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ce qui me paroît de plus merveilleux. Je n'en fuis nullement étonné, le furprenant & le prodigieux eft la viteffe, la célérité & la promptitude avec laquelle il enlevoit ces lourdes maffes, les faifoit pirouéter fufpendues en l'air, & les brifoit contre les murs de la ville par des fecouffes très-violentes.

Il paroît, par le paffage de Plutarque, que le corbeau d'Archiméde étoit une maniére de grue ou de gruau, compofé de plufieurs autres puiffances que celles qu'on y applique aujourd'hui; ce qui ne pouvoit être autrement, s'il étoit femblable à cette machine. L'Auteur auroit dû favoir que le rancher, tournant fur fon arbre qui lui fert de poinçon, ne fait point la bacule ou la balance, & ne peut être incliné de tous les fens; car fi cela eût été, le treuil, le tympan & les poulies n'euffent jamais pû être appliquées à une balance. Polybe dit formellement, que le corbeau d'Archiméde étoit compofé d'une balance & d'un levier; ce qui me paroît plus vraisemblable, & plus capable de produire les effets dont il parle, & d'agir d'un mouvement plus fubit & plus accéléré. C'étoit fans doute une poutre, ou un mât prodigieufement long & de plufieurs piéces, c'eft-à-dire fait de plufieurs mâts joints enfemble, pour le rendre plus fort & moins fléxible, renforcé encore au milieu par de fortes feméles, le tout raffuré avec des cercles de fer & d'une lieure de cordes, de diftance en diftan ce, comme le mât d'un vaiffeau compofé de plufieurs autres mâts. Cette furieufe poutre devoit être encore alongée d'une autre à peu près d'égale force.

Ce levier énorme, & de la premiére efpéce, devoit être fufpendu à un grand arbre, affemblé fur fa fole, avec fa fourchette, fon échellier, fes moifes, enfin à peu près femblable à un gruau; il devoit être appliqué & colé contre l'intérieur de la muraille de la ville, arrêté & affuré par de forts liens, ou des anneaux de fer, où l'on paffoit des cordages qui embraffoient l'arbre, au bout duquel le corbeau étoit suspen du. Les Anciens ne terraffoient point les murailles comme nous les terraffons aujour d'hui; cette méthode leur étoit inconnue, peut-être à caufe de la grandeur & de la hauteur de leurs machines de guerre; qu'ils n'euffent pû mettre en batterie fur le terre-plein, fans les expofer en bute à celles des affiégeans, qui les euffent démontées & brulées en très-peu de tems. Ils ne mettoient que les petites machines faciles à tranfporter.

Ce levier énorme ainfi fufpendu à un gros cable, ou à une chaîne, & accolé contre fon arbre, pouvoit produire des effets d'autant plus grands, que la puiffance ou la ligne de direction fe trouvoit plus éloignée de fon point fixe, ou du centre du mouvement, en ajoutant encore d'autres puiffances A, qui tirent de haut en bas par la ligne de direction.

A l'extrémité il y avoit plufieurs grapins ou pates d'ancres B, fufpendues à des chaînes qu'on jettoit fur les vaiffeaux lorfqu'ils approchoient à portée. Plufieurs hommes abaiffoient cette bacule par le moien de deux cordes en trelingage C; & dès qu'on s'appercevoit que les griffes de fer s'étoient cramponnées, on faifoit un fignal, & tout auffi-tôt on baiffoit une des extrémités de la bacule, pendant que l'autre fe relevoit & enlevoit le vaiffeau à une certaine hauteur, qu'on laiffoit enfuite tomber dans la mer, en coupant le gros cable qui tenoit le vaiffeau fufpendu.

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1,25

nome.

CHAPITRE V.

Echec réciproque des Romains & des Carthaginois. Bataille d'EcOrdonnance des Romains & des Carthaginois. Choc, & victoire des Romains.

L

'Année fuivante Régulus aborde à Tyndaride, & y aiant 'apperçu la flotte des Carthaginois qui paffoit fans ordre, il part le premier avec dix vaiffeaux, & donne ordre aux autres de le fuivre. Les Carthaginois voiant les ennemis les uns monter fur leurs vaiffeaux, les autres en pleine mer, & l'avantgarde fort éloignée de ceux qui la fuiyoient, ils fe tournent vers eux, les envelopent, & coulent à fond tous leurs bâtimens, à l'exception de celui du Conful, qui courut luimême grand rifque; mais comme il étoit mieux fourni de rameurs, & léger, il fe tira heureusement de ce danger. Les autres vaiffeaux des Romains arrivent peu de tems après, ils s'affemblent & fe rangent de front, ils chargent les ennemis, prennent dix vaiffeaux, & en coulent huit à fond. Le refte fe retira dans les Ifles de Lipari. Les deux partis fe faifant honneur de la victoire, on penfa plus que jamais de part & d'autre à fe faire des armées navales, & à fe difputer l'empire de la mer. Pendant toute cette campagne les troupes de terre ne firent rien que de petites expéditions, qui ne valent pas la peine d'être remarquées.

Bataille L'été fuivant on fe met en mer. (a) Les Romains mouillent à Mefd'Ecno- fine avec trois cens trente vaiffeaux pontés: de là laiffant la Sicile à

me.

(a) Les Romains mouillent à Meffine avec trois cens trente vaiffeaux.] Ceux qui n'ont aucune connoiffance de la marine des Anciens, s'imaginent, affez fauffement, que leurs bâtimens de guerre à plufieurs rangs de rames n'etoient pas comparables aux nôtres de haut bord, & qu'une flotte comme celle dont parle Polybe de trois cens trente vaiffeaux, n'étoit pas auffi confiderable en appareil & en dépenfe, que nos armées navales de quatre-vingt vaiffeaux de ligne.

Je conviens que notre armement coûte infiniment davantage, fi l'on met l'artillerie en ligne de compte. Mais il ne s'agit point ici de cela. Il n'est queftion que du corps du vaiffeau. Il est hors de doute que ceux des Anciens a plufieurs rangs de rames, depuis le triréme jufqu'au quinquiréme, & fi l'on veut, jufqu'au dixiéme rang de rames, devoient contenir beaucoup plus de

leur

monde & de combattans que les nôtres du premier rang. Je ne crois pas que les vaiffeaux dont parle Polybe fuffent autre chofe que des birémes. Toute cette armée, dit-il, parlant des Romains, étoit composée de cent quarante mille hommes d'équipage, chaque vaiffeau portant trois cens rameurs & fix vingt foldats, c'eft affez pour me faire comprendre que c'étoient des birémes; car de s'imaginer qu'il n'y eût qu'un feul homme à chaque rame, cela me paroît impoffible. A peine cinq hommes fuffifent-ils à chaque banc de nos galéres, & cependant ces fortes de bâtimens ne portent que cinq cens hommes d'équipage. Quelle puiffance que celle de ces deux peuples! Cent quarante mille hommes de mer d'un côté, & plus de cent cinquante mille de l'autre ! Ne diroit-on pas que l'Historien a romanifé, fi tous les Hiftoriens ne convenoient fur ce point? Ce qu'il

pre

leur droite, & doublant le cap Pachynus, ils cinglent vers Ecnome, parce que l'armée de terre étoit aux environs. Pour les Carthaginois, ils allérent prendre terre à Lilybée avec trois cens cinquante vaiffeaux pontés. De Lilybée ils furent à Heraclée de Minos. Le but des miers étoit de paffer en Afrique, d'en faire le théatre de la guerre, & de réduire par là les Carthaginois à défendre, non la Sicile, mais leur propre patrie. Les Carthaginois au contraire, fachant qu'il étoit aifé d'entrer dans l'Afrique, & de la fubjuguer, ne craignoient rien tant que cette diverfion, & vouloient l'empêcher par une bataille.

Comme ces vûës oppofées annonçoient un combat prochain, les Romains fe tinrent prêts, & à accepter le combat, fi on le leur préfentoit, & à faire irruption dans le païs ennemi, fi l'on n'y mettoit pas obftacle. Ils choififfent dans leurs troupes de terre ce qu'il y avoit de meilleur, & divifent toute leur armée en quatre parties, dont chacune avoit deux noms: la premiére s'appelloit la premiére légion, & la premiére flotte, & ainfi des autres. Il n'y avoit que la quatrième qui n'en eut pas. On l'appelloit les Triaires, comme on a coûtume de les appeller dans les armées de terre. Toute cette armée navale étoit compofée de cent quarante mille hommes, chaque vaiffeau portant trois cens rameurs & fix vingt foldats. Les Carthaginois, de leur côté, mirent auffi tous leurs foins à fe difpofer à un combat naval. Si l'on confidére le nombre de vaiffeaux qu'ils avoient, il falloit qu'ils fuffent plus de cent cinquante mille hommes. Qui peut, je ne dis pas voir, mais entendre feulement parler d'un fi grand nombre d'hommes & de vaiffeaux fans être frappé, & de l'importance de l'affaire qui fe va décider, & de la puiffance de ces deux Républiques?

Les Romains faifant réfléxion qu'ils devoient voguer obliquement, Ordonla force des ennemis confiftoit dans la légéreté de leurs vaif-nance seaux, fongérent à prendre une ordonnance qui fût füre, & qu'on eût mains.

&

que

y a de bien furprenant, c'eft le peu de tems qu'ils emploiérent à un fi giand armement. L'Auteur dit qu'ils pouvoient mettre alors de plus grandes armées fur mer que quand ils fe trouvérent dans le plus haut point de leur grandeur & de leur opulence. J'aurois fouhaité qu'il nous en cût donné les raifons. Il les remet à un autre endroit, il faut que cela foit perdu.

Plufieurs fiécles après, & vers la décadence de leurs affaires, on voit fous l'empire d'Honorius un Heraclien, Comte d'Afrique, qui fe mit en tête de détrôner fon Empereur; un rebelle, en un mot, qui part de ce pais-là avec une flotte de fept cens voiles, ou plutôt, dit Tillemont, de trois mille fept cens vaiffeaux de toute cfpece. Orofe la met un peu au rabais, car il ne l'a fait monter qu'à trois mille deux cens navires, c'eft

peine

toujours plus que Xerxès n'en avoit, puifqu'He-
rodote la borne à 1207. de combat. Suppofons
que ceux d'Heraclien fuffent plus petits, & que
ce nombre de vaiffeaux foit confondu avec ceux
de transport, il y auroit au moins une moitié de
combat. Cela n'eft-il pas furprenant? Il y cut
une bataille à Otticoli, dans l'Ombrie, dit Orofe,
où cinquante mille hommes demeurérent fur la
place, fûrement on ne tua pas tout, & la perte
fut fi grande qu'Heraclien fut réduit à un feul
vaiffeau fur lequel il porta la nouvelle en Afrique.
Charles VI. Roi de France, en 1386. voulant
porter la guerre en Angleterre, dreffa une flotte
de douze ou de treize cens voiles; mais la jalou-
fie du Duc de Berri, oncle du Roi, renverfa une
fi grande entreprife avec toute la malice & la la-
cheté dont cette paffion eft capable.

des Ro

Ordon

nance des Car

thagi

nois.

Choc &

des Ro

peine à rompre. Pour cela les deux vaiffeaux à fix rangs que montoient les deux Confuls Régulus & Manlius, furent mis de front à côté l'un de l'autre. Ils étoient fuivis chacun d'une ligne de vaisseaux. La premiére flotte faifoit une ligne, & la feconde l'autre : les bâtimens de chaque ligne s'écartant, & élargiffant l'intervalle à mefure qu'ils fe rangeoient, & tournant la prouë en dehors. Les deux premiéres flottes ainfi rangées en forme de bec ou de coin, de la troifiéme on forma une troifiéme ligne qui fermoit l'intervalle, & faifoit front aux ennemis: en forte que l'ordre de bataille avoit la figure d'un triangle. Cette troifiéme flotte remorquoit les vaiffeaux de charge. Enfin la quatriéme flotte où les Triaires venoient après, tellement rangés, qu'ils débordoient des deux côtés la ligne qui les précédoit: de cette maniére, l'ordre de bataille répréfentoit un coin ou un bec, dont le haut étoit creux, & la base folide, mais fort dans fon tout, propre à l'action, & difficile à rompre.

n'auroient

Pendant ce tems-là les Chefs des Carthaginois exhortérent leurs foldats, leur faifant entendre en deux mots qu'en gagnant la bataille ils que la Sicile à défendre, mais que s'ils étoient vaincus, ç'en étoit fait de leur propre patrie & de leurs familles : enfuite fut donné l'ordre de mettre à la voile. Les foldats l'éxécutérent en gens perfuadés de ce qu'on venoit de leur dire. Leurs Chefs, pour fe conformer à l'ordonnance de l'armée Romaine, partagent leur armée en trois corps, & en font trois fimples lignes. Ils étendent l'aîle droite en haute mer, comme pour enveloper les ennemis, & tournent les prouës vers eux. L'aile gauche, compofée d'un quatrième corps de troupes, étoit rangée en forme de tenaille, tirant vers la terre. Hannon, ce Général qui avoit eu du deffous au fiége d'Agrigente, commandoit l'aîle droite, & avoit avec foi les vaiffeaux & les galéres les plus propres par leur légéreté pour enveloper les ennemis. Le Chef de l'aile gauche étoit cet Amilcar, qui avoit déja commandé à Tyndaride.

Celui-ci aiant mis le fort du combat au centre de fon armée, fe fervictoire vit d'un stratagême pendant la bataille. Comme les Carthaginois émains. toient rangés fur une fimple ligne, & que les Romains commençoient par l'attaque du centre; alors pour défunir leur armée, le centre des Carthaginois reçoit ordre de faire retraite. Il fuit en effet, & les Romains le pourfuivent. La premiére & la feconde flotte, par cette manœuvre, s'éloignoient de la troifiéme, qui remorquoit les vaiffeaux, & de la quatrième, où étoient les Triaires deftinés à les foutenir. Quand elles furent à une certaine distance, alors du vaiffeau d'Amilcar s'éléve un fignal, & auffi-tôt toute l'armée des Carthaginois fond en même tems fur les vaiffeaux qui pourfuivoient. Les Carthaginois l'emportoient fur les Romains par la légéreté de leurs vaiffeaux, par l'adreffe & la facilité qu'ils avoient tantôt à approcher, tantôt à reculer; mais la vigueur des Romains dans la mêlée, leurs corbeaux pour accrocher les

les vaiffeaux ennemis, la présence des Généraux qui combattoient à leur tête, & fous les yeux defquels ils brûloient de fe fignaler, ne leur infpiroient pas moins de confiance qu'en avoient les Carthaginois. Tel étoit le choc de ce côté-là.

En même tems Hannon, qui au commencement de la bataille commandoit l'aîle droite à quelque diftance du refte de l'armée, vient tomber fur les vaiffeaux des Triaires, & y jette le trouble & la confufion. Les Carthaginois qui étoient proche de la terre, quittent aussi leur pofte, fe rangent de front oppofant leurs prouës, & fondent fur les vaiffeaux qui remorquoient, ceux-ci lâchent auffi-tôt les cordes, & en viennent aux mains: de forte que toute cette bataille étoit divifée en trois parties, qui faifoient autant de combats fort éloignés l'un de l'autre. Mais parce que felon le premier arrangement les parties étoient d'égales forces, l'avantage fut aufli égal, comme il arrive d'ordinaire lorfqu'entre deux partis les forces de l'un ne cédent en rien aux forces de l'autre. Enfin le corps que commandoit Amilcar ne pouvant plus résister, fut mis en fuite, & Manlius attacha à fes vaiffeaux ceux qu'il avoit pris. Régulus vient au fecours des Triaires & des vaiffeaux de charge, menant avec lui les bâtimens de la feconde flotte qui n'avoient rien fouffert. Pendant qu'il eft aux mains avec la flotte de Hannon, les Triaires qui fe rendoient déja reprennent courage, & retournent à la charge avec vigueur. Les Carthaginois attaqués devant & derriére, embaraffés & envelopés par le nouveau fecours, pliérent & prirent lá fuite.

Sur ces entrefaites Manlius revient, & apperçoit la troifiéme flotte aculée contre le rivage par les Carthaginois de l'aîle gauche. Les vaiffeaux de charge & les Triaires étant en fûreté, ils fe joignent Regulus & lui, pour courir la tirer du danger où elle étoit, car elle foutenoit une espéce de fiége, & elle auroit peu réfifté, fi les Carthaginois par la crainte d'être accrochés, & de mettre l'épée à la main, ne fe fuffent contentés de la refferrer contre la terre. Les Confuls arrivent, entourent les Carthaginois, & leur enlévent cinquante vaiffeaux & leur équipage. Quelques-uns aiant viré vers la terre, trouvérent leur falut dans la fuite. Ainfi finit ce combat en particulier. Mais l'avantage de toute la bataille fut entiérement du côté des Romains. Pour vingt-quatre de leurs vaiffeaux qui périrent, il en périt plus de trente du côté des Carthaginois. Nul vaisseau équipé des Romains ne tomba en la puissance de leurs ennemis, & ceux-ci en perdirent foixante-quatre.

O B

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