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1749.

Avril.

violent. L'ifle même fur laquelle je me trouvois, n'étoit qu'un banc de fable de 1150 toifes de longueur, fur 150 ou 200 toifes au plus de largeur, & prefque Largeur du de niveau avec les eaux du fleuve. Elle le partageoit en deux bras, dont l'un à l'orient avoit environ 300 toises, & l'autre à l'occident avoit près de 200 toises de largeur, fur une profondeur confidérable.

Niger vers cette ifle.

Nègres du Sénégal.

fons ou cafes.

Malgré fa ftérilité, cette ifle étoit habitée par plus de trois mille nègres, attirés par les bienfaits des blancs au fervice defquels la plûpart font fort attachés. Ils y Leurs mai- ont bâti leurs maifons, ou autrement leurs cafes, qui occupent plus de la moitié du terrein. Ce font des efpeces de colombiers ou de glacieres, dont les murs font de rofeaux bien joints les uns aux autres, & foutenus par des poteaux plantés en terre. Ces poteaux ou piquets s'élevent à la hauteur de cinq à fix pieds, & fupportent une couverture ronde de paille, de même hauteur, & terminée en pointe. Chaque cafe n'a que le rez-de-chauffée, & porte depuis dix jufqu'à quinze pieds de diamètre. Il n'y a pour toute ouverture qu'une feule porte quarrée, encore eft-elle fort baffe, & fouvent avec un feuil élevé d'un bon pied au-dessus de terre; deforte que pour y entrer il faut incliner le corps en levant fort haut la jambe, ce qui fait prendre Lears lits. une attitude auffi ridicule que gênante. Un ou deux lits donnent fouvent à coucher à toute une famille, y compris les domeftiques, qui font pêle-mêle & côte à côte de leurs maîtres & des enfans de la maifon. Ces lits confiftent en une claie pofée fur des traverses, foutenues par de petites fourches, à un pied au-dessus de terre. Une natte qu'ils étendent deffus, leur tient lieu

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1749. Avril. Leurs meu

de paillaffe, de matelas, & pour l'ordinaire de draps &
de couverture; pour des oreillers, ils n'en connoiffent
point. Leurs meubles ne les embarrassent pas
beau-bles.
coup: ils se bornent à quelques pots de terre, qu'on
appelle canaris, à des calebaffes, des fébilles & autres

utenfiles femblables.

pierres.

Toutes les cafes d'un même particulier font fermées Tapade, ce d'une muraille ou paliffade de rofeaux d'environ fix que c'est. pieds de hauteur: on donne à ces fortes de murs le nom de tapade. Quoique les nègres gardent peu de fymmétrie dans la pofition de leurs maifons, les françois de l'ifle du Sénégal les ont accoutumés à observer une certaine régularité & une uniformité dans la grandeur des tapades, qu'ils ont reglées de maniere qu'elles forment une petite ville, percée de plufieurs rues bien alignées & fort droites. Elles ne font point pavées, & heureusement elles n'en ont pas befoin, car on fe- Rareté des roit fort embarraffé de trouver la moindre pierre à plus de trente lieues à la ronde. Les habitans tirent même un parti plus avantageux de leur terrein fabloneux : comme il eft fort profond & très-meuble, il leur fert de fiége; c'est leur fopha, leur canapé, leur lit de repos. Il a encore quelques autres bonnes qualités; c'eft que les chûtes n'y font point dangereufes, & qu'il eft toujours d'une grande propreté, même après les plus grandes pluies, parce qu'il imbibe l'eau facilement, & qu'il ne faut qu'une heure de beau tems pour le fécher. Au refte, cette ville ou village, comme on voudra la nommer, eft la plus belle, la plus grande, & la plus réguliere de toutes les villes du pays: on y compte, comme je l'ai déja dit, plus de trois

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hommes.

mille habitans: elle a plus d'un quart de lieue de longueur, fur une largeur égale à celle de l'ifle, dont elle occupe le centre, affez également distribuée aux deux côtés du fort qui la commande.

Taille des On peut dire que les nègres du Sénégal font les plus beaux hommes de la Nigritie. Leur taille est pour l'ordinaire au-dessus de la médiocre, bien prise, & fans défaut. Il est inoui qu'on en voie de boiteux, de boffus, de noués, à moins que ce ne foit par accident. Ils font forts, robustes, & d'un tempérament propre à la fatigue. Leurs cheveux font noirs, frisés, cotoneux & d'une finesse extrême. Ils ont les yeux noirs & bien fendus, peu de barbe, les traits du visage affez agréables, & la peau du plus beau noir. Leur Leur habil- habillement ordinaire confifte en un petit morceau de toile qui leur paffe entre les cuiffes, & dont les deux bouts relevés en haut & pliffés, forment une espece de caleçon qui fe ferme avec un cordon par devant : c'est ainsi qu'ils couvrent leur nudité. Ils ont auffi une pagne, c'est-à-dire, une piece de toile de coton, de la figure d'une grande ferviette, qu'ils paffent négligemment fur l'une des deux épaules, en laissant flotter un bout fur leurs genoux.

lement.

Taille des femmes.

Les femmes font à peu près de la taille des hommes, également bienfaites. Leur peau eft d'une fineffe & d'une douceur extrême. Elles ont les yeux noirs, bien fendus; la bouche & les lèvres petites, & les traits du vifage bien proportionnés. Il s'en trouve plufieurs d'une beauté parfaite. Elles ont beaucoup de vivacité, & fur-tout un air aifé de liberté qui fait Leur habil- plaifir. Elles fe fervent, pour fe couvrir, de deux

lement.

pagnes, dont l'une qui fait le tour de leur ceinture, defcend jufqu'aux genoux, & tient lieu de jupon; l'autre leur couvre les deux épaules, & quelquefois la tête. Cet habillement est assez modefte pour un pays fi chaud; mais elles fe contentent pour l'ordinaire de la pagne qui leur couvre les reins, & quittent l'autre pour peu qu'elle les incommode. On juge bien qu'elles ne font pas long-tems à s'habiller, ou à fe deshabiller, & leur toilette eft bientôt faite.

que

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negres Oua

Comme l'ifle du Sénégal est de la dépendance du Caractere des royaume d'Oualo, les nègres qu'on y voit, fur-tout lores. les libres, font de cette nation. Ils font, généralement parlant, d'un naturel doux, fociable & obligeant. Ceux que la Compagnie entretenoit à mon service, étoient Oualofes, comme ils fe difent, ou par corruption Yolofes.

gue.

J'employai les premiers mois de mon arrivée, non- L'Auteur apfeulement à étudier les moeurs & le caractere des ha- prend leurlanbitans, mais encore à apprendre la langue oualofe, qui eft la plus répandue dans le pays : car je n'ignorois pas qu'elle me feroit d'une grande utilité, & même d'une néceffité indifpenfable, pour les recherches que je me proposois. Dans cette vûe je les fréquentois, & me trouvois avec eux le plus fouvent qu'il m'étoit poffible. Enfin quand je me crus affez inftruit de leurs ufages, familiarifé avec leurs manieres, & en état de fçavoir comment je me comporterois dans une terre qui faifoit depuis long-tems l'objet de mes plus ardens defirs, je penfai à me répandre de côté & d'autre. Les fables mouvans de l'ifle du Sénégal, des chien- Le de Sor, dens, des mangliers & quelques liferons ne suffisoient

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10 Mai. Promenade

pas pour occuper bien long-tems un naturaliste. Je ne pouvois trouver de quoi m'inftruire qu'en traverfant le fleuve pour vifiter le continent. J'y paffois dans mon canot le plus fouvent qu'il m'étoit poffible, fouvent même plufieurs jours de fuite. L'ifle de Sor eft la premiere terre qui fe préfente au bord oriental du fleuve, & qui fait face à l'ifle du Sénégal. Elle a plus d'une lieue de longueur, & eft partagée par de petites rivieres qu'on nomme marigots. Ses fables qui ne different en rien de ceux de l'ifle du Sénégal, font d'une fertilité inconcevable. Ils forment dans fon milieu plufieurs collines d'une pente fort douce, & couvertes de gommiers blancs, de gommiers rouges(1), & d'autres arbres tous épineux, & d'un accès très-difficile.

Je defcendis pour la premiere fois fur cette ifle le fur cette ifle. 10 de mai, accompagné de mon interprête & des deux nègres qui avoient conduit mon canot. Elle est bordée d'un bois très-épais, au travers duquel on trouve, avec bien de la peine, un fentier par où il faut néceffairement paffer pour pénétrer dans son intérieur, Ce feroit un petit mal, fi l'on n'étoit pas continuellement arrêté par les épines qui s'accrochent aux habits, & déchirent les jambes; pour moi j'en étois quitte pour quelques morceaux de ma vefte ou de ma chemise, seuls vêtemens qu'on puiffe fouffrir dans un pays fi chaud, où la chemise feule gêne encore beaucoup; mais mes nègres avec toute leur foupleffe, y laiffoient fouvent quelques lambeaux de leur peau,

(1) Efpeces d'acacies fur lefquelles on recueille les deux fortes de gommes, la blanche & la rouge, connues autrefois fous le nom de gomme Arabique, & aujourd'hui fous celui de gomme du Sénégal,

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fans

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