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Juin.

du village de

hauteur (1). Torkhod eft un village fitué à la gauche 1749. du Niger, fur une colline de fable rouge, au pied de laquelle paffe le marigot qui porte fon nom. C'est le feul village que nous ayons pû voir dans notre route depuis l'isle du Sénégal. Les mangliers nous avoient ôté la vûe des autres qui font répandus dans les terres baffes que le Niger inonde. La fituation avantageufe Perfpective de Torkhod, la couleur rouge de fa colline, la beauté Torkhod. des arbres dont elle est couverte, & la prairie fur laquelle il domine, présentent une perspective fort riante. Des pêcheurs de l'endroit nous apporterent des machoirans (2), des anguilles & d'autres poiffons qu'ils avoient pêchés dans leur petite riviere. Nous en achetâmes plus de cinq douzaines, qui ne nous revinrent pas à trois deniers la piece; puis nous continuâmes notre route, rencontrant encore quelques mangliers sur la rive droite du fleuve, jusqu'à une lieue près d'un village appellé Maka, où ces arbres fe terminoient.

Nous arrivâmes le même jour avant la nuit à l'efcale des Maringoins, lieu où devoit fe faire la traite. Il en eft de cette escale, qui est la premiere qu'on trouve en remontant le Niger, comme du tropique pour les navigateurs en mer; les françois qui y paffent pour la premiere fois, s'obligent à faire une gracieufeté aux laptots (3): je leur fis donc délivrer la grati

(1) Gramen dactylon bicorne tomentofum maximum, fpicis numerofiffimis. Sloan. Jam. vol. 1. tab. 15.

Nhamdia brafilienfibus, bagre do Rio luzitanis. Marcgr. p. 149.
Mystus cirrhis fex longiffimis, pinnâ dorfi fecundâ triangulari.
Gronov. Muf. Ichth. p. 35. n. 84.

(3) On appelle de ce nom les nègres qui font au fervice de la Compagnie.

Arrivée à l'ef ringoins.

cale des Ma

D

1749.

Juin.

efpece de cou

fins.

parce

fication ordinaire. L'escale des Maringoins n'eft éloignée que de treize lieues françoises au nord-nord-est de l'ifle du Sénégal. C'eft une plaine de fort bonne terre, qui s'étend des deux côtés du fleuve jusqu'au village de Maka que nous venions de quitter, & qui dans cette longueur de plus de fept lieues, forme des vastes prairies, dans lesquelles les habitans élevent beaucoup Maringoins de beftiaux. On a donné le nom de marigot des Maringoins à une petite riviere qui vient de la mer fe joindre au Niger un peu au-dessous de l'escale, qu'elle eft pleine de rofeaux extrêmement hauts & fort épais, qui fervent de retraite à une efpece de coufins qu'on appelle maringoins. Il y a des tems où ces petits animaux fortent de ces endroits inacceffibles, en fi grande abondance que l'air en eft obscurci. On a bien de la peine à s'en garantir, parce que leur aiguillon pénétre au travers des étoffes les plus ferrées ; & leur piquûre devient infupportable par la prodigieufe quantité de ces petits infectes dont on eft affailli en même tems, & qui mettent en un moment le corps comme en feu. C'est une des plus grandes incommodités qu'on ait à fouffrir dans tous les lieux aquatiques.

Troupeaux

Les maures nous attendoient à deux cens pas du des maures. bord feptentrional du fleuve, où ils étoient campés. On ne voyoit dans toute la campagne que des troupeaux nombreux de bœufs, de moutons, de cabrits & de chameaux, qui paiffoient en toute liberté. Le lendemain je defcendis à terre, pour voir de près les boeufs qui m'avoient paru différens de ceux d'Europe: ils étoient la plûpart beaucoup plus gros, & plus

hauts fur jambes : ils fe faifoient remarquer par une loupe de chair qui s'élevoit de plus d'un pied sur le garrot entre les deux épaules. Ce morceau est un manger délicieux. Les moutons, ou, pour parler plus correctement, les beliers, car on n'est point dans l'ufage de les couper, font auffi d'une efpece bien diftinguée. Ils n'ont du belier de France que la tête & la queue; du refte, pour la grandeur & le poil, ils tiennent davantage du bouc, qui lui-même n'a rien de remarquable. Tous deux ont la chair extrêmement délicate, máis souvent trop parfumée. Il semble que la laine eût été incommode au mouton dans un pays déja trop chaud; la nature l'a changée en un poil médiocrement long & affez rare.

1749.

Juin.

En traversant ces vastes troupeaux, je me trouvai Leurstentes, infenfiblement approcher de l'adouar : c'est le nom qu'on donne à un amas de tentes où se logent les maures. Ces tentes font toutes rondes en cône, & d'une groffe étoffe de poil de chevre & de chameau, affez ferrée pour être impénétrable à la pluie. Elles étoient placées les unes auprès des autres en forme de cercle, foutenues chacune par une perche qui s'élevoit au milieu, & arrêtées dans leur circonférence avec des longes de peau de bœuf, attachées à des piquets environ un pied au-dessus de terre. L'intérieur étoit tapiffé tout autour de plufieurs rangs de nattes, affermies d'un côté par la tente, & de l'autre par leurs meubles, qui se bornent à quelques outres où font renfermées leurs hardes, leur lait, leur beurre, enfin leurs provisions de bouche, & à quelques moitiés de calebasses qui leur fervent de pots & de vases.

1749. Juin.

Portrait des

mauresses.

maures,

Pendant que les hommes gardoient les bestiaux, les femmes, renfermées fous leurs tentes, s'occupoient à battre le beurre, à filer, à prendre foin de leurs enfans, & des autres ouvrages domeftiques. Elles ont le teint olivâtre, les traits du vifage réguliers, les yeux grands & pleins de feu, les cheveux fort longs & nattés, pendans à quelques-unes, & relevés à d'autres. Elles me parurent aussi avoir la taille bien faite, quoique petite, & fur-tout beaucoup plus de réserve que Portrait des les nègreffes. Les hommes ne font guères moins grands que les nègres; mais ils en different par leur couleur qui eft rouge ou rouge brun; par leurs cheveux qui font médiocrement longs, crêpus & plus épais; & fur-tout par les muscles qui marquent davantage fous leur peau : ils ont auffi le vifage plus maigre plus décharné, & la peau du corps moins tendue. Leur Leur habil- habillement & celui de leurs femmes confifte en une longue chemise de toile noire, & une pagne dont les femmes fe couvrent la tête & les épaules, & que les hommes roulent tantôt autour de leurs corps comme une ceinture, tantôt autour de la tête pour imiter le turban. Cette pagne n'eft pas toujours de coton & de couleur noire; il y a beaucoup d'hommes qui la portent de laine blanche, fouvent bordée de rouge. J'ai Laur frugalité. parlé ci-devant d'un repas que je fis avec des nègres; mais ceux des maures ne leur cédent en rien pour la frugalité. Le lait de chameau, de vache, de chevre & de brebis, avec le mil, fait leur nourriture ordinaire ; & fouvent la gomme feule avec le lait leur tient lieu de tout autre mêts & de boiffon.

lement.

Il n'y avoit pas encore deux mois que j'étois au Sé

négal, & j'avois déja eu occafion de voir & de connoître par moi-même, autant qu'il m'étoit nécessaire pour le tems préfent, de toutes les nations qui l'habitent, les deux les plus éloignées par leurs moeurs & la maniere de vivre, celle des maures & celle des nègres. J'avois remarqué dans les uns & dans les autres un fond d'humanité & un caractere fociable qui me donnoit de grandes efperances pour la fûreté que je devois trouver parmi eux, & pour la réuffite des connoiffances que je voulois prendre de leur pays.

Le jour fuivant je parcourus, herborifant & chaffant, les brillantes campagnes qui font sur la rive oppofée du fleuve. Elles étoient alors toutes couvertes de la groffe efpece de mil appellée guiarnatt (1), qui approchoit fort de fa maturité, & dont les nègres avoient enveloppé les épis avec leurs propres feuilles, pour les mettre à l'abri des attaques des moineaux qui y font ordinairement de grands ravages. Ce n'étoit pas une petite befogne que de marcher dans la plaine au travers de ces mils, dont les cannes fort grosses & assez ferrées, avoient huit bons pieds de hauteur. La chaleur étoit étouffante, parce que le vent ne fe faifoit pas fentir dans ces grandes herbes, & que le foleil peu éloigné du zénith dardoit fes rayons prefque à plomb. Mes nègres pour fe diftraire de la longueur de la route, & pour fe défaltérer, arrachoient de tems en tems des cannes entieres de ce mil, & en fucçoient la moëlle après l'avoir dépouillée de fon écorce. Ils m'en préfenterent quelques morceaux ainsi préparés,

(1) Milium arundinaceum, fubrotundo femine forgo nominatum. C B. Pin. 26.

1749.

Juin.

Champs de

gros mi!!

L

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