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1750. Mars.

Obfervations fur la lumiere de la mer.

accompagnerent le poison de ces morsures. Ces infectes, dont la groffeur ne paffe guères celle des grandes fourmis d'Europe, font d'une conftitution telle que ni l'eau douce, ni l'eau falée de la mer, ni le vi naigre, ni les autres liqueurs fortes, dont j'ai plufieurs fois inondé le fol de ma chambre, n'ont pû les faire périr; & quelques moyens que j'aie tenté pour en éteindre la race, il ne m'a jamais été poffible d'y réuffir. Les torts infinis & les ravages que font ces animaux demanderoient qu'on cherchât quelque voie fûre de les exterminer : on a propofé l'arfenic comme un secret infaillible; mais il ne feroit pas prudent d'en confeiller l'usage, & encore moins de le pratiquer : le feu, s'il n'étoit pas fujet à des défaftres plus dangereux que ceux que caufent les vagvagues, feroit l'expédient le moins difpendieux & le plus efficace; car on voit sarement ces infectes dans les lieux où il a passé vivement. Si j'ai beaucoup fouffert de l'incommodité des vagvagues, il faut convenir auffi qu'ils ont contribué à un grand nombre d'observations, & à me faire répéter cent fois des expériences que je n'aurois peut-être faites que rarement. Ma chambre étoit remplie de baquets pleins d'eau de mer, où j'avois continuellement des poiffons vivans qui rendoient pendant la nuit une lumiere semblable à celle des phosphores. Les bocaux remplis de coquillages, les poiffons mêmes qui étoient étendus morts fur ma table, en donnoient auffi de leur côté. Toutes ces lumieres réunies ensemble, & réfléchies fur différentes parties de ma chambre, la faifoient paroître enflammée; & j'avouerai qu'elle me parut telse la premiere fois que j'apperçus cet étrange

1750.

Mars,

mineux.

phénomène, & qu'il me fit l'impreffion qu'il est ordinaire à tout homme d'éprouver en pareil accident. Les vagvagues en me réveillant en furfaut, renouvellerent ma premiere frayeur beaucoup plus fouvent que je ne l'aurois d'abord souhaité; mais ma crainte se diffipa peu à peu par l'habitude, & j'eus beaucoup de plaifir dans la fuite à confidérer ce spectacle fingulier. Ce qu'il avoit de plus charmant, c'eft que chaque Poissons lu poiffon rendoit fa forme fenfible par la lumiere qui en fortoit : il en étoit de même des coquillages & de tous les corps marins marins que j'avois chez moi: les baquets euxmêmes fembloient des fournaises ardentes. Ce n'est pas tout: chaque jour le spectacle étoit nouveau, & la décoration changeoit, parce que chaque jour j'avois de nouveaux poissons & de nouveaux coquillages à observer: tantôt c'étoit une farde, une carengue; tantôt une pourpre, un pucelage; tantôt c'étoit un polype, un crabe ou une étoile de mer qui faifoit voir ses rayons lumineux au milieu des ténèbres : enfin je diftinguois parfaitement la forme de tous ces animaux divers, par les traits de lumiere qui partoient de chacune de leurs parties; & mille pofitions différentes que je pouvois leur donner, me permettoient de varier à l'infini cette décoration lumineufe.

Lorsque les vagvagues me forçoient de quitter cette brillante demeure, & de chercher de la tranquillité au dehors, la mer courroucée me présentoit en grand le même phénomène. Ses montagnes d'eau fembloient se métamorphofer en montagnes de feu, & offroient à mes yeux un spectacle merveilleux, & plus capable d'exciter l'admiration que la crainte, à ceux même qui auroient été expofés à fa fureur.

1750. Mars.

Accident fingulier.

pour

Quoique la mer fût violemment agitée aux environs de l'ifle de Gorée, à caufe de l'équinoxe du printems où nous étions alors, je ne laiffois pas de la paffer souvent dans un petit canot, pour gagner la grande terre. Un jour que j'allois au cap Bernard, il m'arriva un accident qui pensa me coûter la vie. Ce vie. Ce cap n'est éloigné de Gorée que d'un tiers de lieue: c'étoit la premiere fois que je me disposois à y descendre. De loin il me paroiffoit faire une anse semblable à un petit port, & je comptois y aborder aisément ; mais à mefure que j'approchois du rivage j'y trouvois plus de difficulté: la mer brifoit par-tout avec force, & je ne voyois aucun endroit fûr pour débarquer. Cependant les vagues entraînoient toujours mon canot vers la terre, & je me vis tout à coup enveloppé d'une lame qui l'emporta fur un rocher où il verfa en fe brisant, Tout le bonheur que j'eus dans ce bouleversement, où je ne perdis point la tête, fut que le canot en tournant, s'arrêta fur ce rocher, où il fut foutenu comme une voûte de deffous laquelle mes deux nègres s'échapperent. Je n'attendis pas qu'une autre lame vînt le relever & peut-être me couvrir, comme cela seroit infailliblement arrivé: je profitai de la légereté de mes jambes pour gagner le haut du rivage, où j'en fus quitte pour me fécher en me promenant au foleil.

Jufques-là nulle difficulté n'avoit été capable de m'arrêter; cependant cette catastrophe, indépendamment des douleurs que me caufoit la mer toutes les fois que je m'y embarquois, me fit faire de férieuses réflexions fur les rifques que je courois en paffant tous les jours de Gorée au continent dans un fi petit vaisseau,

1750. Mars.

Avril.

24. L'Auteur

M. de Saint-Jean, directeur de cette ifle, qui avoit pour moi toutes fortes d'attentions, & même plus que je n'en avois moi-même, voulant m'épargner les périls auxquels je m'expofois fi évidemment, propofa au maître de Ben, petit village du continent à une lieue dans le nord de Gorée, de me recevoir chez lui, & de me procurer toutes fûretés pour les promenades que je ferois fur fes terres & par-tout où je pourrois m'étendre. Ce feigneur nègre, qui étoit extrêmement affectionné pour les françois, fut au comble de fa joie de pouvoir en pofféder un chez lui pendant quelques femaines. Je trouvai le 24 avril en arrivant dans fon village, une cafe commode qu'il avoit fait bâtir nouvellement dans fa tapade pour fon ufage. Elle étoit va demeurer environnée de plufieurs cours & jardins, où il m'avoit de Ben, au encore préparé un petit cabinet bien éclairé, & dans milieu des ne une fituation telle que je l'avois defirée la compour modité de mes obfervations. Rien ne favorifoit davantage mes intentions que la pofition avantageuse de ce village. D'un côté la mer me fournissoit tout ce que je pouvois fouhaiter en poiffons & en coquillages: d'un autre côté j'avois les plaines, une forêt confidérable, & à deux lieues de là les montagnes du cap Verd. Dans tous ces endroits je devois trouver de quoi me fatisfaire tant en plantes qu'en animaux de toute efpece.

Ce pays eft entierement fabloneux, comme les environs de l'ifle du Sénégal; mais il forme une plaine beaucoup plus élevée. Il produit avec les mêmes plantes, un grand nombre d'autres qui lui font particulieres: on y voit auffi beaucoup de bois d'épines, tels

dans le village

gres.

1750.

que les acacies, & des pains-de-finge. En allant de Ben Avril. au cap Verd, je rencontrai fur ma route, à peu près à monstrueux, moitié chemin, deux de ces derniers arbres encore plus

Pains-de-finge

Nids d'une

grandeur ex

gros que ceux que j'avois admiré aux environs de l'ifle du Sénégal. Je mefurai leurs troncs avec une ficelle, & je trouvai à l'un foixante & feize pieds, & à l'autre foixante & dix-fept pieds de circonférence, c'est-à-dire, plus de vingt-cinq pieds de diametre. C'eft ce que j'ai vû de plus merveilleux en ce genre; & fi l'Afrique en montrant l'autruche & l'élephant s'eft acquife la jufte réputation d'avoir enfanté les géans des animaux, on peut dire qu'elle ne s'eft point démentie à l'égard des végétaux, en tirant de fon fein les pains-de-finge, qui surpassent infiniment tous les arbres existans aujourd'hui, du moins dans les pays connus, & qui font vraisemblablement les arbres les plus anciens du globe terreftre.

Aux branches de ces arbres étoient fufpendus des aordinaire. nids qui n'étonnoient pas moins par leur grandeur. Ils avoient au moins trois pieds de longueur, & reffembloient à de grands paniers ovales, ouverts par en bas, & tissus confufément de branches d'arbres affez groffes. Je n'eus pas la satisfaction de voir les oifeaux qui les avoient conftruits; mais les habitans du voisinage m'affurerent qu'ils avoient affez la figure de cette efpece d'aigle qu'ils appellent ntann. A juger de la grandeur de ces oifeaux par celle de leurs nids, elle ne devoit pas être beaucoup inférieure à celle de l'autruche.

Terrein des environs du cap Verd.

La vûe de la double montagne du cap Verd étoit le feul moyen que j'ayois pour diriger mes pas

dans

cette

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