Imágenes de páginas
PDF
EPUB

du merveilleux. Il est auffi fort étonnant que cet arbre ait été totalement oublié par ceux qui nous ont donné l'histoire du Sénégal, d'autant mieux qu'il n'y en a guères de plus communs dans le pays. Du tronc tel que je viens de le décrire, de vingt-deux pieds de diametre, sur huit à douze pieds de hauteur, partoient plufieurs branches, dont quelques-unes s'étendoient horizontalement, & touchoient la terre par leurs extrémités : c'étoient les plus grandes; elles avoient depuis quarante-cinq jufqu'à cinquante-cinq pieds de longueur. Chacune de ces branches auroit fait un des arbres monftrueux de l'Europe : enfin tout l'ensemble de ce pain-de-finge paroiffoit moins former un feul arbre qu'une forêt. Ce ne fut pas tout: le nègre qui me fervoit de guide me conduifit à un fecond qui avoit foixante-trois pieds de circonférence, c'est-àdire, vingt-un pieds de diametre, & dont une racine, qui avoit été pour la plus grande partie découverte par les eaux d'une riviere voifine, portoit cent & dix pieds de longueur, fans compter la partie qui restoit cachée fous les eaux de cette riviere, & que je ne pus faire découvrir. Le même nègre m'en montra un troifiéme qui n'étoit pas fort loin de-là, & m'ajouta que fans fortir de cette isle, j'en pourrois voir un grand nombre d'autres qui ne leur étoient pas beaucoup inférieurs pour la taille. Ma furprise ceffa dès-lors, & fatisfait d'en avoir vu trois, je me disposai à chasser.

1749. Août.

pris par un

Un vent d'eft qui s'éleva tout à coup, avec une im- L'Auteur furpétuofité telle qu'il fembloit devoir déraciner & en-grain violent. lever tous les arbres, m'empêcha d'aller plus loin. Ces coups de vent font les avant-coureurs ordinaires de la

Août.

,

1749. pluie dans ces pays; & celui-ci amenoit avec lui une épaiffe nuée qui crêva auffi-tôt. Le village étoit loin, & l'on ne pouvoit efpérer de le regagner. Mes nègres ne voyant aucun aucun abri pour eux, quitterent leurs pagnes & fe jetterent à la nage dans une petite riviere qui paffoit auprès de cet endroit. C'est leur coutume, lorfqu'ils font furpris par un orage, de fe plonger dans l'eau, plutôt que de s'expofer à être mouillés par celle de la pluie, dont ils craignent les mauvais effets. Pour moi qui n'eus ni le tems ni la volonté de les suivre, je me retirai sous le plus gros des pains-de-singe que je venois de voir, comptant m'y trouver à couvert comme fous le toît d'une maifon. Il fembloit que le ciel fondoit en eau tant la pluie étoit forte: chaque goutte qui tomboit s'étendoit fur la terre de toute la largeur de la main, Je ne fouffris rien de fa premiere impétuofité; mais quelques minutes après, lorfque l'arbre eut été bien abreuvé, je fus inondé l'eau par qui ruiffeloit de fes branches, & leurs finuofités firent comme autant de lits, d'où fe précipitoient des torrens, qui réunis dans la vaste surface du tronc, en couloient comme un fleuve. On s'imagine bien que je n'aurois pas eu beau jeu en reftant fous le pain-de-finge; je m'en éloignai bien vîte, & me mis en pleine campagne, où je ne jouai guères plus beau rôle : j'essuyai là tout l'effort du grain, qui dura une bonne heure; & je fçus à mon retour dans l'ifle du Sénégal, qu'il y étoit tombé deux pouces trois lignes d'eau.

Les eaux du Niger parvenues à leur plus haut point d'accroiffement, inondoient tous les environs de l'ifle du Sénégal, & les rendoient impraticables. Forcé de

renoncer

[blocks in formation]

peu l'ifle de Go

renoncer entierement à toutes fortes de promenades,
je ne voyois qu'un moyen de pouvoir employer le
long intervalle de tems que devoit durer l'inondation;
c'étoit de paffer dans un pays qui en fût à l'abri. Un
bâtiment partoit pour Gorée, petite isle distante d'en-
viron trente-cinq lieues marines au fud-fud-ouest de
l'ifle du Sénégal, & fort proche du cap Verd. Je crus
ne pouvoir mieux faire que de profiter d'une commo-
dité qui se présentoit fi à propos, & je m'y embarquai.
On mit en mer le 27 août des vents d'oueft
par
favorables; mais un grain (1) amené pendant une nuit
par un vent d'eft furieux, nous pouffa fi vivement
qu'il nous fit faire à sec, c'est-à-dire, à mâts & à cor-
des fans le fecours d'aucunes voiles, plus de chemin
que nous n'en avions fait depuis fept jours que nous
étions en route. On vit pendant ce grain une lumiere
les marins connoiffent fous le nom de feu S. Elme:
elle ferpenta pendant près d'une minute au haut dų
mât, & à l'extrêmité de la girouette, où elle fe diffipa,
Les matelots la regarderent comme un heureux pré-
fage qui leur annonçoit la fin de la tempête, & ils ne
furent pas trompés dans leurs efpérances: le vent s'ap
paifa bientôt après, & rendit à la mer sa premiere tran,
quillité.

que

Le 4 feptembre au point du jour, nous nous trouvâmes par le travers du cap Verd: c'étoit un nouveau fpectacle pour moi, qui, depuis quatre mois que j'étois arrivé au Sénégal, avois perdu l'habitude de voir des

(1) On appelle de ce nom tous les coups de vents orageux qui font accompagnés de pluie, de tonnerre & d'éclairs; & l'on fe fert du terme de grain-fee pour défigner ceux qui font fans pluie.

H

rée.

[blocks in formation]

1749.

l'ifle de Go

rée.

côteaux & fur-tout des pierres. Nous découvrîmes Septembre. peu de tems après les ifles de la Magdeleine, & dans On mouille à la matinée l'on mouilla dans l'anfe de Gorée. Une langue de terre baffe, & une petite montagne trèsefcarpée, font toute cette ifle d'un fixiéme de lieue de Defcription longueur. Malgré fon peu d'étendue, fa fituation la de cette isle. rend assez agréable : du côté du fud on y jouit d'une vûe qui n'est bornée que par l'horizon de la mer, & du côté du nord on découvre au loin le cap Verd, tous les autres caps & avances des terres voifines. Quoiqu'elle foit dans la zone torride, on ne laiffe pas d'y respirer presque toute l'année un air frais & tempéré : cela vient de l'égalité des jours & des nuits, & de ce qu'elle eft continuellement rafraîchie par les vents qui foufflent fucceffivement des terres & de la mer. M. de Saint-Jean, qui en eft directeur, l'a embellie de plufieurs beaux bâtimens : il l'a fortifiée & la fortifie encore tous les jours: entre ses mains elle est devenue une place imprenable. Par fes foins on y a découvert plufieurs fources d'eau ; les jardins ont été plantés de beaux arbres fruitiers; on y recueille les plus excellens légumes: enfin, en lui procurant tous ces avantages, il en a fait d'une petite isle séche & stérile, un séjour sûr & charmant. Je lui avois été déja recommandé par M. de la Brue, fon frere, directeur général de la Conceffion, & je ne pouvois manquer de trouver auprès de lui toutes fortes de facilités.

Les rochers dont l'ifle de Gorée eft environnée, produifent une infinité de coquillages & de poiffons mols, Voyage à l'ef- qui m'occuperent pendant quelques jours, après quoi je m'embarquai le 13 du même mois, fur un petic

13.

cale de Portu

dal.

1749.

bâtiment qui alloit faire une traite de boeufs & de mil à Portudal. Cette escale que les nègres appellent du Septembre. nom de Sali, n'eft éloignée que de neuf lieues au fud de l’isle de Gorée. La barre qui y regne, nous obligea de mouiller le bâtiment à une demi-lieue de terre, pour ne pas l'expofer aux lames. Une pirogue m'y mena fans aucun accident. Je me trouvai dans une terre fabloneuse, mais d'une fertilité inconcevable & toute couverte de bois. Le grewia (1), une espece de Bois du pays. polygala à femence d'érable, le rebreup (2), & le demboutonn (3), faifoient des taillis au-deffus defquels les monbins, appellés fob dans le langage du pays, élevoient leurs têtes chargées de fruits. Les feuilles de cet arbre lui donnent affez l'air du frefne; mais il fe fait bientôt reconnoître par fes fruits qui font semblables par leur groffeur, leur forme & leur couleur, à nos prunes de fainte-catherine : ils étoient murs pour lors; & j'en mangeai quelques-uns, auxquels je trouvai un goût aigrelet, aromatique & fort agréable. Je vis auffi dans ces quartiers plufieurs fromagers épineux (5), connus par les nègres fous le nom de benten, & beaucoup d'autres grands arbres. Les nègres avoient coupé ce bois en plusieurs endroits pour y faire des champs de petit mil: il étoit alors près de fa maturité.

Tout ce beau pays étoit habité des oifeaux enpar core plus beaux. Le geai, dont j'ai parlé ailleurs (6), étoit par troupes : l'éclat de fes couleurs azurées vû

y

(1. 2. 3.) Efpeces d'arbres inconnus en Europe.

(4) Monbin arbor foliis fraxini, fructu luteo racemofo. Plum. gen. pag. 44.

(5) Ceyba viticis folio, caudice aculeato. Plum. gen. pag. 42.

Beauté des

oifeaux.

(6) Page 15.

« AnteriorContinuar »