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1752.

Juin.

quelques momens fur le lieu même, ceux-ci fans interrompre la cadence, fe mirent à labourer la terre avec leur bêche, pour arracher les mauvaises herbes. Pendant ce travail ils imitoient fi bien par leurs mouvemens & leurs chants le fon & la mefure des inftrumens, que l'on eût dit que tous ces laboureurs n'étoient que des chanteurs & des danfeurs. C'étoit un plaifir de voir comment ces gens fe démenoient, & toutes les contorfions qu'ils fe donnoient avec un air de contentement, felon que le fon des tambours étoit plus ou moins vif & précipité, & que les guiriots donnoient plus de feu à leurs chansons. Ils ne devoient quitter le travail qu'à la nuit; & deux jours après ils devoient faire un fecond labour, qui confifte à creufer avec la même bêche quelques trous, dans lefquels ils jettent Semailles. une petite pincée de mil, qu'ils recouvrent auffi-tôt de terre en la ramenant par-deffus avec le gros doigt du pied. Cette façon faite, ils se reposent de tout le refte fur les pluies, & ils font difpenfés de tout travail jusqu'à la récolte. Leurs lougans, c'est ainsi qu'on appelle les campagnes labourées, font ordinairement fermées par une haie vive d'épines, ou d'une espece de titimale qui ne vient jamais ni fort grand ni fort gros. Son écorce eft d'une blancheur qui le fait remarquer fur tous les autres arbres. Il croît fort vîte, comme tous les bois mols; & lorfqu'on le coupe il répand une grande quantité de liqueur blanche & épaiffe comme du lait, qui coule par ruiffeaux.

Quand ces laboureurs furent bien en train de travailler, je les quittai pour faire un tour en chassant jufqu'au village de Sor-nguiànn, qui eft à une petite ·

T

Titimale.

Oifeaux de

l'ifle de Sor.

1752.

Juin.

Oye.

demi-lieue de Sor ou de Sor-baba. Je tuai des colibris, des piverds, des perdrix, des alouettes & quelques oyes. Il eft ordinaire à ces trois derniers oifeaux de percher fur les arbres; chofe qui ne leur arrive guères en France. L'oye de ce pays, que les nègres appellent hitt, n'a rien qui flatte dans la couleur de fon plumage; mais on remarque fur fa tête une boffe affez groffe, couronnée de plufieurs caroncules qui lui fervent d'ornement. Ses épaules à l'endroit où le fait l'inflexion de l'aîle, font auffi armées d'une corne femblable à une épine, de près d'un pouce de longueur. Elle s'en fert fort adroitement contre les oiseaux de proye qui voudroient l'attaquer.

Ma chaffe fut augmentée de beaucoup par une découverte que je fis en côtoyant le marigot voifin de Sor-baba. Des traces fraîchement imprimées fur le fable, & que je reconnus facilement pour être du crocodile, piquerent ma curiofité : je voulois, en les fuivant, aller à la rencontre de cet animal; mais après l'avoir cherché vainement, j'arrivai à un endroit diftant de cent cinquante pas du marigot, où le fable paroiffoit avoir été gratté. Mes nègres jugerent que ce pourroit être le lieu où ce crocodile venoit de faire Ponte du cro- fa ponte, & ils ne se tromperent pas; après avoir creusé environ un demi-pied, ils trouverent une trentaine d'œufs, qu'ils emporterent comptant en faire grand-chere. Ils n'étoient guères plus gros que des œufs d'oye, & répandoient une petite odeur de musc qui auroit fans doute beaucoup plû aux perfonnes qui

codile.

aiment cette odeur.

Il y avoit plus de trois ans que j'étois dans le pays

1752. Juin.

20 Août. Voyage au

fans avoir encore pû contenter l'envie que j'avois de voir le quartier de la Chaux. C'est un lieu auquel on a donné ce nom à cause de la chaux qu'on y fait avec des coquilles qui y font en grande abondance. Comme il est sur le bord d'une petite riviere qui communique avec le Niger, on y va facilement par eau en partant de l'isle du Sénégal. Je m'y rendis le 20 du mois d'août fur un bateau qui alloit prendre de la chaux. Il y a marigot de la dans ce canton, comme dans les plus beaux pays du Chaux. monde, de grandes plaines, d'agréables vallées, d'excellens pâturages en tout tems pour le gros & le menu bétail, & des petites rivieres dont les bords font couverts de mangliers & d'autres arbres toujours verds. La principale de ces rivieres porte le nom de marigot de la Chaux. Elle eft grande & fort poiffonneufe: elle abonde fur-tout en groffes anguilles, en carpets & en machoirans. Ce dernier poisson est fort bon & extrê- Poflon apmement gras: mais il faut s'en méfier lorsqu'il est en- Pan core en vie; car il eft armé fur les deux nageoires des côtés, & fur celle du dos, d'un dard extrêmement pointu avec lequel il porte des coups dangereux à ceux qui fe mettent en devoir de le prendre. Les bleffures en font venimeufes & fe guériffent difficilement. En mettant pied à terre fur le bord méridional de Banc de coce marigot, je me trouvai fur un banc de coquilles, dans lequel on avoit creusé un grand nombre de fours à chaux affez près du rivage. Quoique dépourvu de terre, ce banc étoit couvert d'un bois très-épais: on y voyoit même quelques pains-de-finge de plus de trois pieds de diametre. Je le fuivis en marchant toujours fur les coquilles jufqu'au village appellé Montel, qui

pellé machoi

quilles.

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1752. Aout.

crocodile.

mort,

est à plus de demi-lieue de là vers le midi, & je retournai par un autre chemin afin d'en reconnoître la largeur. Entre plufieurs chofes qui me firent plaifir dans cette promenade, celle qui m'en procura davantage, fut de voir la maniere dont un de mes nègres tua un crocodile de fept pieds de long. Il l'avoit apperçu endormi dans les brouffailles au pied d'un arbre, Chaffe au fur le bord d'une riviere. Il s'en approcha affez doucement pour ne le pas éveiller, & lui porta fort adroitement un coup de couteau dans le côté du col, au défaut des os de la tête & des écailles, & le perça, à peu de chofe près, de part en part. L'animal bleffé à fe repliant fur lui-même quoiqu'avec peine, frappa les jambes du nègre d'un coup de fa queue, qui fut si violent qu'il le renverfa par terre. Celui-ci fans lâcher prife, fe releva dans l'inftant, & afin de n'avoir rien à craindre de la gueule meurtriere du crocodile, il l'enveloppa d'une pagne, pendant que fon camarade lui retenoit la queue je lui montai auffi fur le corps pour l'affujétir. Alors le nègre retira fon couteau, & lui coupa la tête qu'il fépara du tronc. Cette expédition fut terminée en fort peu de tems. Ils firent tout leur poffible pour traîner le corps du crocodile jufqu'au bateau; car il étoit trop pefant pour être porté : mais voyant leurs efforts inutiles, ils l'embarquerent dans un canot pour le remettre à bord. Cette action de bravoure mérita à mon nègre les éloges de tous les laptots du bateau, & des habitans du voifinage, qui connoiffoient depuis long-tems fon adreffe dans la Sa chair fe chaffe du crocodile. On fit honneur à fon gibier, dont on mangea dès le foir même plufieurs tronçons. Sa

mange.

chair dont je goûtai auffi quelques morceaux, ne me parut pas avoir une odeur de mufc auffi forte que l'on dit qu'elle a d'ordinaire, & je la trouvai fort mangeable.

17521

Août.

Le jour fuivant je me promenai de l'autre côté du marigot de la Chaux, & je ne fus pas peu furpris d'y trouver un grand nombre de collines de fable rouge de plus de trente pieds de hauteur. Les néous (1), les déthars (2) & plufieurs autres arbres fruitiers donnoient des marques affurées de la fertilité de ce terrein. Je voyois à chaque pas fur les arbriffeaux des camé Caméleons? leons, qui, lorfqu'on les touchoit, changeoient en noir leur couleur verte. Ils avoient alors beau jeu à faire la chasse aux fauterelles dont la terre étoit, pour ainfi dire, couverte; & ce feroit une erreur de croire que cet animal ne mange point; fa maigreur ne doit pas nous en impofer. Tous ceux que je trouvai avoient l'eftomac rempli de papillons & fur-tout de fauterelles, qui témoignoient qu'ils n'avoient pas obfervé un jeûne auffi rigoureux que le penfoit autrefois le vul→ gaire: mais ce n'eft pas la feule erreur dont il ait befoin d'être défabufé.

Pour revenir au banc de coquilles d'huîtres qui couvrent les campagnes de la Chaux dans une étendue de plus de demi-fieue, les nègres ont auffi leurs préjugés. Les uns racontent que ce banc eft l'ouvrage des finges du tems paffé; & que ces animaux plus fréquens alors dans ces quartiers qu'ils n'y font aujourd'hui, mangerent ces huîtres: les autres veulent que ce foient les dépouilles de celles que leurs peres ont boucanées,

(1) (2) Nouvelles efpeces d'arbres non décrits

Sentimens des formation des

nègres fur la

bancs de coquilles.

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