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Mai.

1749. qu'obfervent les architectes de ces maifons, les villages ne laissent pas d'être agréables, parce qu'ils font plantés çà & là d'arbres, qui en procurant de la fraîcheur, recréent la vûe par une verdure continuelle.

Nudité des

enfans.

Les enfans de l'un & de l'autre fexe, même ceux qui avoient déja neuf ou dix ans, âge auquel commencent à fe déclarer les fignes de puberté, étoient réellement nuds. Les filles avoient pour ornement autour des reins quelques ceintures de verroteries, ou à leur défaut, de vertebres de requien (1), ou de quelques coquillages enfilés comme des grains de chapelets. On s'imaginera peut-être que ces enfans dans cet état de nudité, devoient fe déconcerter à la vûe d'un étranger : point du tout; on a beau les approcher, & même leur faire des niches, on ne les voit point affecter aucun air voluptueux de liberté ; & fans paroître honteux, ils n'ont rien que d'aifé & de naturel dans leur contenance. On sera fans doute également furpris d'entendre dire que les enfans qui avoient à peine fix mois commençoient à marcher abandonnés à eux-mêmes. C'étoit un plaifir de voir ces foibles créatures se traîner, au foleil fur le fable, à quatre pattes comme des petits finges, & de les entendre avec un air de contentement, marmotter déja quelques mots entre leurs dents. Les femmes avoient toutes autour du corps une demi-pagne qui leur fervoit de jupe; du refte elles étoient nues de la ceinture en haut. Comme elles font pour l'ordinaire fort bienfaites, elles ont toujours fort bon air dans ce deshabillé, fur-tout quand

(1) Poiffon vorace, du genre des chiens de mer. Les jeunes requiens font un mêts fort goûté des nègres.

on eft fait à leur couleur: ceux qui n'y font pas accoutumés, doivent fe contenter de regarder leur taille, qui eft ce qu'elles ont de plus beau.

17.49. Mai.

le Gouver

neur de Sor.

De quelque côté que je tournaffe les yeux dans ce riant féjour, tout ce que j'y voyois me retraçoit l'image la plus parfaite de la pure nature: une agréable solitude qui n'étoit bornée de tous côtés que par la vûe d'un payfage charmant; la fituation champêtre des cafes au milieu des arbres, l'oifiveté & la molleffe des nègres couchés à l'ombre de leurs feuillages, la fimplicité de leur babillement & de leurs mœurs, tout cela me rappelloit l'idée des premiers hommes, il me fembloit voir le monde à fa naiffance. Mon efprit s'occupoit agréablement de ces pensées, Diner avec lorsqu'on vint m'avertir que le Gouverneur du village m'attendoit pour dîner. Je retournai fur mes pas, guidé par mes nègres dans ce labyrinthe de cafes, où je me ferois perdu facilement. Je le retrouvai dans l'endroit où je l'avois laiffé, avec fes enfans & quelques amis. Ils étoient affis les jambes croisées fur le fable, autour d'une grande jatte de bois pleine de couscous : c'est une bouillie épaiffe & grenue, faite de deux efpeces de mil. Il me fit affeoir auprès de lui, commença à manger en portant fa main dans le plat, & prenant une petite poignée de couscous, qu'il roula avec les doigts, faute de cuillier & de fourchette, dont l'ufage n'est pas encore venu jufques chez eux. Il m'invita enfuite à en faire autant. Je ne me fis pas prier, & je fuivis fon exemple; car je ne m'écartois jamais de ce principe, que rien n'eft plus capable de gagner la confiance & l'amitié des étrangers chez lef

&

1749. quels on fe trouve, que de fe conformer à leur maMai niere de vivre & à leurs usages; & je m'en fuis toujours

bien trouvé. Le couscous étoit au requien : ils le trouverent excellent ; & une des meilleures preuves c'est que le plat fut bien nettoyé. Pour moi j'en jugeai moins favorablement. Mais les goûts sont différens, & il n'est pas permis d'en difputer. Rien à mon sens n'est plus infipide que cette forte de mêts, & la maniere de le manger n'est guères moins dégoûtante. Je m'y fis pourtant, & le trouvai affez bon par la fuite. Ce feul fervice compofa tout notre festin.

Le repas fini, une jeune esclave, dans fon habit de nature, nous présenta tour à tour une jatte pleine d'eau dans laquelle chacun but, après quoi on s'y lava la main qui avoit fait l'office de cuillier. C'est toujours la droite: la gauche est destinée à des ufages qui ne font pas compatibles avec la propreté. Ces pratiques font, comme polygamie, une fuite des préceptes de la religion Mahometane qu'ils ont embraffée, & dont ils n'admettent que les principes qui font les plus conformes à leurs ufages & à leur maniere aisée de vivre. Les femmes J'avois été fort furpris de ne voir aucune des femmes point avec de mon hôte manger avec lui; mais j'appris que c'étoit la coutume dans le pays, & qu'aucune femme n'avoit jamais eu cet avantage, parce qu'ils font perfuadés, en bons mahométans, qu'il n'y a point de paradis pour elles. Ainfi elles mangerent après nous & de la même façon, c'est-à-dire, fans table, fans affiettes, ni nappe, ni cuilliers, ni fourchettes, ni couteaux, ni ferviettes.

ne mangent

leurs maris.

Pour remercier mon hôte de ses bonnes façons, je

lui

lui fis préfent de quelques pattes de fer (1), & je distribuai des verroteries à fes femmes & à fes enfans. Il voulut me retenir à un bal qui alloit commencer; mais je le priai de remettre la partie à un autre tems, parce que le jour commençoit à baiffer. Nous nous quittâmes ainsi fort contens l'un de l'autre. Les guiriots (2) en reconnoiffance de la générofité dont j'avois ufé à leur égard, m'accompagnerent jufques à plus de deux cens pas, jouans du tambour, au fon duquel toute la jeuneffe dansoit en cadence, pour me témoigner fa joie. Enfin je les perdis de vûe, & me hâtai de retourner à l'ifle du Sénégal.

da

1749. Mai.

Je ne fus pas médiocrement fatisfait de ma premiere réception chez le feigneur de Sor. Elle m'apprit qu'il y avoit beaucoup à rabattre de ce que j'avois lû partout, & de ce que j'avois entendu dire du caractere fauvage des Africains ; & je crus que cela ne devoit point regarder ceux du Sénégal. Il n'en falloit pas vantage pour m'encourager à me répandre de plus en plus parmi eux; & je fus ravi d'apprendre quelque tems après, qu'il devoit partir dans le courant du mois fuivant, un bateau pour traiter des bœufs à l'efcale des Maringoins. Un Employé de la Compagnie chargé de cette traite, m'engagea à faire le voyage avec lui. Nous nous embarquâmes le 16 juin de grand matin fur le Niger. Nous le fuivîmes en montant, quand nous fûmes à la pointe de l'ifle Bifêche, nous cale des Macommençâmes à perdre de vûe l'ifle du Sénégal, qui

&

(1) La patte de fer eft la douzième partie d'une barre de neuf pieds de long: elle fert de monnoie dans le

pays.

(2) C'eft le nom que les nègres donnent aux muficiens & aux tambours du pays.

E

16 Juin.

Voyage à l'ef

ringoins.

1749.

Juin.

arbres fort

pro

en est distante d'environ une lieue. Nous avions l'ifle Bifèche fur notre droite, & l'ifle au Bois fur la gauche. Toutes deux étoient bordées de mangliers qui donnoient à notre navigation tout l'agrément d'une nenade dans une belle & large avenue d'arbres. Les Mangliers, mangliers (1) ont quelque chofe de trop fingulier pour finguliers. les paffer fous filence. Ces arbres, dont les plus grands n'ont communément que cinquante pieds de hauteur, ne croiffent que dans l'eau, & fur le bord des rivieres où l'eau de la mer remonte deux fois par jour. Ils confervent toute l'année la fraîcheur de leurs feuilles, comme prefque tous les autres arbres de ce pays : mais ce qui les rend plus remarquables, ce font de longues racines qui fortent de leurs branches les plus baffes, & tombent de haut en bas pour s'approcher du fond de l'eau & pénétrer dans la terre. Elles reffemblent alors à autant d'arcades de cinq à dix pieds de hauteur, qui servent à fupporter le corps de l'arbre, & à l'avancer même de jour en jour dans le lit du fleuve. Ces arcades font fi ferrées & fi entrelacées les unes dans les autres, qu'elles font commeune terraffe naturelle & à jour, élevée fur l'eau avec tant de folidité, qu'on pourroit y marcher, fi les branches trop fournies de feuilles n'y mettoient empêchement.

Nous fimes ainfi trois lieues dans les mangliers, après quoi, depuis le marigot de Kiala, jusqu'à celui de Torkhod, à quatre lieues & demi de l'ifle du Sénégal, nous ne vîmes fur les deux bords du fleuve que des joncs ou rofeaux de dix à quinze pieds de

(1) Mangles aquatica, foliis fubrotundis & punctatis. Plum. gen.

pag. 13.

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