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1749.

connoître tous les avantages que je pourrois tirer d'un Juillet. fecond & même d'un troifiéme. J'avois compté, en bordent le Ni- relevant le plan du Niger, neuf ou dix villages fur fa

Villages qui

ger.

15. Arrivée à l'ifle

rive feptentrionale, & quarante-fept fur la rive méridionale. Un fleuve de deux à trois cens toifes de largeur, bordé par-tout d'arbres de différentes efpeces,

dont les feuilles font entretenues dans un verd toujours naissant; les troupeaux nombreux d'élephans que j'avois vû fe promener fur fes bords, les chevaux marins, les crocodiles, une infinité d'autres animaux auffi finguliers, & un plus grand nombre encore d'oifeaux remarquables par l'éclat & la diverfité de leurs couleurs; tout cela me promettoit une matiere bien ample à des obfervations nouvelles & intéreffantes.

Rendu à l'ifle du Sénégal le 15 juillet, je m'apperdu Sénégal. çus de l'effet des pluies qui tomboient abondamment depuis quelques jours. L'accroissement du fleuve fut prompt, que l'on vit le l'on vit le 19 le retour des eaux douces

au Sénégal.

fi

le

à fon embouchure, où deux jours auparavant on avoit Deux faisons vû l'eau falée de la mer. Ce terme fert de regle pour partage de l'année en deux faifons, qui different peu l'une de l'autre. La premiere efst celle où il ne pleut jamais, & où les eaux du Niger sont gâtées par celles de la mer: elle commence en décembre & finit en juin ou juillet. La feconde eft celle où l'on eft fujet aux pluies, & où les eaux du fleuve font douces. Les pluies durent rarement plus de trois mois; elles commencent à la fin de juin & finiffent avec le mois de septembre.

Je ne vois pas pourquoi nos anciens voyageurs ont appellé du nom d'été, la saison séche des pays de la

zone torride, & de celui d'hiver la faison pluvieuse, fi le nom d'été convient à la faison la plus chaude, & celui d'hiver à la faifon la plus froide: or il eft certain, & je l'ai reconnu par des obfervations faites au thermometre pendant cinq années, que les plus grandes chaleurs arrivent conftamment dans la faifon pluvieufe qu'ils ont qualifiée du nom d'hiver. Les françois du Sénégal, qui se sont apperçus de l'erreur dans laquelle étoient tombés les voyageurs, ont voulu la corriger modeftement, en changeant le terme d'été en celui de baffe-faifon, c'est-à-dire, celle où les eaux du Niger font baffes; & ils ont donné le nom de hautefaifon à celle de l'hiver des anciens, parce qu'alors les eaux du Niger font fort hautes. Sans examiner quelle a pû être la fource de cette erreur, qui a été aveuglément embraffée par la plupart des phyficiens de nos jours, & qui en fe répandant jufques dans les meilleurs ouvrages, influe depuis long-tems fur bien des connoiffances phyfiques, & en particulier fur les connoiffances météorologiques, aujourd'hui fi embrouillées; je dois me borner à dire ici que cette fauffe dénomination exige une févere correction. J'appellerai donc, avec les françois qui habitent le Sénégal, bassefaifon celle de la féchereffe, & haute-faifon celle des pluies: ou encore, pour me conformer aux noms reçus dans toute l'Europe, & pour être entendu de tout le monde, je défignerai la premiere par le nom d'été, & la derniere par celui d'hiver; enforte que l'hiver & l'été fe trouveront arriver au Sénégal à peu près comme ils arrivent en France. Ces deux faifons font, comme je l'ai dit, les feules qu'on y éprouve : on n'y

1749.

Juillet.

1749. Juillet.

pas

connoît ni printems ni automne. Quand je parle d'hiver, il ne faut pas s'imaginer qu'on voie des glaces, des neiges, ou de la grêle : ce font de ces chofes qu'on ne connoît pas au Sénégal, & dont il n'est même poffible de faire naître la moindre idée aux naturels du pays, de quelque comparaifon que l'on fe ferve. L'hiver du L'hiver du Sénégal eft feulement un tems moins chaud chaud que l'é- que le refte de l'année, quoiqu'il foit toujours plus té de la Fran- chaud que les grands étés de France, dans lesquels il est assez rare qu'on voie tomber des neiges où de la grêle.

Sénégal plus

ce.

Je reviens aux eaux du Niger dont j'ai parlé, & qui ont donné lieu à cette petite digreffion. Elles font falées pendant la moitié de l'année vers l'isle du Sénégal. Comme le pays eft fort bas, qu'on n'y voit ni rochers ni aucune forte de pierres, mais feulement des fables mouvans, il ne s'y trouve pour la même raison Puits de l'ifle aucune fource d'eau: on est obligé de creuser alors des puits, qui à la vérité ne donnent pas beaucoup de peine, car on trouve l'eau à trois & quatre pieds, & fouvent à deux pieds de profondeur; mais elle est toujours faumâtre, c'est-à-dire, qu'elle conserve un petit goût de fel communiqué aux terres par la proximité de la mer.

du Sénégal.

8 Août.

leil au zénith.

Le 8 août nous étions à ce jour où le foleil paffant Paflage dufo: à midi perpendiculairement fur nos têtes, réuniffoit l'ombre de nos corps fous nos pieds. C'étoit pour la feconde fois que je voyois ce phénomene depuis mon arrivée au Sénégal : il m'avoit paru pour la premiere fois le quatrième jour du mois de mai; & je devois le revoir toutes les années à peu près en pareils tems. La

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Août.

Chaleurs de

chaleur qu'il occafionnoit à son retour du tropique du cancer vers l'équateur, étoit beaucoup plus grande que celle que fon premier paffage avoit excitée : car cette faifon. le thermometre marquoit pour les nuits du mois de mai 22 degrés, & 26 à 28 pour le jour; au lieu que les nuits d'août donnoient 26 d. & les jours 32 d.

à

gres.

Le 9 août & les jours fuivans, je me promenai aux environs de l'isle du Sénégal, & je retournai à l'ifle de Sor, dont j'ai déja parlé. L'ufage des canots européens me paroiffant trop incommode à caufe de leur pefanteur, pour traverser journellement le fleuve, je jugeai propos de me fervir par la fuite d'une efpece de canot nègre, que les françois appellent pirogue. Ces pe- Canots nètits bâtimens font faits tout d'une piece, & d'un tronc d'arbre creufé & fort leger. Ils ont depuis dix jufqu'à trente pieds de longueur, fur un à deux pieds de fargeur & de profondeur, & font terminés en pointe par les deux bouts. Le mien étoit des plus grands. Lorfque j'y fus entré, mes deux nègres fe placerent aux deux extrémités, l'un à la poupe & l'autre à la proue. Pour moi je me mis au milieu, où je n'avois d'autre fiége qu'un barreau de traverse, dont les deux bouts fichés dans les flancs de la pirogue, servoient aussi à les tenir écartés toujours à la même distance. Mes nègrès avoient chacun une pagaïe à la main: ce font de petites palettes de bois, faites en croissant, & attachées au bout d'un bâton dont ils fe fervent pour ramer. Celui qui étoit à la proue se tenoit debout, & plongeoit fa pagaïe dans l'eau en la poussant derriere lui, pendant que l'autre affis gouvernoit avec la fienne. Quand nous fûmes arrivés à l'autre bord du

1749. Août.

fleuve, ils tirerent la pirogue à terre : c'est le feul moyen que les gens du pays aient pour mettre ces petits bâtimens en fûreté contre les vagues qui les auroient bientôt remplies, lorsqu'ils ne peuvent pas les mouiller affez loin du rivage.

Cette manœuvre ne dura pas long-tems, & je por tai mes pas au village de Sor. J'y fus très-bien accueilli, comme à l'ordinaire, & je demandai qu'on m'indiquât les endroits les plus propres pour la chaffe; car dès ce jour j'avois congédié mon interprête, parce que j'avois une teinture fuffifante de la langue du pays, pour comprendre tout ce que les nègres me difoient, & pour leur expliquer mes pensées. On me mena dans un quartier d'où je vis partir un troupeau de gazelles; mais je ne penfai plus à chaffer dès que j'eus apperçu un arbre dont la grosseur prodigieufe Arbres d'une attira toute mon attention. C'étoit un calebaffier, groffeur extraordinaire. autrement appellé pain-de-finge (1), que les oualofes nomment goui dans leur langue. Sa hauteur n'avoit rien d'extraordinaire, elle étoit de foixante pieds environ : mais fon tronc étoit d'une groffeur démesurée; j'en fis treize fois le tour en étendant les bras autant qu'il m'étoit poffible; & pour une plus grande exactitude, je mefurai enfuite avec une ficelle fa circonférence, que je trouvai de foixante-cinq pieds: fon diametre avoit par conféquent près de vingt-deux pieds, Je ne crois pas qu'on ait jamais rien vû de pareil dans aucune autre partie du monde ; & je fuis perfuadé que fi nos anciens voyageurs avoient eu connoiffance de cet arbre, ils n'auroient pas manqué d'y ajouter bien (1) Bahobab, P. Alp. vol. 2. pag. 37.

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