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Octobre.

qui, en s'écartant, forment une tête ronde. Chaque 1749. feuille repréfente un éventail de cinq à fix pieds d'ouverture, porté fur une queue de même longueur. De ces arbres les uns donnent des fleurs mâles, qui font ftériles: les autres qu'on appelle femelles, fe chargent de fruits qui fe fuccèdent fans interruption pendant prefque toute l'année. On m'en apporta plufieurs de la groffeur d'un melon ordinaire, mais un peu plus ronds. Ils étoient enveloppés d'une peau coriace, épaiffe comme un fort parchemin, qui recouvroit une chair jaunâtre, remplie de filamens attachés à trois gros noyaux qui en occupoient le milieu. Les nègres aiment beaucoup ce fruit: lorsqu'il a été cuit fous les cendres, il a un peu du goût du coin: fon odeur est assez forte, mais agréable.

Le faule du Niger eft différent de celui d'Europe. Il Saule. a les tiges & la foibleffe de l'ofier, mais fes feuilles font très-courtes & arrondies par les extrêmités. Chez les nègres il porte le nom de kelélé. C'est un arbre des plus honorés dans le pays; fes jeunes branches paffent entre les mains des dames, qui en font des cure-dents. Au défaut de ceux-ci, qui laiffent un peu d'amertume dans la bouche, on emploie les branches de quelques autres arbres de bonne odeur. Ces différentes efpeces de cure-dents s'appellent du nom de fokiou.

Promenade aux environs de Dagana.

Les élephans, dont je voyois tous les jours un grand 5 Novembre. nombre fe répandre fur les bords du fleuve, ne m'étonnoient plus. Le 5 novembre comme je me promenois dans les bois qui font vis-à-vis le village de Dagana, j'apperçus quantité de leurs traces fort fraîches. Je les fuivis conftainment pendant près de deux lieues;

1749.

Elephans.

& enfin je découvris cinq de ces animaux, dont trois Novembre. fe vautroient couchés dans leur fouil à la maniere des cochons, & le quatrième étoit debout avec fon petit, mangeant les extrêmités des branches d'une acacie qu'il venoit de rompre. Je jugeai par comparaifon de la hauteur de l'arbre contre lequel étoit cet élephant, qu'il avoit au moins onze ou douze pieds, depuis la plante des pieds jusqu'à la croupe. Ses défenses fortoient de la longueur de près de trois pieds. Quoique ma présence ne les eût pas émus, je penfai qu'il étoit à propos de me retirer. En pourfuivant ma route, je rencontrai des impressions bien marquées de leurs que je mefurai : ils avoient près d'un pied & demi de diametre. Leur fiente qui reffembloit à celle du cheval, formoit des boules de fept à huit pouces d'épaiffeur.

pas

Je visitai le lendemain avec un plaifir infini les belles campagnes qui font en deçà de Bokol. Je paffai d'aSinges verds. bord fous des arbres remplis de finges verds, dont les gambades étoient fort divertiffantes. Je me trouvai enfuite dans une plaine très-abondante en gibier, & où je fis une chasse merveilleuse. De là j'entrai dans un petit bofquet planté auprès d'un marais qui attiroit des compagnies de pintades. Pendant que j'étois aux aguets dans cet endroit, j'apperçus un de ces énormes Sangliers. fangliers particuliers à l'Afrique, & dont je ne fçache pas qu'aucun naturaliste ait encore parlé. Il venoit tête baiffée fur moi, & m'auroit infailliblement atteint fi je ne l'euffe, pour ainsi dire, averti de détourner fes pas, par quelque bruit que je fis en le couchant en joue. Il étoit noir comme les fangliers d'Europe, mais d'une taille infiniment plus haute. Il avoit quatre

1749.

grandes défenses, dont les deux fupérieures étoient recourbées en demi-cercle vers le front, où elles imi- Novembre. toient les cornes que portent d'autres animaux.

fatigues du

Podor.

de

Plus j'approchois de Podor, plus j'étois expofé, Dangers & parce que les bords du Niger font plus déferts, fur- voyage tout celui qui regarde le feptentrion. Cependant ni les dangers que je courois de la part des bêtes feroces, ni les fatigues de la chaffe dans des bois bien défendus par leurs épines, ni les chaleurs étouffantes du vent d'eft, qui m'obligeoient d'aller à chaque instant aux eaux du fleuve pour y éteindre ma soif ardente; tout cela ne m'effrayoit point, rien n'étoit capable d'abbattre mon courage: une fanté merveilleufe me foutenoit contre tant de peines, de périls, & de fatigues auxquelles beaucoup auroient fuccombés.

7.

Avanture cri.

Le 7 novembre il m'arriva une aventure encore plus critique & plus effrayante que celles que j'avois tique. éprouvées jufqu'alors. Comme je me promenois alternativement tantôt fur l'un, tantôt fur l'autre bord du fleuve, je paffai ce jour-là fur le bord feptentrional. Je marchois en chaffant dans une terre déferte, qui n'avoit jamais été défrichée, toute couverte de bois auffi anciens que le pays, & dont l'épaiffeur feule, indépendamment des bêtes féroces qui s'y retirent, auroit dû m'infpirer de la frayeur. Malgré les dangers & les incommodités inféparables de cette chaffe, ma curiofité me portoit à pénétrer dans les lieux les plus épais de ces bois; les animaux, les plantes & les oifeaux que je rencontrois à chaque pas m'y invitoient. Le nègre que j'avois pris pour m'accompagner ne me fuivoit que de fort loin. Il étoit midi; & je finiffois à

Novembre.

Rencontre

d'un tigre.

1749. peine de recharger mon fufil après avoir tué deux toucans, lorfque je vis un tigre à mes côtés. Il ne m'avoit pas encore apperçu: un arbre fe trouvoit entre lui & moi ; & il marchoit fort lentement la tête panchée vers la terre. Je gliffai promptement une balle dans mon fufil, pour le coucher en joue derriere l'arbre, & j'armai ma main gauche d'un couteau. A ces mouvemens le tigre fe retourna fierement de mon côté & me lança des regards terribles. Quoique je n'en fuffe pas éloigné de douze pieds, la prudence ne vouloit pas que je lui tiraffe mon coup, parce que j'étois feul, & qu'il y avoit beaucoup à rifquer pour moi, fi je ne l'eus pas étendu mort fur la place. Je pris le parti qui me parut le plus fage dans une pareille rencontre : c'étoit de le tenir toujours couché en joue, un genouil plié pour plus de fûreté, & de frapper la terre de l'autre pied fans me déranger, afin de le déterminer à prendre fon chemin. Il le fit à l'instant en débutant par un faut tel que je n'en ai jamais vû de femblable, & me délivra ainsi de l'embarras où m'avoit jetté sa préfence importune.

Dès ce moment je quittai le bois pour me rapprocher du bord du fleuve, où mon nègre ne me rejoignit qu'une heure après. Nous attendîmes fort longtems le bateau fans en avoir de nouvelles; nous allâmes même quelque peu au-devant, mais toujours inutilement. Nous l'avions laiffé plus de deux lieues derriere nous, & il n'y avoit aucune apparence qu'il dût arriver avant le coucher du foleil. Il étoit quatre heures du foir; & depuis fix heures du matin que je fatiguois, je n'avois rien pris que de l'eau, dont je

1749.

Dîner de l'Auteur au

bûvois une grande abondance pour tempérer les chaleurs que me faifoit effuyer le foleil le plus ardent. Novembre. Preffé par la faim auffi-bien que mon nègre, je me déterminai à faire le dîner du fauvage. Rien n'y manqua. J'avois tué, chemin faifant, plus de gibier que milieu des quatre hommes affamés n'en auroient pûmanger. Mon bois. nègre ne fut pas embarraffé pour le faire rôtir; il frotta enfemble deux bâtons qui prirent feu à l'instant ; il fit auffi une broche de bois, qu'il garnit avec un toucan, deux perdrix & deux pintades. Quand ce dîner, encore plus frugal & de moindre appareil que celui des nègres, fut fini; je crus ne pouvoir rien faire de plus avantageux pour moi & pour tous les françois qui viendroient par la fuite fe promener dans ce dangereux endroit, que d'y mettre le feu, comme le tiquent les nègres. Pendant deux heures que je reftai ly met le feu là, je le fomentai, & j'y fournis des matieres fuffifantes pour embrâfer plufieurs lieues de ce vafte défert, qui s'étend depuis le village appellé Ndounnmangas jufqu'à Podor, dans une efpace de plus de vingt lieues, & qui n'eft fréquenté que rarement par les maures, qui y campent dans quelques endroits où ils ont mis le feu. A fept heures du foir le bateau tant defiré & fi long-tems attendu, arriva : je m'y embarquai avec une grande fatisfaction à la lueur du feu que j'avois allumé; & j'appris huit jours après qu'il brûloit encore, & qu'il avoit découvert plufieurs lieues de pays.

pra

en fe retirant.

prodigieux d'oi

On arriva le 8 à Lamnaï. Cette petite ifle, Nombre qu'on peut nommer à bon droit l'ifle aux oiseaux, eft fort seaux fur l'ifle baffe, & n'a pas deux cens toifes de longueur. Ses ar

de Lamnaï.

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