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fa faguaïe, deux fois le coup porta; & il m'affura que jamais il ne faifoit autrement la chaffe à cet animal. La faguaïe eft une espece de lance de fept à huit pieds de longueur, terminée par un fer femblable à celui d'une pique. C'est l'arme la plus familiere aux nègres : ils la jettent à la main. Celui-ci la dardoit avec beaucoup de force & de justesse : il me donna auffi quelques leçons de cet exercice qui me plaifoit beaucoup.

&

1750. Mai.

du cap Ber

Mon travail étoit partagé entre les plantes, les ani-Coquillages maux, les coquillages, & ceux-ci feuls m'occupoient nard. autant que tout le refte. Je profitois de l'avantage que j'avois d'être dans un pays où ils abondent. Les rochers du cap Bernard & du cap Manuel qui font vis-à-vis l'ifle de Gorée, m'en fournirent un grand nombre de très-beaux, tels que les rouleaux, les pourpres, les plus grandes efpeces d'étoiles de mer; plufieurs poiffons mols, comme les lièvres de mer, les féches & les polypes. Dans les fables de l'anfe de Ben, je trouvois quelques vis & des holoturies. Quelquefois j'entrois dans l'eau de la mer jufqu'aux genoux, pour tirer du fable les coquillages qui s'y cachent, comme les nérites & les cames pendant que les nègres faifoient plus loin la pêche aux poiffons. Ils font accoutumés dans cet endroit à leur faire la chasse à la faguaïe, en entrant dans l'eau jusqu'à la ceinture, & fouvent davantage. Lorfqu'ils apperçoivent le thon, le capitaine, le furmulet, ou la quelque gros poisson semblable, ils lui lancent la faguaie avec une adreffe merveilleufe, & manquent rarement leur coup. Cette baye leur fournit encore beaucoup de moyens poiffons qu'ils pêchent au filet.

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Chaffe aux

poiffons avec

faguaïe.

175༠. Mai,

chent de com

pagnie.

Ils les ouvrent en deux, & les étendent au soleil pour les faire fécher, & les vendre aux maures, qui leur apportent en échange le mil qui manque chez eux.

Ces poiffons me procurerent une obfervation qui ne fe feroit peut-être pas préfentée ailleurs. Comme les nègres les mettent fécher fur le comble de leurs cafes & fur les tapades, leur vûe & leur odeur attirent fouvent dans le village les lions, les tigres & les loups qui rodent fans ceffe aux environs : malheur alors aux enfans, aux hommes même qui fe trouvent dehors. Il Le lion & arriva une nuit à un lion & un loup d'entrer de comle loup mar- pagnie jufques dans la cour de la case où j'étois couche: ils s'élevèrent tour à tour en pofant leurs pieds de devant fur le comble, comme il me fut facile de les entendre, & ils emporterent leur provifion. On s'affura le lendemain par les impreffions de leurs pieds bien marquées dans le fable, qu'ils étoient venus enfemble, & on reconnut l'endroit d'où ils avoient enlevé deux poiffons : fans doute que chacun avoit pris le fien. Ce vol étoit modeste pour deux animaux auffi carnaffiers, mais leur choix n'étoit pas tombé fur les plus petits. J'ignore qu'on ait encore fait cette remarque, que le loup fraye avec le lion: cependant ce fait n'eft pas un cas extraordinaire; on en a des preuves journalieres dans ces quartiers; on on y entend prefque tous les foirs le loup mugir à côté du lion. Fai été témoin cent fois de la même chofe dans tous mes voyages fur le Niger, & je fçai à n'en pouvoir douter, que le loup fe trouve fouvent avec le lion, fans avoir rien à craindre de fa Ce n'eft pas que la part. taille du loup d'Afrique, qui est beaucoup fupérieure

à celle du loup d'Europe, faffe quelque impreffion fur le lion ; c'est seulement parce que fa chair ne le tente en aucune maniere : & ce qui me confirme dans cette opinion, c'est que je n'ai jamais vû que les deux lions qu'on élevoit au milieu du village du Sénégal, ayent attaqué les chiens qu'on leur exposoit ou qu'ils rencontroient lorsqu'ils s'étoient déchaînés; au lieu qu'ils tomboient fur le premier cheval ou fur le premier enfant qui fe trouvoit dans leur chemin.

1750.

tigre.

Mai.

Quelques jours après cette vifite du lion avec le Hardiesse du loup, on eut celle d'une tigreffe qui vint dans la même cafe avec fon petit, & enleva pareillement deux poiffons. Je ne veux que ces deux événemens pour preu- Indifférence ves de la pareffe & de l'indifférence des nègres, fur les des nègres, torts que leur font ces animaux, & fur les dangers auxquels ils font eux-mêmes continuellement expofés. Quand on leur demande pourquoi ils ne fe donnent pas la peine de leur faire la chaffe, ou de retirer leur poiffon, du moins pendant la nuit : ils fe contentent de répondre, qu'il faut que tout le monde vive, & que ce feroit une plus grande fujétion pour eux de renfermer tous les foirs ce poiffon, que de le pêcher. Il eft vrai que la pêche est dans cet endroit d'une facilité qu'on ne peut exprimer.

Leurs terres font en friche prefque par-tout, foit parce que les fables font trop ingrats, ou qu'étant accoutumés au métier de pêcheurs qui leur coûte moins de peine, ils les négligent & fe repofent fur les maures du foin de leur fournir leur néceffaire. Ceux-ci y étoient alors, & avoient amené leurs bagages & leurs denrées, non fur des boeufs & des chameaux, comme

Mai. Anes des

maures.

1750. je les avois vû au nord du Niger, mais feulement fur des ânes, dont ils étoient très-bien fournis. J'eus de la peine à reconnoître cet animal, tant il étoit beau & bien vêtu en comparaison de ceux de l'Europe, qui je crois feroient de même, fi le travail & la maniere dont on les charge ne contribuoient beaucoup à les défigurer. Leur poil étoit d'un gris de fouris fort beau & bien luftré, fur lequel la bande noire qui s'étend le long de leur dos, & croise enfuite fur leurs épaules, faifoit un joli effet. Ces ânes font un peu plus grands que les nôtres, mais ils ont auffi quelque chofe dans la tête qui les diftingue du cheval, fur-tout du cheval barbe, qui eft comme eux naturel au pays, mais tou, jours plus haut de taille.

negres.

Caractere des Il m'étoit déja arrivé de demeurer quelques jours au milieu des nègres ; mais je n'avois jamais refte fi longtems chez eux, feul & éloigné du commerce des gens de ma nation. Ce fut-là que j'eus lieu de connoître à fond leur caractere, leurs moeurs, leur maniere de vivre, & leurs ufages : j'y fus même témoin de la cérémonie d'un mariage; mais cela m'éloigneroit trop de mon fujet : je me bornerai à dire ici qu'ils font en général très-humains & hofpitaliers.

10 Juin. Départ de Gorée.

Le 9 mai je retournai de Ben à Gorée, d'où je partis le 10 du mois fuivant pour me rendre à l'ifle du SénéRetardement gal. J'arrivai le 16 à la barre, au pied de laquelle je fur la barre. fus obligé d'attendre les vents pendant quatre jours, On peut juger de quelle tranquillité j'ai dû jouir dans un petit bateau balancé en tout fens par des lames continuelles. J'eus là tout le loifir de confidérer l'effet furprenant de ces lames de la barre, & de

promener

1750. Juin.

grondin.

ma vûe de toutes parts, fans appercevoir autre chose que des fables éblouiffans d'un côté, & la plaine liquide de l'autre. Il eft vrai que quelquefois ce fpectacle uniforme étoit varié par la vûe des pirogues des nègres pêcheurs, qui bravoient la barre pour venir à bord apporter du poiffon. Quoique la mer foit très-groffe à la côte, la rade ne laiffe pas d'être poiffonneufe. Nos Pêche du matelots y faifoient une pêche abondante à la ligne, fur-tout d'une efpece de vieille qui y eft fort commune. Ce poiffon a une avidité extraordinaire pour mordre à l'hameçon ; & dès qu'il eft pris, c'eft un plaifir de voir les élans & les efforts qu'il fait pour fe délivrer : cela va même au point qu'il renverfe fon eftomac, que l'on voit fortir par la bouche fous la forme d'une veffie de carpe : ces efforts font encore accompagnés d'un bruit fourd & très-fort, qu'il rend comme en grondant, & qui lui a valu le nom de grondin, fous lequel on le connoît fur cette côte.

20.

Arrivée à l'ifle

ce que c'eft,

Un vent d'ouest, en me tirant de ce difgracieux féjour, me fit paffer la barre & me remit à l'ifle du du Sénégal, Sénégal le 20 du mois de juin. J'avois grand besoin de me repofer des fatigues de tous mes voyages fur la mer, qui m'avoit plus incommodé que n'auroit fait une longue maladie. Chacun fçait que le mal de mer Mal de mer, est une espece d'abattement ou de défaillance, qui caufe des naufées & des vomiffemens plus ou moins fréquens, felon la diverfité des tempéramens qui font exposés sur cet élement. Il y a des gens qui n'ont jamais connu ce mal : il y en a d'autres qui n'en reffentent les effets que pendant les premiers jours, & qui en font quittes pour quelques étourdiffemens : dans d'autres

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