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1749. Avril. Mer lumi

toutes ces faifons en moins de fix femaines. La mer
qui, dans ces parages, paroît comme en feu, lorf-
qu'elle eft agitée pendant la nuit, marquoit notre neuse.
route par un fillon de lumiere que le vaisseau laissoit
derriere lui. Ce phénomene, dont le détail se trouvera
dans un autre ouvrage, me parut affez intéressant, &
je paffai plufieurs nuits à le confidérer, & à en recher-
cher la caufe.

25. Vûe de la

Nous continuâmes notre route avec la même faveur du ciel jufqu'au 25 avril, où l'on fe trouva à la vûe côte du Sénéde la côte du Sénégal. C'étoit une terre basse, sablo- gal. neuse & très-blanche, qu'on avoit assez de peine à diftinguer, quoique le tems fût bien clair, & qu'on n'en fût éloigné que de trois à quatre lieues : cependant on reconnut à une touffe d'arbres masquée en partie par les dunes de fables, que l'on étoit par le travers du bois de Griel, c'est-à-dire, à deux lieues au nord de l'ifle du Sénégal. Peu de tems après on apperçut au-deffus du bâtiment un oiseau qui paroiffoit fatigué & cherchoit à se reposer; en effet il s'arrêta sur une manoeuvre, d'où on le fit defcendre d'un coup de fufil. Cet oifeau étoit d'une beauté trop finguliere Oifeau de pour que je n'en faffe pas une légère description. C'é- paffage. toit une espece de geai (1), auquel il ressembloit fort

par

la groffeur du corps, & par la figure du bec & des pieds; mais il en différoit à quelques autres égards. Il étoit d'un bleu pâle fous le ventre, & fauve fur le dos. Sa queue qui avoit pour ornement deux plumes de la longueur du refte de fon corps, étoit relevée, auffi-bien que fes aîles, par l'éclat d'un bleu célefte le

(1) Garrulus argentoratenfis. Willug. ornith. pag. 89. tab. 20.

Avril.

1749. plus beau qu'on puiffe imaginer. J'ai eu fouvent occafion de voir ce geai dans les terres du Sénégal ; mais comme j'ai reconnu depuis que c'étoit un oiseau de paffage, qui vient habiter pendant quelques mois de l'été dans les pays méridionaux de l'Europe, & qui retourne passer le reste de l'année au Sénégal, je ne veux pas laiffer ignorer qu'il a été rencontré quelquefois en mer dans le tems de fon paffage.

Mouillage dans la rade.

Le même jour on arriva devant l'habitation du Sénégal. Après avoir fait les fignaux ordinaires, & falué le fort de plufieurs coups de canon, on alla mouiller trois lieues au-deffus, à l'embouchure du fleuve Niger, par les neuf braffes, fur un fond de vafe & de bonne tenue. Quoique l'on fût à une demi-lieue de la barre, la mer étoit très-forte, & les vents du large y excitoient des houles furieuses, qui caufoient au yaifCanot verfé. seau un tangage infuportable. Le canot qu'on avoit mis à la mer, fit capot fous une lame, & nous fûmes témoin d'un malheur qui n'est que trop ordinaire dans la navigation. Comme il tourna fens deffus deffous, les matelots qui étoient dedans, tomberent à la mer, & l'un d'eux disparut & fut perdu fans ressource. Nous ne restâmes pas long-tems dans cette rade, un bateau envoyé de l'ifle du Sénégal, vint nous prendre pour nous faire passer la barre, & nous entrer dans le fleuve.

Barre, ce que c'eft.

On entend par le nom de barre l'effet que produifent plufieurs lames, qui en paffant fur un haut fond, s'enflent & s'élèvent en une nappe d'eau de dix à douze pieds de hauteur, & retombent enfuite en fe brifant. La premiere lame n'a pas plutôt eu fon effet, qu'elle est fuivie par une feconde, & celle-ci par une troifiéme.

Elles

Elles commencent à fe faire fentir à cent & quelquefois à cent cinquante toifes de la côte, & font autant à craindre pour les plus gros que pour les plus petits bâtimens. Un canot rifque d'y être fubmergé, & un navire y feroit bientôt mis en pieces. Cette barre s'étend fur toute la côte du Sénégal, du moins y a-t-il fort peu d'endroits qui n'y foient fujets. C'étoit un pareil écueil qu'il falloit franchir pour entrer dans le fleuve, dont l'embouchure étoit masquée par un banc de fable fur lequel les lames brifoient. Heureusement nous arrivions dans la saison où la mer eft plus traitable, & la barre moins rude; & nous étions conduits par des nègres, tous gens de bonne volonté, & tellement familiarisés avec la barre qu'il eft rare d'y voir

arriver des accidens.

1749.

Avril,

Bateaux de

Les bateaux de barre font des petits bâtimens pon- barre. tés, de cinquante à soixante tonneaux, & quelquefois davantage. On les envoie ordinairement fur leur left; alors ils ne tirent guères plus de quatre à cinq pieds d'eau. Le foin en eft totalement confié aux nègres, & il ne faut pas vouloir les contrarier ou leur donner des confeils. Lorsqu'on est sur la barre chacun garde un profond filence, pour ne point interrompre le commandement: les uns fe cachent, foit par timidité, foit crainte d'être mouillés; les autres plus aguerris, reftent fur le pont pour considérer l'effet des lames. Comme obfervateur, je ne pouvois me difpenfer de garder ce dernier pofte, auffi fus-je bien mouillé. Nous Paffage de la demeurâmes plus d'un demi-quart-d'heure fur ce dangereux paffage, tantôt élevés par des lames qui fléchiffoient fous nous, tantôt batus par d'autres qui fe

C

barre.

1749.

Avril.

Largeur du Niger à fon

brifoient contre les flancs du bâtiment, & finiffoient en le couvrant d'une nappe d'eau. Une lame nous foulevoit, puis nous laiffoit à fec: une autre venoit nous relever, & étoit bientôt fuivie par d'autres femblables. Après toutes ces alternatives, nous nous vîmes enfin hors de tous dangers. C'est un ufage qu'on faffe après ce paffage quelque générofité aux nègres de barre: chacun des paffagers s'en acquitta noblement, & ils furent tous fort contens.

Dès que nous fûmes entrés dans le fleuve, nous embouchure. nous trouvâmes dans un canal fort tranquille, d'une largeur de plus de trois cens toises, c'est-à-dire, quatre ou cinq fois plus grande que celle de la Seine au PontRoyal. Sa direction fuit affez exactement le nord & le fuď, parallèlement à la côte, dans une étendue de trois lieues, depuis fon embouchure jufqu'à l'ifle du Sénégal. Le terrein des deux côtés n'eft qu'une plaine de fable mouvant, d'une grande blancheur, femé çà & là de petites dunes que le vent éleve & déplace auffi faciPointe de lement. Le bord occidental forme une langue de terre fort baffe, qui fépare le fleuve de la mer, & dont la plus grande largeur n'a pas cent cinquante toises: c'est ce qu'on appelle la Pointe de Barbarie. Le bord oriental eft plus élevé; mais tous deux font également arides & ftériles, & ne produisent que quelques plantes affez baffes. On ne commence à trouver des arbres que deux lieues au-deffus, vers l'iflet aux Anglois; encore ne font-ce que des mangliers : c'eft prefque le feul arbre qu'on rencontre jufqu'à l'ifle du Sénégal.

Barbarie.

Débarquement à l'ifle

Cette ifle eft à trois lieues de l'embouchure du fleuve, du Sénégal. & à deux tiers de lieue de l'iflet aux Anglois. C'est le

1749.

Avril.

cieux du Di

ral.

chef-lieu de la Conceffion du Sénégal; & le Directeur général y fait fa résidence. Nous arrivâmes à l'entrée de la nuit au port oriental du fort, où nous débarquâmes. Auffi-tôt que j'eus mis pied à terre, je me rendis chez Accueil graM. de la Brue, qui étoit directeur général. Il me fit recteur génél'accueil du monde le plus gracieux. Les lettres de recommandation que je lui remis de la part de M. David, fon oncle, directeur de la compagnie des Indes, qui vouloit bien s'intéreffer pour moi, eurent leur effet au-delà même de ce que j'en pouvois attendre dans un pays rempli de difficultés. Enfin il me promit de me feconder en toutes les occafions, & il le fit avec un zèle & des bontés dont les fciences lui font redevables, fi j'ai fait quelque chose pour elles.

L'exécution fuivit de près les promeffes : j'eus la liberté de m'étendre dans le pays, de l'examiner, d'en reconnoître les productions; & pour m'en donner les moyens, M. de la Brue me procura un canot, des noirs, un interprête, enfin toutes les facilités que la compagnie des Indes spécifia au Conseil supérieur dans une lettre où elle lui faifoit connoître fes intentions.

de l'ifle du Sé

négal.

Arrivé dans un pays fi différent à tous égards de Defcription celui d'où je fortois, & me trouvant, pour ainfi dire, dans un nouveau monde, tout ce que je voyois fixoit mon attention, parce que tout m'inftruifoit. Ciel, climat, habitans, animaux, terres, végétaux, tout étoit nouveau pour moi; je n'étois accoutumé à aucun des objets qui fe préfentoient. De quelque côté que je tournaffe mes regards, je ne voyois que des plaines fabloneuses, brûlées par les ardeurs du foleil le plus

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