu'il ne pouvoit être remplacé de perfonne: il eft aifé de nommer d'autres Généraux à la place des bons; mais le titre ne fait pas qu'un homme foit plus habile: & pour finir par une maxime de M. de Turenne, dix mille livres de rente accordées de plus à un Officier fans aucun mérite, ne le rendent pas plus brave, plus éclairé, & plus capable de commander: ces fortes de graces mal appliquées ne deshonorent pas feulement le Prince qui les donne, mais elles produifent encore cet effet, qu'elles abattent le cœur & le courage de ceux qui en font véritablement dignes.

(a) Une action fi brillante & fi extraordinaire, Peut mis en butle aux traits mordans de l'envie.] Bayle dit que trois chofes empêchent l'envie & la jaloufie; la grace de Dieu, le défaut des qualités dignes d'envie, & un grand fond de ftupidité. S'il faut que la Divinité intervienne dans la premiére par un miracle & une merveille de fa toute-puiflance, pour arrêter & nous garantir des traits mordans de cette paffion, c'est recourir à des remédes furnaturels que Dieu s'eft refufé à lui-même en ce monde, & en attendant l'éxécution de fa volonté la vertu aura beaucoup à fouffrir.

A l'égard de la feconde, je la tiens fausse, & la dernière encore plus: puifque nous voions tous les jours que les fots de la premiére claffe les plus renommés, & les stupides les plus avérés par leurs dits & par leurs faits, vont plus grand train à la fortune & aux plus grands honneurs, que les hommes du premier mérite & à grands talens.

au

Il faut conclure de là, que la fottife & la ftupidité font dignes d'envie & de jaloufie, & que ce font deux qualités très-refpectables dans prefque toutes les Cours des Princes. Cela fe remarque dans les gens du monde, & dans les gens d'Eglife, qui font mille fois plus avides & plus ambitieux que les autres dans leur efpéce d'ambition. Il ne faut ni efprit, ni vertu pour cela. Ce font des fentinelles qui fe mettent en faction conftamment & perpetuellement, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, jufqu'à ce que la fortune en prenne pitié, & les réléve de fentinelle pour en mettre d'autres en leur place, à la porte ou dans l'antichambre, & alors ceux-ci font enviés tout comme les autres qui ont fait le même métier.

Les Cours des Princes ne font pas toutes remplies de ces fortes d'individus, il y en a qui raifonnent d'eux-mêmes, qui parlent, qui agiffent, & qui fe remuent avec une vivacité & une ardeur extraordinaire, qui bien loin d'être fots & fans efprit, comme les autres, font au contraire trèsfins, très-fubtils & très-déliés; on ne voit chez eux que belles qualités. Mais la fortune, en les élevant, fait tomber le mafque, & c'eft alors que l'on voit à découvert & à nud les défauts & les vices qu'ils tenoient auparavant à la chaîne; ils ne fe montrent pas cependant d'un feul coup, mais par degrés felon le befoin. Ils mettent encore en campagne plufieurs paffions & plufieurs vices qu'ils avoient eu grand foin de couvrir & de cacher avant leurs grands fauts de fortune, ou qu'ils ne croioient pas dans eux, ou qui naiffent par je ne fai quelle fatalité contagieufe attachée à l'air de la Cour. Ils les mettent alors en ufage, & les font cingler à pleines voiles, pour aller plus loin au préjudice des autres. Si l'on y prend garde, toutes ces paflions & tous ces vices ont leur principe dans l'envie, qui les traîne tous à fa fuite, c'est elle qui régle & qui difpofe toutes les machines pour ruiner & pour renverser la fortune de ceux dont ils craignent le mérite & la concur

rence.

Ce qu'il y a de bien furprenant, c'est que ceux qui font au timon des affaires du Gouvernement, & qui connoiffent parfaitement les rufes & les foupleiles de cette pailion, font toujours plus nouveaux dans les piéges qu'on leur tend contre les gens de mérite les plus dignes d'être enviés; & ceux-là même, qui les ont tendus aux autres avant leur élévation, s'y trouvent pris; tant les hommes font peu en garde dans le mal qu'on dit d'autrui, & tant au contraire ils font défians dans le bien: car il faut plus de rufes & d'artifices pour

147 autre raison de la retraite de Xantippe. Nous aurons ailleurs une occa¬ fion plus propre de dire ce que nous en penfons.

Les affaires d'Afrique aiant pris un autre tour que les Romains n'avoient espéré, on penfa tout de bon à Rome à remettre la flotte fur pied, & à tirer de danger le peu de troupes qui s'étoient échapées du naufrage. Les Carthaginois, au contraire, pour se soumettre ces trou

faire paffer celui-ci, que l'autre. Combien s'en trouve-t-il peu du caractére de ceux dont parle la Motte le Vayer, qui méfurent les vertus au pied de l'envie, comme ceux qui prennent les dimensions des corps par leur ombre. J'ai lû quelque part dans Voiture, que c'étoit fur ce pied-là que le premier Miniftre du Roi d'Espagne en ufoit, & qu'il lui avoit dit qu'il ne jugeoit jamais plus avantageufement d'un fujet, que par le mal qu'on lui en difoit avec peu de certitude, & qu'a mefure que le nombre des calomniateurs groffiffoit pour le perdre, il avoit plus d'eftime pour lui, & plus de curiofité pour le bien connoître, qu'il n'y avoit rien de plus fûr pour déterrer la vertu, & la diftinguer de la foule, & que c'étoit là fa baguette devinatoire, & fa lanterne pour trouver le mérite caché.

Combien de fourbes & d'envieux les Princes ou leurs Miniftres ne découvriroient-ils pas par le moien de cette lanterne? Celle de Diogene ne valut jamais rien; il ne trouva jamais un homme de bien, au lieu que l'autre en rencontroit toujours avec la fienne, & l'envie qui le cache, qui le couvre, & qui l'obfcurcit de fes vapeurs les plus noires, lui fervoit elle-même de guide fans le favoir.

Ce fage Miniftre ne fe fervoit jamais mieux de fa lanterne, que lorfque les ténébres étoient bien épaiffes, & la cabale groffe & bien amcutée contre ceux qu'elle vouloit perdre. Ces fortes de complots, que l'envie forme, font fort ordinaires dans les Cours & chez les Grands du monde. C'eft de toutes les batteries des envieux la plus redoutable, & contre laquelle la prudence la plus rafinée n'a point de précaution à prendre, tant l'envie eft ingénieufe contre la vertu qui nous péfe & nous incommode.

Le même Auteur, que nous avons déja cité, avance une chofe qui a tout l'air d'un fophifme: Tant s'en faut, dit-il, que l'envie foit un vice: qu'au contraire elle eft très-familiére de la vertu. Je ne vois rien de plus faux que cela, l'envie eft un très-grand vice, & très-oppofé à la vertu, à moins qu'il ne veuille dire que les envieux font à la fuite de cette vertu, comme les Archers à celle d'un innocent qu'on va pendre fur leur témoignage. A deux pas de là l'Auteur ne laiffe pas de fe contredire, car il nous dépeint cette envie comme une Mégére qui nous fait voir le champ d'autrui toujours pius fertile, & qui feroit capable, dit un Pére, de rendre le Paradis un Enfer à cause de la

pes

gloire commune, fi on y pouvoit entrer avec cette furieuse paffion. Voilà fon envie, trés-famil ere de la vertu, une paffion & un vice très-furieux plutôt qu'une vertu. Ne voit-on pas tous les jours une infinité de gens de mérite, dont on ne fauroit craindre ni redouter la concurrence, & qui luttent au contraire fans ceffe contre la mauvaise fortune: ne voit-on pas, dis-je, ces gens-là négligés & perfécutés, par pure haine contre les talens & les qualités dignes d'eftime? Mais c'est bien pis lorfqu'on fe ligue contre les hommes extraordinaires qui ont rendu des fervices importans à leur patrie, ou qui font capables de leur en rendre. Ces fortes de complots font très-redoutables lorfque le parti eft puiffant, & que les femmes s'y fourient. Les moiens dont on fe fert font fouvent très-ridicules & très-groffiers, & ne laiffent pourtant pas de réutlir. Quoi de plus mal imaginé que ceux qu'on emploia contre le feu Maré chal de Catinat? On fe mit en tête de le faire paffer pour fou, c'étoit cependant le plus fage de tous les hommes. N'étoit-ce pas l'attaquer par le côté le moins abordable? Et cependant cette extravagante machine fit le coup contre ce grand hom

me.

La difgrace du feu Marquis de Feuquiéres eut une caute moins ridicule, quoique fans fondement; il n'alla pas fi loin que l'autre dans les honneurs de la guerre, mais j'oferois prefque affurer qu'il eût égalé, & peut-être furpaflé le Maréchal en grandes actions, fi une cabale n'eût conjuré la perte de cet excellent Officier, l'homme du monde le plus capable de commander nos armées. Je n'en ai guéres vû de plus habile, de plus appliqué, & d'une valeur plus épurée. L'envie fe mit en campagne, armée de toutes les calomnies qu'on puifle ranger en bataille contre un mérite de cette force. Il fuccomba, & fe retira très-fagement; s'il eût dépendu de fes envieux, ils l'euflent fait noier comme Xantippe. J'ai un éxemple qui vient tout à propos, que nous n'enverrons point à une autre occafion. Il roule fur ces fortes de machinations, je l'ai trouvé dans la vie de l'Empereur Sévére Alexandre. L'Auteur dit que divers méchans, qui s'étoient ligués ensemble pour tromper Alexandre, eurent d'abord l'adreffe de surprendre par leurs intrigues l'efprit du jeune Prince, jusqu'à lui faire éloigner les perfonnes qu'on avoit mis auprès de lui; mais il eut affez de prudence pour reconnoître auffi-tôt leur malice: il les chaffa, les fit même mourir du dernier fupplice par le jugement du

Senat,

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pes là mêmes, faifoient le fiége d'Afpis: mais elles fe défendirent avec tant de de courage & de valeur, qu'ils furent obligés de fe retirer. Sur l'avis qu'ils reçûrent enfuite que les Romains équipoient une flotte qui devoit encore venir dans l'Afrique, ils radoubérent leurs anciens vaifseaux, en construifirent de neufs; & quand ils en eurent deux cens, ils mirent à la voile pour observer l'arrivée des ennemis.

Sénat, & s'attacha immuablement à ceux qui é
toient capables de le faire régner avec justice
avec honneur. Belle leçon pour les Souverains, &
très-ligne d'être imitée, pour couper court aux
complots des envieux contre les hommes du pre-
mier mérite, d'une vertu éprouvée, & choifis
d'entre les plus fages d'un Etat pour leur éduca-
tion. Combien y en a-t-il peu qui découvrent la
profondeur de la fourbe? L'Histoire eft toute par-
fémée de ces fortes de conjurations. L'on remar-
que que celles, qui font les plus groffiéres & les
plus mal fondées, font celles qui réuffiffent le
mieux, comme il arrive ord nairement à la guer-
re que les attaques par le côté le plus fort, font
celles
où l'on eft le plus fouvent emporté,
parce que l'ennemi ne peut croire qu'on ofe ten-
ter par cet endroit, & fur ce fondement il dimi-

par

S

Le

nue les précautions, on n'en prend aucune. Maréchal de Catinat fut pris par le côté de la fageffe, qu'on ne croioit pas infultable fans folie. Je ne trouve que Cimon dans l'antiquité, qu'on ait pû faire paffer pour infenfe, car je ne crois pas qu'on fe fervit de cette machine contre Xantip pe; mais cette réputation ne dura pas longtems. Les Athéniens, dit Valére-Maxime, éprouverent bientôt toute l'utilité de cette même folie par fes grandes actions, & par la fageffe de fes confeils: c'eft pourquoi, continue-t-il, il força ceux qui l'avoient cru fou, de s'accufer eux-mêmes de folie. Heureux les Etats, dit Dacier, qui font gouvernés par de tels foux. Heureux encore les Géneraux, qui en ont le plus de besoin, de s'en fervir & de les écouter: fauf à les envoier noier comme Xantippe, après le fervice rendu.

OBSERVATIONS

Sur la bataille du Conful Régulus contre Xantippe.

§. I.

Fortune inégale de Régulus. Caractére des Carthaginois. Confiance qu'ils prennent en Xantippe. Exemple unique.

J

'Entre dans l'éxamen d'une bataille fameufe, & qui nous fournit une infinité d'inftructions folides. Nous les tirerons des fautes du Général Romain, autant que de l'habileté & de la bonne conduite de celui des Carthaginois.

Quoique le premier ait gagné trois batailles, (car dans celle d'Ecnome il entre es partage de gloire avec fon Collégue,) ceux qui favent diftinguer un fait d'intelligence d'avec un fait de hazard, ne concluront pas de là qu'il fut un Capitaine fort au deffus du médiocre : il y en a beaucoup qui en gagnent, qui font au deffous. Régulus ouvrit fa premiére campagne par un combat témérairement engagé, & où il fut battu: la honte de fa défaite lui fit réparer fon honneur & fes pertes: la victoire fut, à la vérité, peu complette; mais c'eft tout ce que l'on pouvoit attendre de lui dans un tems où les autres perdent le jugement, & par là toute efpérance; & Tyndaride vit dans un même jour les Carthaginois vainqueurs, & vaincus tout enfemble, en très-peu de tems. L'affaire d'Adis mérite nos éloges, foit du côté de l'art, foit du côté du courage,

c'est,

c'eft, en un mot, une affaire toute de conduite, très-bien embarquée, & digne d'un Capitaine habile & expérimenté.

On fera fans doute un autre jugement de la bataille que le même Conful livra contre Xantippe, qui fait le fujet de ces obfervations. Il la perdit, & avec elle tout ce qu'il s'étoit acquis de gloire & de réputation dans les précédentes: mais fa vertu refta toujours ferme & inébranlable, parmi cette multitude de malheurs qui fuivirent la perte de fa liberté. On ne vit jamais un fi grand courage dans un Romain. Jamais Citoien ne fit paroître un fi grand zéle, ni tant d'amour pour le bien & la gloire de fa patrie, & je doute que Rome ait jamais produit un fi honnête homme.

S'il fut tombé en tout autres mains que celles des Carthaginois, bien loin de mourir d'un fupplice auffi cruel que celui qu'on lui fit fouffrir, s'il faut s'en rapporter à ce que les Hiftoriens nous en difent, on eût refpecté fes malheurs par le feul éclat de fes vertus; mais que pouvoit-il efpérer d'un peuple qui n'en connut jamais aucune, d'un peuple qui étoit en mépris à tous les autres, fourbe, cruel, fans foi, & ingrat audelà de tout ce qu'on peut dire, d'un peuple en un mot qui ne confervoit fa liberté & par des forces empruntées, qui faifoit que par le courage & la vertu des autres, mourir fes Généraux du dernier fupplice, & qui honteux de devoir fon falut à un étranger, envoie noier ce même Xantippe, qui venoit de le lui procurer par fa victoire? C'eft Arrien qui nous apprend cette nouvelle. Polybe nous promet de nous l'apprendre, il ne nous en dit pourtant pas un mot, non plus que de la fin d'Attilius Régulus; ce qui me fait foupçonner qu'il y a quelque lacune dans les endroits où ces deux circonftances auroient dû trouver leur place.

Dans un miférable état où l'on désespére de toutes chofes, dit Saint-Evremont, on prend confiance en autrui plus aisément qu'en soi-même; ainfi les jalousies fatales au mérite des rangers vinrent céder à la néceffité, & les Généraux s'abandonnérent à la capacité de Xantippe. En effet cet Officier leur avoit fait voir leurs bévûes & la caufe de leurs défaites, en même tems qu'il leur offroit les moiens de les réparer.

Qui ne fera furpris, en lifant ce paffage, & plus encore ce que Polybe rapporte du difcours de cet étranger en plein Sénat, qui l'écoute, & qui lui applaudit, de voir des Généraux ignorans, fans expérience, & par conféquent préfomptueux & entêtés de leur mérite, qui l'écoutent & ne lui applaudiffent pas moins, & qui fans envie, fans jaloufie, & fans honte, s'abandonnent à la capacité de Xantippe, fermant les yeux fur ce qu'il eft, & ne les ouvrant que fur ce qu'il fait? Ils fe reconnoiffent inférieurs à lui, & par là ils le jugent digne de les commander: cela eft certainement admirable, & d'autant plus furprenant, que l'Hiftoire ne nous apprend rien de femblable, ni rien d'approchant.

C'eft l'ordinaire des Républiques de recourir aux hommes vertueux dans leurs plus grandes infortunes; mais il eft très-rare, ou pour mieux dire, il ne s'eft jamais vû qu'on aille les prendre dans les emplois les plus fubalternes de la milice, que ce choix tombe fur un étranger, & que le Sénat, l'armée & les Généraux en paroiffent très-contens & très-fatisfaits. Encore une fois, je ne vois rien de plus étonnant. Dans un Etat Monarchique, cela feroit un prodige. Ceux mêmes, qui feroient les auteurs de tous les maux de la guerre la plus défaftreufe, dûffent-ils fe fauver eux & leur patrie par l'efprit & le courage d'un tel homme, fe garderoient bien de lui laiffer prendre une telle volée. Ils cabaleroient, ils intrigueroient, & n'oublieroient rien pour l'accabler & le renverfer. L'Hiftoire fourmille d'éxemples de cette injuftice. En voici un de fraîche date. Si feu M. de Vendôme, qui étoit autfi bon François que grand Capitaine, quoique fes ennemis en difent, eût paffé l'Adigé en 1706, plutôt que de s'en couvrir contre M. le Prince Eugéne, qui le réduifit à rien, en lui donnant jaloufie par tout, cet

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