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VOYAGE

I

A U

SEN ÉG A L.

L eft peu de perfonnes au monde qui ne
naiffent avec une inclination qui se déve-
loppe & fe fortifie avec l'âge. A quelque

destination que nous préparent la naissance ou l'éducation, le goût dominant prévaut toujours, & c'est lui qui décide ordinairement du genre d'occupations que nous devons fuivre. Un goût particulier pour l'étude de la physique & de l'histoire naturelle, qui fe déclara en moi de bonne heure, me fit connoître que l'état eccléfiaftique auquel m'avoient destiné mes parens, ne convenoit pas à mes inclinations; & j'abandonnai un bénéfice dont j'étois déja pourvû, pour me livrer uniquement à l'étude de la Nature.

La botanique fut la partie à laquelle je m'attachai la premiere, comme une des plus intéreffantes, tant fon utilité que par l'agréable variété qu'elle offre. La facilité que je trouvai dans les leçons publiques de

par

A

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Mrs de Juffieu au Jardin du Roi, m'y attiroit fouvent; & mon affiduité avec ce goût décidé pour cette fcience, me firent bientôt connoître d'eux. C'eft fous ces deux grands maîtres, auxquels je ne puis trop marquer ici ma reconnoiffance, que je commençai à entrer dans cette vafte carriere que je cours aujourd'hui. L'esprit d'observation & cette fagacité qui eft particuliere à M. Bernard de Juffieu, & qu'il fçait si bien inspirer, &, pour ainfi dire, naturaliser dans tous ceux qu'un goût femblable rapproche de lui, prirent facilement chez moi, & m'entraînerent infenfiblement de l'étude des plantes à celle des minéraux, de ceux-ci aux animaux, jusqu'aux infectes même & aux coquillages, enfin dans toutes les parties de l'histoire naturelle.

Dès-lors le cabinet du Roi, celui de M. de Reaumur, & celui de MTS de Juffieu me furent ouverts; je puisai là un fonds de connoissances qui me mettoit en état de faire utilement des obfervations de toute efpece: un peu d'aftronomie même ne me parut pas inutile à mon objet, & j'en appris, autant qu'il étoit néceffaire, fous M. le Monnier.

Ce ne fut qu'après avoir travaillé pendant plus de fix ans fous les yeux de ces illuftres Académiciens, que je déclarai le dessein que j'avois conçu depuis longtems de voyager. Leurs obfervations fur les différen tes branches de l'histoire naturelle de la France, laiffoient peu de chofes à defirer; je penfai donc que rien ne me feroit plus utile que d'employer ma jeunesse à faire un voyage dans quelque pays éloigné, & peu fréquenté, perfuadé que j'en rapporterois beaucoup de connoiffances nouvelles pour l'Europe. Je fçavois

que l'Afrique équinoxiale n'avoit été visitée par aucun naturaliste, & que par conféquent j'aurois un vaste champ d'observations à moiffonner.

Ce n'étoit pas peu entreprendre, fans doute, que de vouloir exécuter à moi feul un ouvrage qui exige ordinairement les travaux d'un botanifte, d'un phyficien, d'un anatomifte & d'un deffinateur. Cette considération ne m'effraya pas néanmoins, & je fis connoître mes intentions à feu mon pere, qui me présenta au commencement de l'année 1748, à M. David, chevalier de l'ordre de S. Michel & directeur de la

Compagnie des Indes, dont il étoit fort connu. M. David toujours attentif à ce qui peut être utile au commerce, goûta fort mon deffein, & me témoigna beaucoup de joie d'une entreprise qui pouvoit être aussi avantageufe à la phyfique qu'au commerce de fa célèbre Compagnie : il m'obtint une place dans les comptoirs de la Conceffion du Sénégal, avec mon paffage fur le premier bâtiment qui partiroit auffi-tôt après la publication de la paix. Je fus ravi de trouver ainfi l'accompliffement de mes deffeins, & je partis de Paris le 20 décembre de la même année, pour me rendre au port de l'Orient où se font les embarquemens de la Compagnie.

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1749.

3 Mars. Embarque

L'hiver faifoit encore fentir fes rigueurs lorfque je m'embarquai le 3 mars de l'année 1749, fur le vaiffeau le Chevalier Marin, commandé par M. Daprès quement à de Mannevillette. Nous mîmes à la voile fur les dix l'Orient, heures du matin, & fortîmes du port accompagnés de deux petits bâtimens destinés à faire route avec nous. Les vents de N-E. nous porterent bientôt en pleine

1749. Mars. Marfouins.

Vont à la rencontre du vent.

mer. Elle étoit belle, tranquille, & nous offroit tous les jours un fpectacle charmant. Des milliers de marfouins qui fe jouoient autour de notre vaisseau, fembloient nous féliciter de notre heureuse navigation: ils s'élevoient comme en fautant au-deffus de l'eau, de façon qu'on les voyoit en entier; puis fe courbant en arc, ils se plongeoient avec une agilité surprenante, & reparoissoient ensuite, imitant assez par ces mouvemens les ondulations de la mer. C'étoit un plaifir de les voir tantôt avancer de front rangés fur une même ligne, tantôt fe croifer les uns les autres comme pour fe difputer l'approche du bâtiment; enfin on ne fe laffoit point d'admirer leurs différens jeux, tant ils étoient variés & divertiffans.

On dit que ces poissons vont toujours à la rencontre du vent, & les marins augurent par leur marche, de celui qu'il doit faire. Si cela n'eft pas vrai dans toutes les rencontres, ce le fut du moins dans celle-ci. En effet nous ne jouîmes pas long-tems de cette agréable tranquillité. Elle fut bientôt interrompue par des vents contraires, qui soufflèrent du S-E. avec une telle violence, que la mer devint fort grosse en peu de tems. Les bateaux qui étoient à notre suite ne pouvant y tenir, furent difperfés, & nous les perdîmes de vue Mauvais tems jufqu'au jour de notre arrivée au Sénégal. Cependant fous le Cap Fi- les vents acqueroient de nouvelles forces, & la mer s'enfloit de plus en plus. Nous fûmes obligés de met

nisterre.

tre

à la cape, & nous effuyâmes en cet état toute la tourmente d'une mer orageuse. Enfin après avoir lutté pendant vingt-un jours contre les mauvais tems, nous doublâmes heureufement le cap Finisterre, qui nous ayoit donné tant de mal.

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