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pagnes de Lilybée & de Selinonte, ils fe tinrent toujours à cinq ou fix ftades des ennemis, fans ofer fe préfenter à un combat, fans ofer même defcendre dans les plaines. Il eft vrai que pendant ce tems-là ils affiégérent Therme & Lipare; mais ce ne fut qu'en fe poftant fur des hauteurs prefque inacceffibles. Cette fraieur fit changer de réfolution aux Romains, & les fit revenir en faveur des armées navales. Après l'élec

Romains ont rarement manqué de ces fortes de ftratagêmes, & de coups de maîtres : les Modernes nous en fourniffent quelques-uns, mais de loin à loin, parce qu'ils font moins habiles & moins profonds dans la fcience des armes. L'on peut dire qu'à cet égard les arbres étoient plus gros & plus grands il y a deux mille ans qu'ils ne le font aujourd'hui, contre le fentiment des dévots de la fecte de Perrault, & de l'un de fes Prédicants le plus redoutable, dans fa Digreffion fur les Anciens & fur les Modernes, qui fait un fujet de comparaifon des arbres de l'antiquité avec les nôtres, lorsqu'il veut donner la préférence aux derniers fur les premiers, ou du moins les faire courir fur la même paralléle.

Notre Auteur, tout concis & ferré qu'il eft, n'étrangle point la narration du ftratagême du Conful Romain. Tout y eft digne d'un Capitaine trèsentendu, & nullement hazardeux. Il prévoit tout ce qui doit arriver par la jufteffe de ces mefures, & ces mefures le conduifent où il faut aller: s'il peut fe délivrer des éléphans, & les rejetter fur fes ennemis, par le moien de fon armûre légére, & de quelques péfamment armés qu'il mettra à leurs trouffes; il fera une fortie générale, & tombera fur la gauche de l'armée Carthaginoife, pendant que les éléphans comme une maile de fuiards, porteront le trouble & la confufion fur tout le front de l'infanterie ennemie. Cela arriva comme il l'avoit très-fagement prévû. Il borde les murs de la ville de toutes fes armes de jet, fait fortir tous fes gens de traits (2), & les range le long du bord du foffé. Il ordonne en même tems aux gens de métier de la place de porter des traits, & de fe tenir en bon ordre au pied du mur en dehors. Il veut que tout le monde prenne part au danger comme à la gloire. Le foffe qui devoit être fec, eft rempli de ces gens-là. Les Carthaginois (3), qui voient cette infanterie en dehors, s'avancent en bataille vers la ville, après avoir traversé la riviére. Les éléphans (4) s'en approchent de plus près. Auftôt Cécilius range devant le mur & devant le foffe quelques foldats armés légèrement, avec ordre fi les éléphans approchoient, de faire tomber sur eux une grele de traits, & s'ils fe voient preffés de fe fauver dans le foffé. Ce paffage de notre Auteur me fuggere une conjecture que je m'en vais hazarder. Je fuis presque perfuadé que les Anciens pratiquoient des retraites dans les foflés fecs, pour fe retirer lorsqu'on fe voioit preffé de l'ennemi dans une fortie, par le moien d'un double efcalier

tion

(5) pratiqué d'espace en espace dans la contrefcarpe, comme nous les faifons aujourd'hui dans nos places de guerre; car le moien que ceux qui étoient dehors plent fe retirer dans le fofle ? les Anciens les faifoient à fond de cuve, & d'une très-grande profondeur.

Polybe difculpe Afdrubal du blâme d'avoir fait avancer les éléphans fi près des murs de la ville, & des gens de traits poftés fur le bord du foffe; il rejette toute la faute fur les conducteurs de ces animaux, qui furent la caufe de l'infortune de ce Général. A peine furent-ils à la portée du trait & des dards lancés par les machines, qu'ils en furent accablés & percés de toutes parts: les bêtes, quoiqu'en dife Defcartes, connoiffent les dangers, & font très-capables de faire la différence d'un grand à un moindre: deux ou trois hommes qui pren nent l'épouvante & qui s'enfuient, en amènent une multitude: il en eft ainfi des bêtes. Rien n'eft plus fujet à la propagation que la peur, c'est une traînée de poudre qui fe porte rapidement d'une extrémité à l'autre, ou du centre aux deux bouts. Les éléphans, bleffés & forcenés de douleur, rebrouffent & s'enfuient, & fe jettent fur leurs propres gens. C'eft là comme le fignal de la fortie. Cécilius, qui s'apperçoit que fon ftratagême réuf fit au-delà de fes efpérances, & qui voit toute l'infanterie rompue & dans une confufion épouvan table, fort de toutes parts, & tombe avec toutes fes forces unies & en bon ordre fur la gauche des Carthaginois, & les taille en pièces.

Frontin rapporte cette action, mais un peu dif-féremment: j'y remarque même certaines circonftances que mon Auteur pourroit bien avoir négligées pour éviter prolixité, puifque fes deux premiers Livres ne font qu'une introduction à fa grande Hiftoire: car ce que nous apprend Frontin feroit voir que les Romains s'étoient retranchés fous les murs de la place; c'est ce qu'on ne voit pas dans l'Auteur Grec. Citons le pallage du premier qu'Ablancourt a très-bien traduit.

Metellus faifant la guerre contre Afdrubal en Sicile, fe campa fous les murs de Palerme, feignant d'appréhender le grand nombre des ennemis, & leurs cent trente éléphans, & fit tirer un grand retranchement devant lui. Mais voiant paroître l'armée d'Afdrubal avec les éléphans à la tête, il envoia faire une décharge fur eux, avec ordre de fe retirer auffi-tôt dans le retranchement. Coux qui conduifoient ces animaux, irrités de cette bravade, poufférent jufques-là, & s'y étant engagés témérairemens.

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de Palerme.

tion des deux Confuls C. Attilius & L. Manlius, on conftruifit cinquante vaiffeaux, & on leva des troupes pour faire une puiffante flotte. Afdrubal Chef des Carthaginois, témoin de l'épouvante où avoit été Bataille l'armée Romaine dans les derniéres batailles rangées, & inftruit qu'un des Confuls étoit retourné en Italie avec la moitié des troupes, & que Cécilius avec l'autre moitié féjournoit à Palerme : Afdrubal, dis-je, pour couvrir & favorifer les moiffons des Alliés, partit de Lilybée, & fe porta fur les bords de la campagne de Palerme. Cécilius, qui vit fon affurance, retint pour l'irriter de plus en plus fes foldats au dedans des portes. Afdrubal fier de ce que le Conful n'ofoit venir à fa rencontre, à ce qu'il croioit, s'avance avec toute fon armée, & franchiffant les détroits entre dans le païs. Il ravage les moiffons jufqu'aux portes, fans que le Conful s'ébranle. Mais quand il eut passé la riviére qui coule devant la ville, Cécilius qui n'attendoit que ce moment, détacha des armés à la légére pour le harceler & le contraindre de fe mettre en bataille. Il s'y mit, & aufli-tôt le Général Romain range devant le mur, & devant le foffé quelques Archers, avec ordre, fi les éléphans approchoient, de lancer fur eux une grêle de traits: en cas qu'ils fuffent pref fés, de fe fauver dans le foffe, & d'en fortir enfuite pour lancer de nouveaux traits fur les éléphans. Il ordonne en même tems aux artisans de la place de leur porter des traits, & de fe tenir en bon ordre aux pieds du mur en dehors. Lui se tient avec un corps de troupes à la porte oppofée à l'aîle gauche des ennemis, & envoie toujours de nouveaux fecours à fes Archers. Quand le choc fe fut un peu plus échauffé, les conducteurs des éléphans, jaloux de la gloire d'Afdrubal, & voulant par eux-mêmes avoir l'honneur du fuccès, s'avancérent contre ceux qui combattoient les premiers, les renverférent & les pourfuivirent jufqu'au foffé. Les éléphans approchent; mais bleffés par ceux qui tiroient des murailles, percés des javelots & des lances que jettoient fur eux à coup fûr, & en grand nombre, ceux qui bordoient le foffé, couverts de traits & de bleffures, ils entrent en fureur, fe tournent & fondent fur les Carthaginois, foulent aux pieds les foldats, confondent les rangs & les diffipent. Pendant ce défordre, Cécilius avec des troupes fraîches & rangées, tombe en flanc fur l'aîle gauche des ennemis trou

une partie fut tuée à coups de trait: les autres tournérent fur leurs gens, les mirent en défordre. A lors Metellus, qui n'attendoit que cela, fortit avec toutes fes troupes: & prenant l'armée ennemie en flanc, la défit, & fe rendit maître des éléphans & d'un grand nombre de prifonniers.

Florus dans fon fecond Livre gliffe fur ce fait, qu'il loue plutôt qu'il ne rapporte; mais dans cet éloge il n'oublie pas le nombre des éléphans que les Carthaginois mirent en campagne. Au moins on compiend par ce qui en fut pris, qu'il y en a

blés,

voit beaucoup, au lieu que Polybe ne dit pas com
bien il y avoit de ces animaux dans l'armée Car-
thaginoife. Il en fut pris dix, dit-il, avec les In-
diens qui les conduifoient, & les autres qui avoient
jetté à bas leurs conducteurs, furent envelopés.
Rien ne prouve davantage la grandeur & l'impor-
tance de cette victoire, dit Florus, que de voir cent
éléphans qui font la proie du vainqueur. N'auroit-
on pas cru, à voir le nombre de ces animaux, que
c'étoit plutôt le fruit d'une chasse que d'une quer--
re?

blés, & les met en déroute. Un grand nombre refta fur la place, les autres échapérent par une fuite précipitée. Il prit dix éléphans, avec les Indiens qui les conduifoient. Le refte qui avoit jetté bas fes conducteurs, envelopé après le combat, tomba auffi fous la puiffance du conful. Après cet exploit, il paffa pour conftant que c'étoit à Cécilius que l'on étoit redevable du courage qu'avoient repris les troupes, & du païs que l'on avoit conquis.

SSO

Situa

la Sicile.

CHAPITRE X.

Les Romains lévent une nouvelle armée navale, & concertent le fié
ge de Lilybée. Situation de la Sicile.
Jon en faveur des Romains découverte.
bal. Combat fanglant aux machines.

C

Siége de Lilybée. Trahi-
Secours conduit par Anni-

Ette nouvelle portée à Rome, y fit beaucoup de plaifir: moins parce que la défaite des éléphans la défaite des éléphans avoit beaucoup affoibli les ennemis, que parce que cette défaite avoit fait revenir la confiance aux foldats. On reprit donc le premier deffein d'envoier des Confuls avec une armée navale, & de mettre fin à cette & de mettre fin à cette guerre, sil étoit poffible. Tout étant difpofé, les Confuls partent avec deux cens vaiffeaux, & prennent la route de Sicile. C'étoit la quatorziéme année de cette guerre. Ils arrivent à Lilybée, joignent à leurs troupes celles de terre, qui étoient dans ces quartiers, & concertent le projet d'affiéger cette ville, dans l'efpérance qu'après cette conquête il leur feroit aisé de tranfporter la guerre en Afrique. Les Carthaginois perçoient dans toutes ces vûes, & faifoient les mêmes réfléxions. C'eft pourquoi regardant tout le reste comme rien, ils ne penférent qu'à fecourir Lilybée, résolus à tout fouffrir plutôt que de perdre cette place, l'unique reffource qu'ils euffent dans la Sicile, au lieu que toute cette Ifle, à l'exception de Drepane, étoit en la puiffance des Romains. Mais de peur que mes Lecteurs ne foient ici arrêtés, faute de favoir la carte de ce païs: tâchons en peu de mots d'en faire connoître la fituation.

Toute la Sicile eft fituée par rapport à l'Italie, & à fes limites, comtion de me le Peloponéfe par rapport à tout le reste de la Gréce, & aux éminences qui la bornent. Ces deux païs font différens, en ce que celuilà eft une Ifle, & celui-ci une Prefqu'Ifle. Car on peut paffer par terre dans le Peloponéfe, & on ne peut entrer en Sicile que par mer. Sa figure eft celle d'un triangle. Les pointes de chaque angle font autant de Promontoires. Celui qui eft au Midi, & qui s'avance dans la mer

de

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