Imágenes de páginas
PDF
EPUB

1749:

à côté de la vive couleur de feu des moineaux appellés Septembre. cardinaux, dont toutes les campagnes étoient alors couvertes, faifoit un coup d'œil admirable. Ce fut dans cet endroit que je trouvai la feule efpece de limaçon (1) terreftre que j'aie obfervé dans le pays. Il étoit fort commun dans une prairie découverte, remplie de joncs, & d'ambrofie-maritime; j'en vis même plufieurs vivans au pied des arbres voifins, où ils étoient à l'ombre. C'est une chose digne de remarque, & qui fans doute paroîtra furprenante, que dans une fi vafte étendue de pays bien boise, on ne rencontre qu'une espece de limaçon terrestre, pendant qu'on en voit tant d'efpeces dans les pays tempérés.

Les françois n'ont point établi de comptoir à Portudal, & lorfqu'ils y vont en traite, ils defcendent chez l'Alker, ou le Gouverneur du village, qui poffede un grand nombre de cafes. Il m'en avoit deftiné une dans laquelle je logeois. Une nuit que je dormois d'un profond fommeil, je fus réveillé par un cri horrible qui mit tout le village en rumeur. Je m'inforMort d'une mai aussi-tôt de ce que c'étoit ; & l'on me dit que l'on pleuroit la mort d'une jeune fille, qui avoit été mordue à quatre lieues de là par un ferpent, dont le venin l'avoit fait périr en moins de deux heures ; & que fon corps venoit d'être tranfporté à fa cafe. Le premier cri avoit été jetté, fuivant la coutume, par une des parentes de la défunte, devant la porte de sa case, qui étoit fort proche de la mienne. A ce fignal toutes les femmes du village fortirent en pouffant de semblables

négreffe.

(1) Voyez l'Histoire naturelle des Coquillages Univalves, genre s. le limaçon, planc. 1. fig. 1. Kambeul.

1749.

cris, & fe rassemblerent autour du lieu d'où étoit parti le premier cri. A les voir & à les entendre, on les eût Septembre. pris toutes pour des parentes de la défunte, tant elles paroiffoient pénétrées de douleur, & affurément c'en eût été une démonftration des plus authentiques, fi elle fût partie du fond du cœur : mais elle n'en avoit que l'apparence ; ce n'étoit qu'un pur effet de l'usage établi dans le pays. Ce tintamarre épouvantable dura quelques heures, c'est-à-dire, jusqu'au point du jour. Alors les parens entrant dans la cafe de la défunte, lui prirent la main, & lui firent plufieurs questions qui furent fuivies de bien des offres de fervices: voyant qu'elle ne leur répondoit point, ils se retirerent en difant: hélas! elle eft morte. Ses amis en firent autant, puis l'on porta le corps en terre, & l'on mit à fes côtés les. deux pots de terre, dont l'un étoit plein d'eau & l'autre plein de coufcous: c'étoit fans doute pour lui fervir de nourriture, fuppofé qu'il lui prêt encore envie de boire ou de manger. Les funérailles achevées, les cris, les hurlemens & les pleurs cefferent. Le deuil finit auffi: l'on ne penfa plus qu'à faire feftin en l'honneur du mort, & l'on fit dès le foir du même jour un folgar, c'est-à-dire un bal, qui fut continué pendant trois nuits: voici comme il se paffa.

Cérémonie des funérail

à cette occa

tion.

Toute la jeuneffe du village s'étoit raffemblée dans Bal donné une grande place, au milieu de laquelle on avoit allumé un grand feu. Les fpectateurs formoient un quarré long, aux deux extrêmités duquel les danfeurs étoient rangés fur deux lignes oppofées, les hommes d'un côté & les femmes de l'autre. Deux tambours qui fe tenoient fur les côtés, pour régler la danse, n'eurent

1749.

pas plutôt battu la marche, que les acteurs comSeptembre. mencerent une chanfon dont le refrain fut repeté par tous les fpectateurs. En même tems un danseur se détachant de chaque ligne, s'avança en dansant vis-àvis de celui qu'il lui plut de l'autre ligne, à la distance de deux ou trois pieds, & fe recula en cadence jufqu'à ce que le fon du tambour les avertit de fe rapprocher & de fe joindre en fe frappant les cuiffes les unes contre les autres, c'est-à-dire, l'homme contre une femme, & la femme contre un homme : ils fe retirerent enfuite, & recommencerent bientôt les mêmes fingeries, en diverfifiant leurs danfes, autant de fois que le tambour donna le signal, & enfin ils retournerent à leur place. Les autres danseurs en firent autant chacun à leur tour, mais fans fe repeter; puis les deux lignes s'approcherent ensemble jouant auffi leur rôle. Ces geftes font affez immodeftes, comme l'on voit; mais les autres mouvemens qu'on n'apperçoit guères, si l'on n'y eft pas fait, le font encore bien davantage. Les nègres ne font point un pas pour danfer que chaque membre de leur corps, chaque articulation, la tête même ne marquent tous en même tems un mouvement différent, & toujours en obfervant la cadence, quelque précipitée qu'elle foit. C'est dans la jufteffe de ce nombre infini de mouvemens que confifte principalement l'art de la danfe des nègres : il faut être né avec une fouplesse semblable à la leur, pour pouvoir les imiter. Cet exercice tout violent qu'il étoit, dura une bonne partie de la nuit, pendant laquelle on vuida plufieurs pots d'une bière très-forte qu'ils font avec le mil. Ils recommencerent les deux nuits fuivantes, & le troifiéme jour les divertissemens cefferent. Un Européen

1749.

auroit porté le deuil pendant quelques mois; l'Africain profite de ces accidens pour fe réjouir : tels font Septembre. les ufages bizarres des différentes nations; ce qui fait naître la joie chez les unes eft un fujet de tristesse chez

les autres.

barre de Por

J'avois defcendu facilement à terre en arrivant à Paffage de la Portudal, parce que la mer étoit traitable; mais on tudal en pirofut fort embarraffé quand il fallut s'en retourner à g11e. bord du bateau : elle étoit extrêmement groffe, & les lames qui brifoient fur la barre la rendoient auffi dangereufe que difficile. Nous nous y rifquâmes cependant dans une grande pirogue, l'Employé de traite, moi, & quelques paffagers qui fe difpofoient à jetter avec des moitiés de calebaffes l'eau qui entreroit dedans. La pirogue étoit ainfi chargée, lorsqu'une lame qui vint à terre, l'emporta à l'aide des bras de quatre nègres, tous habiles nageurs, qui en avoient la conduite : ils la poufferent de toutes leurs forces, & fauterent dedans à mesure que l'endroit où ils devoient ramer entroit dans l'eau. Nous nous trouvâmes bien→ tôt dans les plus groffes lames, dont quelques-unes qui s'élevoient comme de longues collines, fe briferent contre la pirogue, & la remplirent d'eau en nous inondant. Nous travaillâmes tous à la vuider fans perdre courage, & nous avions affez d'affaires, pendant que les rameurs étoient attentifs à forcer de rames, pour éviter adroitement les lames lorsqu'elles approchoient. Tantôt la pirogue s'élevoit par une extrêmité fur le dos d'une lame, pendant que l'autre extrêmité s'y plongeoit : tantôt elle fe trouvoit fupportée & comme suspendue par ces mêmes extrêmités

1749.

fur les pointes de deux lames différentes : quelquefois Septembre. elle n'étoit foutenue que par fon milieu fur le fommet d'une lame, de maniere que fes deux bouts restoient en l'air comme en équilibre. Ce fut en cette maniere qu'expofés à tous momens au péril évident d'être submergés, nous franchîmes cette barre, avec un bonheur inoui, & que nous arrivâmes à bord du bateau, qui nous remit à l'ifle de Gorée le 24 septembre l'entrée de la nuit.

26. Promenade

Deux jours après, M. de Saint-Jean voulut me aux ifles de la donner la fatisfaction d'aller aux ifles de la MagdeMagdeleine. leine, qui en font éloignées d'une bonne lieue. Il fit équiper un bateau dans lequel je m'embarquai avec lui & quelques officiers de fon département. De ces deux ifles il n'y en a qu'une de praticable; l'autre n'eft qu'un rocher nud & efcarpé, fort élevé au-deffus des eaux, & tout blanc par les ordures que les plongeons, les goëlans, les fous & d'autres oifeaux de mer y ont faites en s'y repofant. L'ifle principale de la Magdeleine, quoique petite, pourroit être habitée, fi elle avoit un port; mais on ne peut l'aborder que par une petite anfe toute femée de rochers fur lesquels la mer eft rarement tranquille. Cette anfe fait une espece de culde-fac ou de long canal, qui aboutit à un bassin naturel de figure ovale, creufé dans le roc, roc, de douze pieds de profondeur fur douze toifes de longueur, & de la plus belle eau, où l'on peut fe baigner en fûreté. Du reste cette isle n'eft qu'une montagne prefque ronde, & femblable à celle de Gorée : elle a auffi deux petites fources d'eau qui tariffent pendant l'hiver : la vûe y est également belle & fort étendue, & l'air extrêmement

« AnteriorContinuar »