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1752. Novembre.

ils préparent

depuis le mois de juin, j'avois pour objet principal de prendre connoiffance des plantations d'indigo. J'étois curieux de fçavoir la quantité & la qualité de celui que les nègres cultivent aux environs de l'ifle du Sénégal, parce que mon deffein étoit de réitérer quelques épreuves dont j'avois fait part dans fon tems à Mrs de la compagnie des Indes. Les nègres ne font pas beau- Maniere dont coup de façons pour tirer la teinture de cette plante. l'indigo. ⚫Ils fe contentent d'en cueillir les feuilles en tel tems de l'année que ce foit, de les piler dans un mortier pour les réduire en pâte, & d'en faire des pains qu'ils confervent au fec. Quand ils veulent s'en fervir, ils les font diffoudre dans une espece de lessive faite avec les cendres d'une plante graffe qui croît dans leurs prairies, & qu'ils nomment rhémè (1). Cette dissolution prend une teinte d'indigo, dans laquelle ils trempent leurs toiles à froid, autant de fois qu'ils jugent la chose néceffaire pour leur donner une couleur plus ou moins foncée.

Je ne fçai quelle fympathie ont les cacrelats avec Cacrelats. l'indigo, mais toutes les fois qu'il m'arrivoit de laisser pendant la nuit quelque botte de cette plante dans ma chambre, j'étois fûr d'en trouver le lendemain plufieurs centaines qui s'y étoient logés: il sembloit même que tous s'y étoient raffemblés. Ces infectes font aussi incommodes qu'ils font communs fur l'ifle du Sénégal. Quoiqu'ils aient à peine la groffeur du doigt, ils font Incommodité des ravages incroyables. Ils rongent les linges, les tes. draps, les bois, les papiers, les livres, enfin tout ce qui fe trouve exposé à leurs dents: ils attaquent même (1) Portulaca marina latifolia, flore fuave rubenti. Plum. Cat. pag. 6.

de ces infec

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Puces du fable.

l'aloë dont l'amertume écarte tous les autres infectes.
Ils font encore fort défagréables par l'odeur infecte qui
fort de leur corps, & ce font les ennemis les plus ter-
ribles de ceux chez qui ils fe font logés; car ils ne for-
tent que
la nuit, & voltigent de tous côtés dans les
chambres où ils font un bruit pareil à celui que l'on
entendroit dans une voliere bien garnie d'oiseaux. En-
fin le cacrelat multiplie fi prodigieusement, que ce
seroit un animal pernicieux, dangereux même, s'il
n'avoit un grand nombre d'ennemis.

Ceux qu'il a le plus à craindre font l'araignée & le fourd: c'eft une efpece de lézard que l'on dit venimeux; il en est auffi friand que l'araignée. Tous deux se logent comme lui dans les chambres, pour lui faire une guerre continuelle qui affure la tranquillité des habitans chez lefquels ils fe font une fois établis. Le hérisson lui fait auffi la chaffe. Celui du Sénégal ne differe de celui d'Europe que par la groffeur. Il paffe, comme lui, quelque tems de la baffe-faifon, c'est-àdire, de la faifon froide & féche, dans une espece de sommeil léthargique, pendant lequel il s'abstient de nourriture, & fort rarement pour la prendre mais auffi fçait-il pendant les nuits d'été réparer le tems perdu. J'en ai élevé un pendant plus de trois ans dans ma chambre, où-il me rendoit de grands fervices en me délivrant des araignées, des cracrelats, des fourds, des fourmis & autres animaux dont elle étoit infectée. Le hérisson est un manger très-délicat & d'un grand goût, fur-tout lorfqu'on le prend vers le tems où il commence à entrer dans son sommeil léchargique.

Une autre incommodité fur-tout pendant l'hiver

que par

ou la baffe-faifon, ce font les puces du fable. On les 1752. appelle ainfi, parce qu'elles fe logent dans les fables Novembre. des cafes habitées. Ils en font fi remplis, que dès qu'on y a mis le pied, il en est auffi-tôt couvert; & leur petiteffe eft telle que ce n'est leur grand nombre qu'on peut les appercevoir. Leurs piquûres ne font pas bien vives: cependant lorfqu'elles font affez multipliées, elles font l'effet d'un picotement ou d'une démangeaison qui n'eft guères fupportable. Ce que cet infecte a de plus fingulier, c'eft qu'il ne faute & ne monte jamais plus haut que trois à quatre pouces, enforte que toutes les fois que l'on a l'attention de fe tenir un demi-pied au-deffus de terre, on est fûr de n'avoir rien à craindre de fa part.

l'ifle du Séné

Les chaleurs

Je crois que c'eft ici le lieu, puifque je fuis fur l'ar- Avantages de ticle du Sénégal, de parler auffi de quelques-uns de fes gal. avantages. Quoique les chaleurs de fon climat foient exceffives, & même telles que l'hiver y eft beaucoup plus chaud que l'été de la France, elles font cependant fupportables. On s'y accoutume peu à peu, parce que l'air eft rafraîchi tous les jours par des vents qui vien- bles. nent fucceffivement de la mer & des terres. On peut auffi fe procurer de la fraîcheur, ou en s'expofant au .vent, ou en fe mettant à l'ombre dans les maifons lorfqu'elles font bien percées & que les fenêtres font garpies de chaffis de toile bien claire.

font fupporta

font très-fer

C'est à ces chaleurs qu'on eft en partie redevable de Ses fables la fertilité des terres. Les fables de cette ifle font au- tiles. jourd'hui des jardins d'un grand rapport. Indépendamment des légumes & des fruits du pays, tels que l'ofeille de Guinée, la batate, l'ananas, l'orange, la

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Abondance

goyave & quelques autres, on y cultive pendant l'hiver la plupart des herbages & des légumes de l'Europe. Le figuier, le grenadier & la vigne se chargent tous les ans d'excellens fruits. Avec un peu de travail & de foins, il n'y a guères de fruits ni de graines qu'on n'y recueillît en très-grande abondance, on en retireroit tout ce qu'on voudroit, & généralement tout ce qui eft néceffaire à la vie. Enfin le terrein de l'ifle du Séné gal, tout fabloneux qu'il eft, produit avec tant de facilité, que beaucoup de plantes portent plufieurs fois l'année. C'est ce que j'ai éprouvé par moi-même dans un jardin que je deftinois à ces expériences; & chofe qui paroîtra fans doute furprenante, c'est que j'ai femé tels & tels légumes dont j'ai fait plus de douze récoltes dans la même année ; mais j'en renvoie le détail curieux à un autre ouvrage.

pays

Il n'y a peut-être pas de au monde où les vodes volailles. lailles foient plus communes. On y éleve des coqsd'inde, des pintades, des oyes, des canards & une prodigieufe quantité de poules. Les pigeons y font d'une délicateffé achevée, Les cochons y multiplient beauDu poiffon. Coup. La pêche n'y eft pas moins abondante, & le Niger eft fi poiffonneux que j'ai vû des tems où l'on prenoit les carpets à la main. Ce fleuve fournit avec le lamantin, des capitaines, des mulets ou cabots, des furmulets, des foles, des raies, des racaos & d'autres poiffons excellens: on y prend auffi beaucoup de crevettes; d'hommars & de crabes d'une grande bonté. La plupart de ces poiffons viennent de la mer, & l'on prétend que pris dans ce fleuve ils font meilleurs, que le mêlange de l'eau douce avec celle de la mer

parce

leur

leur donne plus de délicateffe. A tous ces agrémens on
peut ajouter encore le plaifir de la chaffe: on trouve
fur cette ifle des petites poules-d'eau, des bécaffes de
plufieurs efpeces, des alouettes, des grives, des
drix de mer, & des lavandieres jaunes, ou pour dire
quelque chofe de mieux, les ortolans du pays : ce font
des petits pelotons de graiffe d'un goût excellent.

per

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jardins,

La feule chofe qui manque à l'ifle du Sénégal, ce font les promenades : elle eft, dit-on, trop bornée, & trop à découvert. On pourra, fans doute, y faire des avenues, des allées couvertes & s'y procurer de l'ombre, quand on voudra y planter des pains-de-finge & d'autres arbres qui fe plaisent dans les fables noyés : mais à quoi bon prêter ainsi une retraite aux maringoins, voisins encore plus incommodes que les chaleurs? De quelle utilité feroient ces avenues dans un pays où la promenade n'est de saison qu'après le coucher du foleil? Doit-on les regretter quand on a des Agrémens des jardins où une verdure toujours naiffante & non interrompue préfente chaque jour de nouvelles décorations, où un grand nombre de fleurs auffi agréables par leur odeur que par la variété de leurs couleurs, croiffent prefque fans foins & fans culture? On y voit des bafilics de toutes les grandeurs & de toutes les couleurs, les tubéreufes, les narciffes à cloche, les lis-afphodeles, parmi lesquels la belle-de-nuit, l'œillet-d'inde, les amarantes & le grenadier en fleur font un très-bel effet, Les lézards bleus & dorés, les papillons & d'autres infectes tous également beaux, fe plaisent à y venir mêlanger leurs différentes couleurs, & diverfifient agréablement l'uniformité qui eft ordinaire à la plupart des jardins.

Y

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