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1749.

Juin.

23.

du Sénégal.

Nous étions au huitième jour de notre voyage, lorfque la traite finit, & que nous penfâmes à retourner à l'ifle du Sénégal. Les maures qui ne s'étoient Retour à l'ifle rendus à cette escale que pour y vendre leurs bestiaux, ayant confommé les fourages des environs, s'étoient difpofés à aller camper dans un autre endroit, & même à fe retirer vers des montagnes fort éloignées dans le nord du fleuve, pour en éviter les inondations que les premieres pluies de juin avoient depuis peu annoncées. Leurs tentes étoient déja pliées; Décampe ils les avoient mifes avec leurs meubles & utenfiles, maures. dans des facs de cuir paffé fort proprement. Le tout étoit chargé fur des chameaux & für des bœufs, qui portoient leurs maisons, leurs meubles, leurs femmes & leurs enfans. Telle eft la vie des maures : ils ne font jamais fixes dans un lieu : leurs troupeaux qui font toutes leurs richeffes, les obligent de changer de quartiers, felon que les faifons & les pâturages le demandent.

ment

des

Peu de tems après mon retour à l'ifle du Sénégal, il fe préfenta une occafion d'aller à Podor, comptoir de la Compagnie, distant de foixante lieues ou environ de cette ifle, fur le fleuve Niger. Le bâtiment devoit aller & revenir fans s'arrêter: néanmoins je m'y embarquai. Mes nègres ne se firent pas prier pour me fuivre, & fe rangerent avec l'équipage. On fit voile le 30 juin, en remontant le fleuve à peu près de l'ouest ge à Podor. à l'eft. Les vents furent fi favorables, qu'on arriva en trois jours à Podor. Une navigation fi précipitée ne me permettant pas de defcendre à terre, j'en profitai pour relever le cours du fleuve. J'obfervois les diffé- ger,

30:

Premier voya

Précautions pour lever le cours du Ni

1748.

Juillet.

rentes largeurs de fon lit, celle des embouchures des rivieres qu'il reçoit, l'angle que celles-ci forment en y entrant, la rencontre des ifles, & leur longueur ; je fondois auffi fa profondeur; enfin je ne négligeois rien de ce qui pouvoit donner à mes obfervations une plus grande exactitude, me fervant de la bouffole pour marquer les changemens de direction dans fon cours, mefurant de tems en tems fa vîteffe, ou celle du bâtiment; & ajoûtant quelquefois à ces deux moyens l'eftime de la grandeur des distances, dont j'avois une pratique auffi heureufe qu'on la puiffe defirer. Excepté quelques platons femés çà & là dans le lit du Niger, & que l'on évite quand les vents ne font pas tout-àfait contraires, on eft fûr de le trouver navigable partout. Quoiqu'il fût alors dans fa plus grande décrûe, il avoit depuis vingt jufqu'à trente pieds & davantage de profondeur. L'eau de la mer, qui y remonte année commune jufqu'au deffus du marigot des Maringoins, à quinze lieues environ de fon embouchure, avoit gagné cette année jusqu'au désert, c'està-dire, à plus de trente lieues. C'eft à peu près le terme où s'arrêtent les eaux falées ; mais le flux & le reflux Les marées de la mer fe fait fentir beaucoup plus haut; il parvient jufqu'au deffus de Podor, où il fe rend fenfible gonflement des eaux douces du fleuve, qui éprouvent les mêmes alternatives, mais en des tems moins égaux. La plus grande hauteur du flux que j'ai mefuré fur le bord de la mer, vis-à-vis l'ifle du Sénégal, n'est que de deux pieds & demi dans les grandes marées des A plus de 60 équinoxes. Il paroît donc que le Niger depuis Podor jufqu'à la mer, c'eft-à-dire, fur foixante lieues de

font fenfibles à Podor.

cofe.

;

par

le

cours, n'a guères plus de deux pieds & demi de pente;
deforte qu'on peut croire que toute cette étendue de
pays fait, à l'exception des dunes qui y font répan-
dues çà & là, une plaine baffe au-delà de l'imagina-
tion, & d'un niveau tel que s'il arrivoit que
fe gonflât également par-tout de vingt à trente pieds,
elle feroit totalement couverte de fes eaux.

la mer

dor.

1749. Juillet.

pays.

Le fort de Podor eft bâti fur le bord méridional du Fort de Po Niger, dans un lieu autrefois couvert de bois ; mais la quantité que les françois en ont coupé depuis plus de dix ans qu'ils s'y font établis, a reculé la forêt d'une petite demi-lieue. On y voit des tamariniers de la plus Bois de ca belle taille, des gommiers rouges, & plufieurs autres efpeces d'acacies epineuses, dont le bois extrêmement dur, imite par la couleur & la beauté de ses veines ceux que nous employons dans la marqueterie. Le bois-bouton, efpece différente de celle qui croît en Amérique, y eft fort commun. La facilité avec laquelle fon bois fe laisse travailler, & fa belle couleur jaune, le font préférer à tous les autres dans les ouvrages de ménuiferie. Il eft connu chez les nègres fous le nom de khoff. Le terrein gras & argilleux de ce pays favorife beaucoup les travaux du jardinage. Auffi fon terrein. les françois cultivent-ils avec un grand avantage plu→ fieurs variétés d'oranges, de citrons, de limons; la figue, la grenade, la goyave, & beaucoup d'autres fruits excellens, comme l'ananas, la papaye, & le pignon (1), efpece de cachiment qui peut paffer pour

(1) Anona maxima, foliis latis fplendentibus, fructu maximo viridi conoide, tuberculis feu fpinulis innocentibus afpero. Sloan. Jam. vol. 1. tab. 225. fig. 1.

Fertilité de

1749. Juillet,

Remarque

leurs.

un des meilleurs fruits des pays chauds. Tous les légumes d'Europe y réuffiffent en perfection. Ils recueillent fans peine les racines de batates, qui multiplient confidérablement dans les champs humides & marécageux où ils en ont une fois planté : cette racine leur tient lieu de châtaignes & de marons, dont les meilleurs lui cèdent en bonté & en délicateffe. Les autres fruits par leur acidité, leur fourniffent des fucs plus convenables à des habitans de pays chauds.

Pendant le peu de jours que je reftai à Podor, le fur les cha- thermometre me donna 1 degré de chaleur de plus que je n'avois eu fur l'ifle du Sénégal avant mon départ il marquoit depuis 30 jufqu'à 31 degrés. Le 5 juillet, il étoit encore à 30 degrés à fept heures du foir, après le coucher du foleil, dans l'expofition la plus froide de l'air libre au nord déclinant à l'est.

Force furpre

nante de l'autruche.

Le même jour deux autruches qu'on élevoit depuis près de deux ans dans ce comptoir, me donnerent un fpectacle qui eft trop rare pour ne pas mériter d'être rapporté. Ces oiseaux gigantefques, que je n'avois apperçus qu'en paffant dans les campagnes brûlées & fabloneufes de la gauche du Niger, je les vis là tout à mon aife. Quoique jeunes encore, elles égaloient à très-peu près la taille des plus groffes. Elles étoient fi privées, que deux petits noirs monterent ensemble la plus grande des deux : celle-ci n'eut pas plutôt senti ce poids qu'elle fe mit à courir de toutes les forces, & leur fit faire plufieurs fois le tour du village, fans qu'il fût poffible de l'arrêter autrement qu'en lui barrant le paffage. Cet exercice me plût tant, que je voulus le faire répéter; & pour eflayer leurs forces, je fis monter

un

fi

un nègre de taille fur la plus petite, & deux au-
tres fur la plus groffe. Cette charge ne parut pas
difproportionnée à leur vigueur : d'abord elles trot-
terent un petit galop des plus ferré; enfuite lorsqu'on
les eut un peu excité, elles étendirent leurs aîles
comme pour prendre le vent, & s'abandonnerent à
une telle vîtesse qu'elles fembloient perdre terre. Il
n'est fans doute perfonne qui n'ait vû courir une per-
drix, & qui ne fçache qu'il n'y a pas d'homme сара-
ble de la fuivre à la courfe; & on pense bien que
elle avoit le pas beaucoup plus grand, sa vîtesse seroit
considérablement augmentée. L'autruche, qui marche
comme la perdrix, a ces deux avantages; & je fuis
perfuadé que celles-ci euffent laiffé bien loin der-
riere elles les plus fiers chevaux anglois qu'on eût mis
à leurs trouffes. Il eft vrai qu'elles ne fourniroient
une course auffi longue qu'eux; mais, à coup für,
elles pourroient l'exécuter plus promptement. J'ai été
témoin plusieurs fois de ce spectacle, qui doit donner
une idée de la force prodigieufe de l'autruche, & faire
connoître de quel ufage elle pourroit être, fi l'on trou
voit moyen de la maîtriser & de l'instruire comme
on dreffe le cheval.

pas

1749.

Juillet.

Podor.

J'employai encore moins de tems à defcendre à l'ifle Départ de du Sénégal, que je n'en avois mis à monter à Podor. Les vents de N-E., les courans du fleuve dont les eaux avoient groffi confidérablement par les pluies, furent fi favorables qu'on en profita pour faire de grandes journées, fans qu'il me fût possible de descendre à terre, ni de m'arrêter. Je ne me repentis cependant pas d'avoir fait ce premier voyage: il me fit

G

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