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grandeur; & en continuant comme vous avez commencé, vous couronnerez les vôtres d'une fin heureufe. Il n'y a rien de plus glorieux que de ne dépendre de per fonne, & de vivre aux dépens des ennemis, fans avoir befoin de faire la cour ni aux Grecs ni aux Barbares. Les foldats s'écriérent qu'il les menât où il lui plairoit; & après avoir facrifié, il leur ordonna de repaître, & de s'embarquer auffi-tôt avec des vivres pour un jour, afin de pouvoir arriver à tems où Dieu les voudroit conduire. Il partit incontinent après, & cinglant de nuit vers le port d'Athénes, faifoit repofer de tems en tems les rameurs, s'approchant quelquefois d'eux pour les entretenir; que fi quelqu'un croioit que ce fût une témérité à lui, avec douze ,, galéres, d'en attaquer un plus grand nombre jufques dans le port; qu'il confidére, ,, qu'après la défaite de Gorgopas, les Athéniens s'étoient relâchés comme s'il n'y eût eu plus rien à craindre, & qu'il étoit plus facile de les défaire dans le port ,, qu'ailleurs: car il favoit qu'à Athénes chacun croiant être en fûreté, iroit coucher dans fon lit, & qu'il ne demeureroit perfonne fur les galéres. Comme il fut à fix ou fept cens pas du port, il fit halte pour donner haleine à fes gens, & attendre la venue du jour. Il n'eut pas plutôt paru, qu'il vogua à toutes rames droit au Pirée, fans fouffrir en arrivant qu'on coulât à fond, ni qu'on brifât aucun vaisseau, fi ce n'étoit des galéres, qu'il faifoit mettre auffi-tôt hors de combat. On remorquoit les moindres vaiffeaux de charge, & l'on fe contentoit de faire des prifon,,niers dans les grandes, jufqu'à en arrêter quelques-uns qui étoient couchés dans le ,, magazin. Cependant on court du Pirée donner l'alarme dans la ville, chacun fort " pour voir ce que c'étoit, & tout le monde prend les armes & fe rend au port. Alors Telutias renvoia à Egine les vaiffeaux qu'il avoit pris, avec trois ou quatre galéres, & rafant la côte gagna quantité de barques de pêcheurs & de paffage : puis ,, étant arrivé à Sunium, s'empara de plufieurs vaiffeaux marchands, après quoi il retourna vendre fon butin à Égine, & donna un mois d'avance à fes foldats. Enfuite il courut librement par tout, & prit tout ce qu'il put attraper; ce qui entretenoit le courage & l'obéiffance du foldat, & fournissoit à fa fubfiftance.

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Funius paffe en Sicile. Nouvelle difgrace des Romains à Lilybée. Ils évitent heureusement deux batailles. Perte entiére de leurs vaiffeaux. Junius entre dans Eryce, defcription de cette ville.

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Et échec, quelque confidérable qu'il fût, ne ralentit pas chez les Romains la paffion qu'ils avoient de tout foumettre à leur domination. On ne négligea rien de ce qui fe pouvoit faire pour cela, & l'on ne s'occupa que des mefures qu'il falloit prendre pour continuer la guerre. Des deux Confuls qui avoient été créés cette année, on choifit Lucius Junius pour conduire à Lilybée des vivres & d'autres munitions pour l'armée qui affiégeoit cette ville, & on lui donna foixante vaiffeaux pour les escorter. Junius étant arrivé à Mefline, & y aiant groffi fa flotte de tous les bâtimens qui lui étoient venus du camp & du refte de la Sicile, il partit en diligence pour Syracufe. Sa flotte étoit

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de fix vingt vaiffeaux longs, & d'environ huit cens de charge. Il don na la moitié de ceux-ci avec quelques-uns des autres aux Quefteurs, avec ordre de porter inceffamment des provifions au camp, & refta à Syracufe pour y attendre les bâtimens qui n'avoient pû le fuivre depuis Meffine, & pour y recevoir les grains que les Alliés du milieu des terres devoient lui fournir.

Vers ce même tems Adherbal, après avoir envoié à Carthage tout ce qu'il avoit gagné d'hommes & de vaiffeaux par la derniére victoire, forma une efcadre de cent vaiffeaux, trente des fiens, & foixante & dix que Carthalon qui commandoit avec lui avoit amenés, mit cet Officier à la tête & lui donna ordre de cingler vers Lilybée, de fondre à l'improviste fur les vaiffeaux ennemis qui y étoient à l'ancre, d'en enlever tout le plus qu'il pourroit, & de mettre le feu au refte. Carthalon fe charge avec plaifir de cette commission, (a) il part au point du jour,

(a) Il part au point du jour, brûle une partie de la flotte ennemie.] Tout ce que l'art peut inventer de rufes & d'artifices, de grand & de profond: enfin, tout ce qu'un homme brave & déterminé peut oppofer de nouveau & de furprenant dans l'attaque & la défenfe des places, on n'a que faire de le chercher autre part que dans le fiége de Lilybee. Il renferme tout entier à pur & à plein ces deux parties de la guerre. Ce font des faits dont il est très-aifé de tirer les préceptes, fans recourir aux raisonnemens du Commentateur. Ce qu'on trouvera peut-être de bien furprenant, c'est que tout ce qu'on peut imaginer d'événemens extraordinaires qui peuvent entrer dans la compofition d'un fiége, ou qui naiffent dans le cours d'une défenfe de plufieurs mois, foit dans le fecours, foit dans les forties, fe trouvent dans celui-ci. Ne diroit-on pas que notre Auteur, à l'imitation de Xenophon, a voulu traiter de l'attaque & de la défenfe des places en titre d'Hiftoire, ou de Roman militaire, comme bien des gens le prétendent à l'égard du dernier dans fa Cyropedie, quoiqu'il femble qu'il n'y ait rien de romanefque dans la conduite, dans la fageffe & les autres vertus mi-, litaires de fon Héros: car tout ce qu'il en dit n'a rien de furprenant, ni rien qui foit au deflus des forces humaines. Un Roman bâti de la forte amufe, plaît & inftruit, & nous porte aux grandes penfées comme à la vertu. Ce fiége, que notre Auteur décrit, n'est pas un Roman fait à plaifir, mais un des plus beaux morceaux de fon Histoire: c'est dommage qu'il ne fe foit pas donné carriére dans ce qu'il rapporte de l'incendie de la flotte Romaine, qui bloquoit Lilybée du côté de la mer. Il décrit ce fait d'une maniére fi coupée & fi étranglée, que j'ai lieu d'en être étonné, à caufe de la rareté de l'entreprife. Je l'appelle rareté, parce que les Anciens n'étoient pas à beaucoup près fi incendiaires que nos Modernes, aufquels on attribuë l'invention diabolique de ces fortes de

bâtimens qu'on appelle brûlots, fi peu en ufage dans les Anciens je ne trouve qu'un feul éxemple dans l'Hiftoire où il foit parlé de brûlot. C'eft Appien qui me le fournit dans fa description du fiége de Carthage par les Romains.

Cenforinus fe trouvant à l'ancre avec fa flotte dans l'étang qui étoit tout auprès du Mole, & ne pouvant y tenir à cause de la puanteur de fes eaux, qui n'avoient aucun cours, outre qu'on étoit alors dans les plus grandes ardeurs de la Canicule: Cenforinus, dis-je, fe réfolut de jetter l'ancre plus avant dans la pleine mer. Les Carthaginois s'en étant apperçus, penférent que s'ils pouvoient brûler fa flotte, ils feroient lever le fiége, ou que du moins ils le retarderoient de plusieurs jours. Ils s'aviférent de remplir plufieurs de leurs vaiffeaux de matiéres faciles à s'enflammer, & aiant attendu le tems propre pour cette entre prife, ils fortirent du port, & voguérent droit à Cenforinus, qui les voiant arriver fur lui, leve l'ancre & leur vient au devant. La rufe étoit d'un tour trop nouveau, pour s'imaginer qu'il s'agit dans cette affaire de toute autre chofe que d'un combat dans les formes; il fe trompa dans fon opinion: car à peine les cut-il approchés, que les Carthaginois mettent le feu à leurs vaiffeaux, qui fe prit aux autres avec tant de fuccès & de violence, à caufe du vent qui les chaffoit contre, que les Romains ne pûrent s'en garantir. 1ls y perdirent la plus grande partie de leur flotte, qui fut entiérement brûlée,

Il n'eft pas difficile de comprendre qu'on peut brûler une flotte à l'ancre dans une rade: mais un Hiftorien qui oublie de ramaffer les circonftances des choles, des lieux & des moiens que Carthalon avoit de brûler la flotte Romaine, afin que le Lecteur puiffe entendre.comment il en est venu à bout: un Hiftorien, dis-je, qui écarte tout cela, eft d'autant moins pardonnable, qu'on ne voit que très-peu d'éxemples dans l'Hiftoire de

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jour, brûle une partie de la flotte ennemie, & disperse l'autre. La terreur fe répand dans le camp des Romains. Ils accourent avec de grands cris à leurs vaiffeaux; mais pendant qu'ils portent là du fecours, Imilcon qui s'étoit apperçu le matin de ce qui fe paffoit, tombe fur eux d'un autre côté avec fes foldats étrangers. On peut juger quelle fut la confternation des Romains, lorfqu'ils fe virent ainfi envelopés.

ce tems-la de ces fortes d'entreprises. Qu'on remonte encore plus haut, ils font encore plus rares on n'en voit même aucun. L'imagination des Lecteurs n'aura pas beaucoup à travailler, pour déviner quels pûrent être les moiens dont le Général Carthaginois fe fervit pour brûler cette flotte, fans avoir recours à ceux dont nous nous fervons aujourd'hui pour réuflir. Végéce nous les apprend dans fon quatriéme Livre, ou plutôt dans fon cinquiéme, où il traite de la guerre navale. Je ne fai comment Stéwéchius a pû confondre l'un avec l'autre. Quoiqu'il en foit, notre Auteur militaire eft conforme aux Hiftoriens qui ont écrit des machines dont on fe fervoit pour brûler les vaisseaux dans les combats de mer. C'étoient les mêmes dont on ufoit dans les fiéges. On fe fervoit de dards & de fléches enflammées, que les Anciens appelloient Malleoli. Ammien Marcellin en donne la description, qui ne me femble pas affez curieufe pour mériter d'avoir place ici. Il dit feulement que ces dards & ces fléches avoient la figure d'une quenouille dont on fe fert pour filer. Je lui paffe fa quenouille, mais non pas toutes les autres machines qui la compofent; les Auteurs prétendent qu'on envelopoit de l'étoupe trempée, ou paitrie dans une compofition de matiére propre à s'enflammer, où il y entroit, felon Végéce, de l'huile, du foulphre & du bithume, & peut-être du camphre: on lançoit ces dards & ces fléches contre les tours ambulantes & les tortues des affiégeans, & par le moien des balistes, & fouvent des pots à feu remplis de ces fortes d'artifices: on s'en fervit depuis fur mer, mais fort tard, car avec ces feux on commença d'ufer de toutes fortes de machines de jet dans les affaires de mer. Ceux de Lilybée fe fervirent fort heureusement de ces fortes de dards enflammés contre les travaux des affiégeans, aufquels ils mirent enfin le feu dans une grande fortie, où un vent impétueux qui s'éleva leur fut auffi favorable qu'à Carthalon, qui emploia fans doute cet artifice pour brûler une partie de la flotte des Romains; car le même vent, qui le menoit à l'ennemi, faifoit voguer fes efpérances comme fes fléches & fes dards dans la vague de l'air, & le tems qui ne pouvoit être que contraire aux Romains rendoit leurs manœuvres inutiles & prefque fans effet.

Tout dépendoit du fecret & de la diligence, mais il dépendoit du Général Romain d'eventer l'un, & de réduire l'autre à l'abfurde, s'il n'eût

Tom. I.

Car

manqué de prévoiance, de prudence & de précautions. Il fe laiffa furprendre de la maniére du monde la plus honteuse, & c'est l'ordinaire aux armées qui ont une trop grande opinion de leurs forces & de leur courage; ce qui arrivoit affez ordinairement aux foldats & aux Généraux Romains. Il eft bon, & même c'est une régle de politique militaire, d'infpirer aux foldats un très-grand mépris de l'ennemi: mais c'eft un très-grand défaut au Général d'armée de penfer de même que fes foldats; ceux qui fe gouvernent de la forte font plus foldats que Capitaines, & quelquefois rien de tout cela.

Qu'on remarque bien ce que je vais dire les Romains ont plus perdu de batailles par la faute de leurs Généraux, que par l'ignorance & le peu de valeur de leurs foldats. Leur difcipline militaire faifoit fouvent un tel effet, qu'ils réparoient par leur courage, & plus fouvent encore par leurs manoeuvres, les bévûes de leurs Chefs, Céfar nous le fait affez appercevoir dans la bataille contre ceux du Hainaut & du Cambraifis. On fait que ce grand Capitaine fe trouva furpris, c'étoit le péché originel des Romains. Tous les Hiftoriens conviennent qu'il s'en fallut bien peu qu'il ne pérît avec toute ion aimée. Si Céfar ne le dit pas formellement, il eft aifé de comprendre par le paffage de fes Commentaires, qu'il n'echapa de ce peril que par la valeur & l'expérience de les foldats. Céfar, dit-il, fe trouvoit bien empêché, car il falloit planter l'étendart, qui étoit le figne du combat, faire fonner la charge, retirer les foldats du travail, rappeller ceux qui étoient écartés, ranger l'armée en bataille, l'encourager, lui donner le mot; ce qui ne Je pouvoit faire tout en un tems, aiant les ennemis fur les bras: MAIS L'EXPERIENCE DU SOLDAT, 2joute-t-il, SUPPLE'OIT A TOUT. Et en effet fans cette expérience il perdoit la bataille, les Gaules & fa réputation. Voiez ce que c'eft que d'être furpris, & s'il eft bien aifé de ie tirer des embarras où les furprises nous jettent. Céfar ne nous les repréfente pas tous: il eft certain qu'une flotte, qui est à l'ancre, fe trouve beaucoup moins embaraflée qu'une armée de terre, lorfqu'elle fe voit furprife, & l'ennemi fur les bras. Une flotte prife au dépourvû dans fon mouillage, coupe fes cables, laiffe fes ancres, & met à la voile: c'est une affaire d'un inftant. Je crois encore que c'est une très-petite affaire, aux efprits même les plus communs, de s'empêcher d'être furpris, & plus aifément fur Aa

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Carthalon aiant pris quelques vaiffeaux, & en aiant brifé quelques autres, s'éloigna un peu de Lilybée, & alla fe pofter fur la route d'Héraclée pour obferver la nouvelle flotte des Romains, & l'empêcher d'aborder au camp. Informé enfuite par ceux qu'il avoit envoiés à la découverte, qu'un affez grande flotte approchoit compofée de vaiffeaux de toute forte, il avance au-devant des Romains pour leur préfenter la ba

mer que fur terre. Ici les partis à la guerre nous peuvent tenir fans ceffe avertis des mouvemens de l'ennemi, & de fes moindres manoeuvres, Mais cela eft encore plus aifé fur mer, où il eft ordinaire, quoiqu'une armée foit à l'ancre, ou qu'elle faffe route, d'avoir des bâtimens au large pour reconnoître. C'étoit la méthode des Anciens, comme elle eft aujourd'hui la nôtre. Lorfque Céfar débarqua en Afrique auprès de Rufpine, il avoit un certain nombre de bâtimens qui croifoient fur ce parage, parce que l'ennemi étoit en mer. D'ailleurs je ne conçois pas comment, foit fur mer, foit fur terre, un Général peut-être furpris. La guerre eft une fcience fondée fur des principes certains & démontrés, & fur des régles infaillibles de fûreté & de précautions. Il eft donc poffible au Général de prévoir ce qui lui peut arriver, ou ce que l'ennemi peut entreprendre fur lui: il doit donc être préparé à tout événement, & ces régles & ces principes nous ménent là. Le Général Romain devoit aitement conjecturer qu'il pouvoit être attaqué, ou brûlé, & qu'il lui feroit difficile de l'éviter, fi certain vent fouffloit: il devoit donc être fur fes gardes, il eft pourtant furpris, & une partie de fa flotte brûlée & diilipee.

Les fautes de négligence & de prévoiance, telles qu'elles puiffent être, ne font pas humaines: le Non putabam à la guerre, eft l'excufe du monde la plus impertinente & la plus ridicule; à peine les fouffre-t-on dans ce que l'efprit humain ne fauroit prévoir, & qui dépend feul du caprice de la fortune. Rien n'eft plus difficile que les fui prifes des camps, pour peu qu'on fuppofe qu'on a affaire à un homme, & non pas à une bête: ces fortes de deffeins font fujets à mille cas fortuits, à mille inconvéniens, & d'un détail infini de ruies & de précautions: celles d'une armée navale ne font pas moins chargees d'épines & d'embarras, outre qu'il eft plus aité d'avoir des nouvelles & de faire avorter ces fortes de deffeins. Eft-il bien poilible de voir & de lire fans cefle dans l'Hiftoire, qu'une infinité de grands Capitaines fe font laifles furprendre comme les plus mal-habiles, par des rufes même très-grolliéres & très-furannées, & d'autres fans qu'on en ait emploié aucune? Témoin la marche du Maréchal de Villars pour aller au fecours de Douai, afliégé par l'armée des Alliés. Ce Général réfolu à une action du plus grand éclat, marcha ce qu'on appelle trompettes Jonnantes de Cambray à Arras, & paffa là la Scar

pe le lendemain au grand jour droit aux ennemis, qui fe trouvérent aufli étonnés de le voir en leur piefence, que fi cette armée fût venue par le vague de l'air, ou par enchantement. Nos foldats, qui s'attendoient à une action, ne le furent pas moins d'être arrivés, & de s'en retourner fans rien faire. Carthalon n'en ufa pas ainfi, il étoit venu à deffein de furprendre & de brûler la flotte Romaine, & fon deffein réuffit comme il l'avoit prémédité, plutôt que de faire une vaine montre de fes forces, & de retarder feulement le fiége de Lilybée. Le Carthaginois étoit maître d'agir felon le tems, les lieux & l'occafion: il prit fur lui toute cette affaire; on admira la fortune du François, qui lui offroit un bon coup à faire, fans avoir rufe le moins du monde, ni crû même qu'il pût furprendre fon ennemi: celui-ci rendit graces à cette même fortune, qui lioit fans doute la bonne fortune de fon favori par les ordres de la Cour. Heureux les Généraux dont la valeur & l'expérience ne font point retenuës & contrain-tes par des ordres fuperieurs.

Par tout ce que je viens de dire plus haut, il n'étoit pas difficile au Commandant de la flotte Romaine de s'empêcher d'être furpris & brûlé, & de fe garantir du piége. Je trouve fort peu d'éxemples de ces fortes de faits dans les Anciens. Je vois pourtant une flotte brûlée dans Homére; Hector fit le coup, il mit le feu à la flotte des Grecs qui étoit à l'ancre: & fans le fecours de l'imagination du Poëte, qui a toujours un Dieu ou une Déeffe de réferve pour les grands befoins, il eût confumé & détruit le tout. Hector fe fervit de flambeaux pour cette entreprise, & Homére n'eut befoin que de fes machi tes ordinaires, de fes Dieux & de fes Déeffes, pour éteindre cet incendie. L'éxemple que je vais citer, n'est rien moins que poëtique.

Céfar étant arrivé en Afrique avec une partie de fes forces de mer, donna ordre au refte qui venoit de Sicile de le venir joindre. Comme fes Lieutenans ignoroient le parage où il avoit débarqué, il envoie Aquila au-devant de ceux qui venoient de Sicile. Le refte des vaiffeaux, dit Hirtius, étoit à la rade de Leptis, où pendant que les gens de marine étoient allés acheter des vivres dins la place, ou s'étoient écartés le long du rivage, Va rus qui en eut avis, les vint furprendre au point du jour, après être parti du port d'Adruméte fur la feconde veille de la nuit, & brûla tous les vaisseaux de charge qu'il trouva éloignés du port, avec deux

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bataille, croiant qu'après fon premier exploit il n'avoit qu'à paroître pour vaincre. D'un autre côté les Corvétes, qui prennent les devans, annoncérent à l'escadre qui venoit de Syracufe que les ennemis n'étoient pas loin. Les Romains ne fe croiant pas en état de hazarder une bataille, allérent rendre le bord à une petite ville de leur domination, où il n'y avoit pas à la vérité de port, mais où dès rochers s'élevant de terre formoient tout autour un abri fort commode. Ils y désy barquérent, & y aiant difpofé tout ce que la ville put leur fournir de catapultes & de baliftes, ils attendirent les Carthaginois. Ceux-ci ne furent pas plutôt arrivés qu'ils pensérent à les attaquer. Ils s'imaginoient que dans la fraieur où étoient les Romains, ils ne manqueroient pas de fe retirer dans cette bicoque, & de leur abandonner leurs vaifleaux, Mais l'affaire ne tournant pas comme ils avoient efpéré, & les Romains fe défendant avec vigueur, ils fe retirérent de ce lieu, où d'ailleurs ils étoient fort mal à leur aife, & emmenant avec eux quelques vaiffeaux de charge qu'ils avoient pris, ils allérent gagner je ne fai quel fleuve, où ils demeurérent, pour obferver quelle route prendroient les Romains.

Junius aiant fini à Syracufe tout ce qu'il y avoit à faire, doubla le cap Pachynus, & cingla vers Lilybée, ne fachant rien de ce qui étoit arrivé à ceux qu'il avoit envoiés devant. Cette nouvelle étant venue à Carthalon, il mit en diligence à la voile, dans le deffein de donner bataille au Conful pendant qu'il étoit éloigné des autres vaiffeaux. Junius apperçût de loin la flotte nombreufe des Carthaginois. Mais trop foible pour foutenir un combat, & trop proche de l'ennemi pour prendre la fuite, il prit le parti d'aller jetter l'ancre dans des lieux efcarpés, & abfolument inabordables, réfolu à tout fouffrir plutôt que de livrer fon armée à l'ennemi. Carthalon fe garda bien de donner bataille aux Romains dans des lieux fi difficiles; il fe faifit d'un Promontoire, y mouilla l'ancre: & ainfi placé entre les deux flottes des Romains, il éxaminoit ce qui fe paffoit dans l'une & dans l'autre.

Une tempête affreufe commençant à menacer, les Pilotes Carthaginois, gens habiles dans les routes, & experts fur ces fortes de cas, prévirent ce qui alloit arriver. Ils en avertirent Carthalon, & lui confeillérent de doubler au plutôt le cap Pachynus, & de fe mettre là à l'abri de l'orage. Le Commandant fe rendit prudemment à cet avis. Il fallut beaucoup de peine & de travail pour paffer jufqu'au-delà du cap, mais enfin on y paffa, & on y mit la flotte à couvert. La tempête é

galéres à cinq rangs qui étoient fans défenfe. Je hazarde ici une conjecture que je tiens très-probable, & qui va même au-delà de la probabilité, je fuis perfuadé que le Commandant de la flotte devant Lilybée, tomba dans les mêmes défauts que celui qui étoit à la rade de Leptis, & que la plus

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grande partie de l'équipage de fes navires étoit à terre, ou au camp; ce qui caufa fon malheur, & produifit une bonne fortie de ceux de la place: ces momens font trop favorables, & un habile Gouverneur ne les laiffe pas échaper.

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