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1750. Avril.

fournissent chaque jour qu'une petite quantité de ce vin, & on eft obligé de le confommer prefqu'auffi-tôt, parce qu'il s'aigrit en peu de tems. Les nègres ne le boivent que vingt-quatre heures après qu'il est tiré, c'eft-à-dire, lorfqu'il a affez fermenté pour piquer Qualités de agréablement le palais. Il eft potable jufqu'au troifiéme jour; mais alors il porte à la tête, & son ivresse

ce vin.

eft

très-dangereuse. Paffé ce tems il fe tourne en mauvais vinaigre, qui contracte bientôt une odeur infupportable. Pour moi, & il en fera de même de toutes les perfonnes qui cherchent plutôt la délicatesse que la force dans le vin, j'ai toujours remarqué qu'il étoit délicieux dans fa nouveauté; & que plus il étoit frais, plus il avoit de bonté : j'en ai bû cent fois dans les calebaffes encore attachées aux arbres, jamais je ne l'ai trouvé meilleur que dans les premiers instans : il a alors toutes les bonnes qualités qu'on ne peut espérer de lui trouver douze heures après. Il a une faveur douce, fucrée autant qu'il faut, fouvent relevée d'une légere pointe de verdeur qui flatte le goût très-agréablement. Enfin le feul défaut qu'on doive reprocher à cette liqueur, c'eft qu'elle ne puiffe fe garder pour être transportée dans nos climats, où l'on en feroit plus de cas que dans celui où on la recueille. J'avouerai cependant que ce vin, tout flatteur qu'il eft, n'a pas les bonnes qualités de celui d'Europe. En tel état qu'on le boive, doux ou acide, il a toujours quelque chofe de corrofif; du moins j'ai eu lieu de le juger tel, après en avoir ufé pour unique boiffon pendant les quinze jours que je restai à Ben; car dans son état de douceur il n'est pas dangereux, quelque quantité qu'on

en boive: peut-être auffi fa qualité corrofive m'étoitelle plus fenfible, parce que je n'étois accoutumé à aucune forte de vin.

1750. Avril.

la forêt de

Parmi cette multitude prefqu'infinie de palmiers Plantes de qui rempliffoient la forêt de Krampsàne, je voyois par Krampsàne. intervalles beaucoup d'arbres & de plantes rares. Deux efpeces de tabernamontana fe faifoient remarquer par la beauté de leur feuillage d'un verd gai & luftré : une efpece nouvelle de bignonia se distinguoit auffi par la grandeur de ses fleurs, & par la fingularité de ses fruits, qui pendoient comme de gros concombres au bout de fes branches. Auprès du village de Mbao je trouvai le poivrier d'Ethiopie, cet arbre aromatique auquel les françois établis au Sénégal donnent le nom de maniguette. Vers l'extrêmité de la forêt, je vis plusieurs efpeces d'anones ou de corofoliers, dont les plus grandes étoient dans les bois, les moyennes fur les côtes, & les plus petites dans les plaines expofées au foleil; la plûpart chargées d'excellens fruits. En fuivant la côte maritime depuis Mbao jufqu'à Rufisk, qui eft un village confidérable à deux lieues & demie de là, je marchois fur des fables tout couverts de fophora (1), & de l'aloë de Guinée (2), dont les nègres des environs font de très-bons cordages qui fe corrompent difficilement dans l'eau.

On compte de l'ifle de Gorée à Rufisk trois lieues en ligne directe. J'avois déja fait ce voyage par mer. L'attérage y eft fort difficile, fur-tout dans les tems où

(1) Sophora tomentofa foliis fubrotundis. Linn. Fl. Zeyl. 163. (2) Aloe Guineenfis, radice geniculatâ, foliis è viridi & atro undulatim variegatis. Comm. Hort. Amft. vol. 2. pag. 39. tab. 20.

1750.

Avril.

4 Mai. L'Auteur eft

la mer eft agitée, parce que la côte eft baffe & toute femée de pointes de rochers. Lorsqu'on est mouillé vis-à-vis ce village, on jouit d'un point de vûe fort agréable: sa situation fur une colline plantée d'arbres, le petit ruiffeau dont les eaux falées ferpentent fur la droite pour en former une presqu'ifle, la forêt toujours verte qui s'éleve par derriere en amphithéatre, forme fur le tout un payfage raviffant & qu'on rencontreroit difficilement ailleurs. Les nègres de ce lieu me parurent fort laborieux. Les uns étoient alors occupés à battre les feuilles de l'aloë de Guinée, pour en séparer la filasse; les autres la tordoient & en préparoient des lignes de pêche & des naffes: d'autres enfin faifoient des arcs & des fléches pour la chaffe. Après avoir visité toutes les maifons de Rufisk, je fus fort furpris d'entrer comme dans un fecond village : c'étoit un assemblage de cafes un peu moins grandes, couvertes de fable & femblables à autant de maufolées élevés fur les corps de leurs morts qui y étoient enterrés, fuivant l'ufage établi chez tous les peuples de la nation Serère.

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ne m'étoit pas encore arrivé d'être attaqué par les attaqué par un nègres jufqu'au 4 de Mai, où côtoyant la mer pour me nègre Serère. rendre de Rufisk à Ben, qui en est éloigné de plus de

trois lieues, je fus pourfuivi par un nègre Serère, qui fortant du bois voisin, lançoit ses flèches empoisonnées fur moi & fur le nègre qui m'accompagnoit. J'avois plus de deux cens pas d'avance fur lui, & d'ailleurs j'étois bon marcheur, & accoutumé à ces fables fatiguans où l'on enfonce fouvent jufqu'à mi-jambe. Je continuai donc ma route en doublant le pas, fans

perdre

perdre haleine, & fans paroître ému des démonstrations menaçantes par lesquelles il espéroit m'arrêter en m'intimidant; car j'avois encore une resource dans mon fufil, fuppofé qu'il fût venu à la portée du coup, Mais après s'être bien fatigué tantôt à courir fur moi, tantôt à me décocher fes fléches, mon brave ennemi, voyant qu'il avoit perdu fes peines, & que je m'éloignois de plus en plus de lui, jugea à propos de rentrer dans fa forêt. C'étoit fans doute quelqu'un de ces Serères fauvages réunis en une petite république à dix lieues de là, qui étoit forti de fon pays pour exercer le brigandage. Il n'y avoit que mon fufil qui pût le tenter, & s'il eût été plus adroit & plus rufé, il ne m'auroit certainement pas épargné pour s'en rendre maître. Cette maniere d'attaquer eft affez ordinaire à une race de maures appellés Azounas, qui ne font d'autre métier que de fe mettre en embuscade derriere un arbre, pour tirer un coup de fufil ou une fléche à un homme dont ils veulent avoir les armes. Un pareil accident m'étoit arrivé dans mon fecond voyage de Podor: mais le maure que je découvris, regarda plus d'une fois avant de m'attaquer; & il fut bien déconcerté, quand il vit que j'étois en garde, & que je le couchois en joue.

1759.

Mai.

de la côte de

Quand je fus hors de crainte de la part du fauvage Coquillages Serère, j'eus tout le plaifir de la promenade fur une Mbao. côte extrêmement blanche, où la mer jettoit à chaque inftant des coquillages fans nombre. Je vis là deux efpeces de celui qu'on appelle conque perfique (1):

(1) Voyez l'Hiftoire naturelle des Coquillages Univalves. Genre 8, L'Yet, planc. 3. fig. 1. & 2,

P

Alai

170. c'eft la plus grande coquille de la côte. L'animal qu'elle contient pefe quelquefois cinq ou fix livres. Les nègres le boucanent & le confervent pour les tems de famine, où ils ont recours à fa chair, qui est affez fade & coriace, mais cependant d'une grande ressource dans un preffant befoin. Les vis (1), les tonnes (2), & un grand nombre de bivalves, en particulier celle que l'on nomme la concha mucronata (3), y étoient auffi

Plantes qu'on

y trouve.

en abondance.

Toutes les fois que je me rendois à la forêt de Krampsàne je prenois des routes différentes & détournées. Tantôt c'étoit du côté de la mer que je portois mes pas, & je trouvois le fpartium (4), & le kermia à feuilles de tilleul, fur les bords du marigot de Kann; le ximenia (5), le rimbot, le fagara & quelques acacies fur les collines. Tantôt je traverfois des campagnes fertiles, remplies d'anones de la petite espece, & de plufieurs lianes à citron, appellées toll par les nègres. Leur fruit a beaucoup de rapport avec celui du manguier de l'Inde, & il a la figure & le goût du citron. Le gibier ne manquoit pas dans ces quartiers : il y avoit beaucoup de gazelles, & de cette petite efpece de biches (6) qui ont à peine la grandeur du lièvre. Ceux-ci Chaffe du partoient, pour ainfi dire, de deffous les pieds : il arlièvre à la fa- riva deux fois à un nègre de ma fuite de lancer fur eux

guaïe.

(1) Voyez l'Hift. nat. des Coquill. Univalves. Gen. 9. pl. 4. fig. 5. Faval. (2) Ibid. Coquillages Operculés. Gen. 2. planc. 7. fig. 5. Téfan. (3) Ibid. Coquillages Bivalves. Gen. 6, planc. 18. fig. 2. Koman. (4) Spartium fcandens, citri foliis, floribus albis, ad nodos confertim nafcentibus. Plum. cat. p. 19.

(5) Ximenia aculeata, Hlore villofo, fructu luteo. Plum. gen. pag. 6. (6) Cervus juvencus, perpufillus Guineenfis. Seba, vol. 1. p. 70. tab. 43, fig. 1. 2.& 3.

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