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AU SÉNÉGAL.

par

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cette vafte plaine; car les fables y étoient tellement agités & tranfportés d'un lieu à l'autre les vents qu'il n'étoit pas poffible d'y appercevoir ni sentier ni aucune trace marquée: les éminences même que je ren controis quelquefois, au lieu de me guider, ne servoient qu'à m'égarer moi & mes nègres, à cause de leur grande uniformité. Elles portoient pour toute verdure des arbriffeaux connus dans l'Inde fous le nom de bois de renette (1). Je marchois auffi quelquefois dans des champs très-vastes, femés naturellement d'une efpece de bafilic particuliere au pays. Ce qui me parut digne de remarque, c'est que par-tout où il croissoit, il étoit fort épais, & qu'on y voyoit rarement d'autres plantes de telle efpece qu'elles fussent, pas même dans les endroits les plus clair-femés, comme fi fa proximité leur eût été funefte. Ce bafilic eft ligneux & vivace: il forme un arbriffeau de deux pieds de hauteur, dont les tiges & les feuilles font d'un verd rougeâtre, & répandent une odeur de citron extrêmement gracieuse. Les fables quoique mobiles & déplacés à chaque inftant, produifoient encore beaucoup d'autres petites plantes, & fur-tout des chiendents qui en couvroient prefque toute la surface.

1750. Avril,

mers.

Mes promenades les plus ordinaires étoient dans la Forêt de pa.forêt de Krampfane, que j'appellois auffi la forêt des palmiers, parce qu'en effet on y voit peu d'autres arbres. Elle commence à une petite demi-lieue du village de Ben, & s'étend jusques à deux lieues dans l'est vers le nord, en faifant un demi-cercle, & passant à

(1) Dodonæa. Linn. Hort. Cliff. 148.

Staphylodendrum foliis lauri anguftis. Plum. Cat. pag. 18.

1.750.

Avril.

Dattiers.

un quart de lieue d'un village ruiné, appellé Mbao,
& fitué fur le rivage à une lieue & demi de Ben. Sa
largeur eft par-tout d'environ un quart de lieue. Son
terrein eft bas, & creusé dans certains endroits comme
un canal, qui paroît avoir été autrefois finon un baffin
inondé par les eaux de la mer, du moins un lit de ri-
viere d'eau falée, qui en se defféchant a laissé un fable
noir & limoneux, dans lequel les eaux de la pluie
prennent un goût de fel qui les empêche d'être pota-
bles. J'oferois même affurer que ce canal faifoit autre-
fois partie du marigot de Kann, dont il est plus qu'évi-
dent que
la communication a été interceptée par une
jettée de fables, que les vents ont amenés auprès de
fon embouchure.

Du côté de Ben jufqu'aux deux tiers de fa longueur, cette forêt est toute en palmiers-dattiers, à l'entrée defquels s'éleve un petit bofquet de palmistes: dans l'autre tiers on ne voit que de ces derniers. Le dattier de ce pays eft fauvage, & vient fans culture. Les nègres Serères du royaume de Kaïor, qui comprend le cap Verd, l'appellent kionkomm; & ceux du pays d'Oualo vers l'ifle du Sénégal, lui donnent le nom de for-for. Il s'éleve rarement au-deffus de vingt à trente pieds: fon tronc eft rond & droit, de couleur tannée, & de fix pouces au plus de diametre. De fon fommet il fort une gerbe de feuilles de huit à neuf pieds de longueur, qui s'étendent en rond comme un parafol, & fe courbent un peu vers la terre. Le pied de cet arbre produit un nombre infini de tiges femblables à celle du milieu, mais qui s'élevent rarement à la hauteur de quatre ou cinq pieds. Ces tiges groffissent considéra

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blement cet arbre, & même au point que par-tout où il fe feme naturellement en forêts, on a bien de la peine à s'ouvrir un paffage au travers des épines qui terminent fes feuilles. Ses fruits font plus courts que ceux du dattier cultivé; mais leur chair eft plus épaisse. Ils font d'un goût fucré, très-agréable, & infiniment au-deffus de celui des meilleures dattes du Levant; peut-être parce qu'elles mûriffent mieux fur l'arbre.

1750.

Avril

Le palmiste est de tous les palmiers (1) du pays, Palmiste. celui qui s'éleve le plus. On en voit de foixante à quatre-vingt pieds de tige, fans aucune branche. Son tronc est noir extérieurement, également gros dans toute fa longueur, & du diametre d'un à deux pieds. Sa tête fe charge de feuilles à peu près comme le dattier. Il porte des fruits ronds de la groffeur d'une petite noix, & recouverts d'une chair jaunâtre dont on fait l'huile de palme. Les nègres lui donnent le nom de tir.

C'est de ces deux arbres qu'on tire le vin de palme. Vin de palme. Cette liqueur ressemble parfaitement au petit lait

par

niere de le ti

rer.

fa couleur. Il y a plufieurs manieres de la tirer : voici comment les nègres pratiquent la premiere, & comme je l'ai fouvent pratiquée, à leur exemple, à l'égard du dattier dans la forêt de Krampsàne. On coupe une tige Premiere maà quelques pouces au-deffous de la couronne, dont on ne laiffe que quelques feuilles: on les couche par-deffus l'incifion, & on les y affujettit avec une cheville qui fe fiche dans l'arbre. L'extrêmité de ces feuilles fe replie enfuite dans une calebaffe, ou dans un petit pot de terre rond, d'étroite ouverture, qui fe trouve ainsi sus

(1) Palma altiffima, non spinosa, fructu pruniformi minore, racemofo fparfo. Sloan, Jam. vol. 2. tab. 215.

1750. pendu fans pouvoir quitter les feuilles ni tomber. Par Avril, ce moyen la féve qui fort de la tige coupée, coule le long des feuilles, & va fe rendre dans le pot où elle

niere.

s'amaffe.

Seconde ma- La feconde maniere de tirer le vin de palme fe réquit à faire un trou rond au-deffous de la tête de l'arbre, au lieu de la couper, & à y introduire quelques feuilles pliées, qui fervent de goutiere ou de canal pour conduire la liqueur dans le pot qui y eft attaché.

Ces deux pratiques font faciles à exécuter à l'égard du dattier, dont on n'attaque que les tiges qui n'ont pas plus de cinq pieds de hauteur. Mais lorsqu'il s'agit de tirer le vin d'un arbre très-haut, comme du palmifte, on a beaucoup plus de peine. Les nègres ont un expédient merveilleux pour y monter. Ils fe fervent d'une fangle d'écorce de bauhinia, ou de feuilles de palmier amorties au foleil, battues & treffées, de trois travers de doigt de largeur. L'un des bouts est percé d'un œillet, dans lequel entre un bâtonnet attaché en travers à l'autre bout, pour faire l'office de bouton. Cette fangle ne doit être ni trop fouple, ni trop roide : il lui faut un reffort fuffifant pour l'empêcher de trop plier. Elle fait comme un cercle de deux pieds & demi de diametre, qui lorsqu'il eft tendu par le corps de l'homme & celui de l'arbre, devient un ovale qui laiffe environ un pied & demi de distance entre les deux. Avec cette ceinture, ils fe lient pour ainfi dire à l'arbre, & montent en s'aidant d'abord des fur les arbres. pieds, puis des genoux & des mains, jufqu'à ce que la partie de la fangle qui appuie fur l'arbre, fe trouve audeffous de celle qui en foutenant leurs reins ou leurs

Maniere

dont les nè

gres montent

cuiffes, leur fert de fiége: alors ils fe rapprochent de l'arbre, pour relever en haut la partie oppofée, qui bientôt après fe trouve encore abaiffée au-deffous de celle des reins, qui ont été élevés par le travail des pieds & des genoux. La fangle ne peut gliffer, parce qu'elle eft toujours bien tendue entre l'homme & le tronc, qui d'ailleurs eft très-rude. De cette façon ils parviennent bientôt au fommet de l'arbre. Là ils s'affeoient fur leur fangle, & jouiffans de la liberté de leurs bras, ils coupent les régimes de fruits qu'ils ont jugés mûrs, ils les attachent avec les calebasses pleines de vin, & les defcendent en bas par le moyen d'une corde: car ils n'oublient jamais en montant de porter avec eux en bandoulière tout ce qui leur eft néceffaire pour ce travail; une corde, un couteau, & des calebaffes vuides pour remplacer celles qu'ils ont retirées pleines de liqueur. Lorfqu'ils veulent defcendre de ces arbres, ils font le contraire de ce qu'ils avoient fait pour y monter; c'est-à-dire, qu'ils `abaissent de tems en tems la fangle au lieu de la relever. Leur promptitude & leur affurance dans ce métier fatiguant, fait affez connoître quelle doit être leur foupleffe, & com+ bien ils font adroits; car on ne dit pas qu'il leur foit jamais arrivé d'accident, & ils n'ont à craindre que de la part de la fangle qui pourroit fe rompre.

: Il faut que cette efpece de vendange coûte peu de peine aux nègres, puifque leur vin eft à fi bon marché qu'on en a fur les lieux plus de quarante pintes pour dix fols, & fouvent pour la moitié de ce prix. Elle ne fe fait pas toute dans le même tems, comme l'on fait celle du raisin dans les pays tempérés. Les arbres ne

.175 G.

Avril.

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