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dure & une fraîcheur raviffante dans l'efpace de plus d'une lieue. Les poiffons y fautoient de tous côtés; mais ce qu'il y avoit de plus fingulier, c'eft que partout où nous paffions, il en entroit continuellement dans la pirogue. Les plus gros, comme les meilleurs fauteurs, paffoient par-dessus ; mais presque tous les moyens y retomboient. Les mouvemens qu'ils faifoient en pirouettant, ne me paroiffant pas naturels ni faits à plaisir, je les examinai pour en découvrir la cause : ils avoient reçu la plûpart quelques coups de dents, qui me firent connoître qu'ils avoient été pourfuivis par les plus gros, qui leur faifoient la chasse. Pendant deux heures que je fus à parcourir ce marigot, je comptai deux cens trente poiffons appellés carpets (1), qui fe trouverent pris fans autre artifice. C'étoit une pêche honnête pour mes nègres. Comme ils étoient cubalots, c'est-à-dire, pêcheurs de leur métier, ils n'en furent pas fort furpris; & me dirent que quand ils faifoient la pêche aux gros poissons avec la ligne ou la varre, ils laiffoient aller leur pirogue au courant de ces petites rivieres, & comptoient fouvent davantage fur les petits poiffons qui fe prenoient d'euxmêmes, que fur le hazard des gros.

1751. Mars

pellé faucon

Jamais les cormorans, les plongeons, les fauconspêcheurs n'avoient eu plus beau jeu : auffi les mangliers de cette riviere en étoient tout couverts. Le faucon- Oifeau appêcheur, que les oualofes appellent du nom de nguiar- pêcheur. kol, & les françois de celui de nanette, est un oiseau de la grandeur d'une oye, & dont le plumage est brun, à l'exception de la tête, du col, de la poitrine & de la (1) Efpece de vieille femblable à la carpe, mais plus courte,

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queue qui font d'un très-beau blanc. Il a le bec très-
fort & crochu comme celui de l'aigle, & des ferres
aigues, courbées en demi-cercle, dont il se sert admi-
rablement bien pour la pêche. Il se tient ordinaire-
fe
ment fur les arbres au-deffus de l'eau, & quand il voit
un poiffon approcher de fa furface, il fond dessus, &
l'enleve avec fes ferres. J'en tuai un qui me fit regar-
der d'un fort mauvais œil par mes nègres, parce que
cet oiseau eft craint & refpecté chez eux : ils portent
même la superstition au point de le mettre au nombre
de leurs marabous, c'est-à-dire, de leurs prêtres, qu'ils
regardent comme des gens facrés & divins. Ils s'appai-
ferent cependant dès qu'ils virent que je leur avois
procuré un poiffon de plus de quatre livres, que ce
prétendu marabou avoit porté fur le rivage pour en
faire curée.

Une aventure à peu près femblable m'arriva le 22 d'avril au village de Sor. J'étois affis fur une natte au milieu d'une cour, avec le gouverneur du village & toute fa famille. Une vipere de l'efpece malfaisante, après avoir fait le tour de la compagnie, s'approcha de moi. Cette familiarité ne me plaifoit guère; & pour éviter les accidens, je m'avifai de la tuer d'un coup de baguette que je tenois à la main. Toute la compagnie fe leva auffi-tôt, en jettant les hauts cris, comme fi j'eus fait un meurtre: chacun s'éloigna de moi, & prit la fuite: l'endroit fut bientôt défert. Comme la chofe devenoit férieuse, & que le bruit s'en répandoit dans tout le village; je profitai de cet instant où j'étois seul, pour mettre la vipere dans mon mouchoir, & la cacher dans la poche de ma veste. C'étoit le moyen de m'assurer

1751.

Avril.

cet animal, qu'il étoit fi difficile de fe procurer dans ce pays; & en même tems de calmer tous les efprits en le leur ôtant de la vûe. Je n'étois pas trop en fûreté dans ce lieu, & l'on m'y auroit fait un mauvais parti; mais le maître du village, homme de bon fens, chez qui tout cela s'étoit paffé, réfléchit qu'il étoit de fon honneur & de fon intérêt de faire ceffer le tumulte & d'étouffer le bruit: l'autorité que lui donnoit fa place, fon caractere de marabou, & la maniere dont il s'y prit, lui en assurerent la réuffite. Voilà un trait qui Les nègres fait voir combien les nègres font zélés obfervateurs font fort fude leur religion & des fuperftitions qui y font attachées. Ils ne regardent pas les ferpens comme leurs fetiches ou leurs divinités, ils les refpectent cependant affez pour ne les pas tuer : ils les laiffent croître & multiplier dans leurs cafes, quoique fouvent ces animaux mangent leurs poulets, & ofent coucher, pour ainfi dire, avec eux. Il est vrai qu'il eft rare qu'ils faffent du mal à personne; il faut qu'ils foient attaqués ou bleffés, ou qu'on leur marche fur le corps, pour les obliger à donner un coup de dent.

perftitieux.

7

Mai. Promenade

got de Del,

Le de mai je defcendis le Niger pour visiter le 7 marigot de Del, qui n'est pas fort éloigné de fon em- dans le maribouchure. Le vent étoit favorable; & mes nègres pour s'éviter la peine de pagayer ou de ramer, mirent à la voile. On peut croire que celle d'une petite pirogue de trente pieds de long, ne doit pas être bien grande: auffi ne furent-ils pas beaucoup embarrasses pour la trouver. L'un d'eux planta une perche de dix pieds fur l'avant, & la croifant en haut avec un petit bâton, y étendit la pagne dont il étoit vêtu. Ces pagnes font

1751. Mai..

eft fermée par une barre.

d'un ufage merveilleux : leur forme eft telle que l'on peut dans l'occasion en faire une voile, un drap, une couverture, un manteau une jupe ou une ceinture. Je ne puis mieux comparer la figure qu'avoit cette voile, qu'à celle d'une baniere, dont les deux bouts d'en-bas furent attachés aux côtés de la pirogue. Lẹ nègre qui étoit derriere à la poupe, gouvernoit avec sa pagaïe, pendant que l'autre dirigeoit la voile & la tournoit au vent. Avec ce foible fecours, je fis près de deux lieues en moins d'une heure de tems, & j'arrivai Son entrée à l'entrée du marigot de Del. A l'endroit où il fe débouche dans le Niger, il eft fermé par une barre de sable sur laquelle les vagues du fleuve brisent quelquefois assez dans les vents de nord-ouest, pour en empêcher l'entrée aux grandes pirogues. Mes gens prirent fi bien leur tems, qu'ils franchirent la difficulté, & après m'avoir fait parcourir le marigot dans tous fes détours, ils me conduifirent au village de Del, qui étoit bâti fur l'extrêmité d'un banc de coquilles. Ce Banc de co- banc s'étendoit de près d'une lieue dans le nord ; & il me parut remarquable en ce qu'il étoit entierement découvert à fleur de terre, & que toutes les coquilles étoient d'une même efpece d'huîtres, qui avoient vécu autrefois fur les mangliers des marigots voisins, de la même maniere que celles que j'avois obfervées dans lę

quilles.

fleuve Gambie.

La mer avoit amené dans le Niger une quantité prodigieufe de poumons marins & de vélettes, que j'eus tout le loifir à mon retour de voir flotter fur fes caux. Les premiers de ces animaux fe connoiffent dans le pays fous le nom de bonnets-flamans, & les

derniers

1751.

Mai.

Galère, ef

derniers fous celui de galères(1). Rien ne ressemble davantage à une veffie remplie d'air, & peinte d'un beau rouge, que le corps de la galère. On a peine à y pece de ver diftinguer autre chofe qu'une frange fur le dos, & huit marin, filets fous le ventre, qui defcendent en bas comme pour fervir de left à la veffie, qui se soutient toute hors de l'eau, & eft portée au gré des vents. Cet animal tout informe qu'il eft, & prefque fans aucun mouvement sensible, eft cauftique au point que lorsqu'on le touche, il caufe une douleur femblable à celle d'une brûlure. J'en pris un dans la main pour en faire l'épreuve, & je le retins jufqu'à ce que son effet commençât à se faire sentir: il se déclara à l'extérieur par une petite rougeur, fuivie d'un picotement & d'une inflammation qui ne ceffa qu'au bout de quatre heures. La douleur fe communiquoit à toutes les parties délicates du corps, comme à celles du visage, & fur-tout aux paupières, par un attouchement même très-léger de la main enflammée.

Précautions

pour obferver

Les obfervations que je fuivois depuis quelques années fur les chaleurs du pays, avec une attention & les chaleurs, des vues particulieres, me paroiffoient affez importantes pour que je les étendiffe de maniere à les rendre fufceptibles de comparaifon. J'imaginai d'observer dans les jours les plus chauds de l'année, les degrés que marquoit le thermometre de M. de Réaumur étant expofé à l'air libre, & ceux qu'un second inftrument semblable marqueroit pendant le même tems dans le fable de la campagne expofé au soleil. M. An

(1) Urtica marina foluta purpurea, oblonga, cirrhis longiffimis. Sloan, Jam. vol. 1. pag. 7. tab. 4. fig. 5.

R

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