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1749.

bres étoient couverts d'une multitude fi prodigieufe Novembre. de cormorans & de hérons de toutes les efpeces, que les laptots qui entrerent dans un ruiffeau, dont elle étoit alors traversée, remplirent en moins de demiheure un canot, tant des jeunes qui furent pris à la main ou abattus à coups de bâtons, que des vieux dont chaque coup de fufil faifoit tomber plusieurs douzai– nes. Ces oifeaux fentent un goût d'huile & de poisson qui ne plaît pas à tout le monde.

Stratiote, plante du Nil.

Je trouvai dans cette ifle une plante que je n'avois pas encore vû : c'étoit le ftratiote, connu fous le nom de ftratiote d'Egypte; cette plante merveilleuse qu'on dit fe promener fur les eaux du Nil, cherchant fa nourriture à la maniere des animaux. C'est assurément bien mal à propos qu'on a fait ce petit conte, ou qu'on a interprêté dans ce sens les descriptions, peut-être trop lâches, , que les voyageurs en ont donné. Le ftratiote du Niger eft le même que celui du Nil, dont on voit la figure dans Profper Alpin (1), & dans le Jardin de Malabar (2); & il porte des racines si bien piquées en fi terre, que l'on a affez de peine à l'arracher. Ce qui a fans doute induit en erreur, c'eft que cette plante produit des petits bouquets de feuilles fort écartés les uns des autres, & portés fur une tige, qui, après avoir flotté sur l'eau, va fe perdre infenfiblement dans la terre, à peu près comme font dans ce pays-ci les tamogetons, les nymphoides, & les feuilles mêmes du nenufar.

po

La proximité où j'étois de Podor, que l'on décou(1) Hay alem el maovi, id eft, ftratiotes. Profp. Alp. Ægyp. v. 2. p. 5 1. (2) Kodda-pail. Hort. Mal. vol. 11. pag. 32. tab. 63:

yroit

1749. Novembre.

10.

Arrivée à Po

Chaleur ex

vroit au loin par-deffus des terres fort baffes, me faifoit foupirer avec d'autant plus d'ardeur après le moment où je devois y débarquer, que le bateau faisoit à peine trois ou quatre lieues par jour. Enfin cet heureux inftant arriva le 10 de novembre, & mit fin le dix- dor. neuvième jour à ce voyage long, difficile, & d'autant plus pénible que je l'avois fait dans le mois où fe font fentir les plus grandes chaleurs de l'année. Le thermometre que je ne pouvois exposer fûrement que dans ceffive dans la chambre du bateau, y marquoit fur le midi depuis les bateaux, 40 jufqu'à 45 degrés. Elle étoit si pénétrée de l'ardeur du foleil, que la nuit même elle conservoit encore 30 à 32 degrés de chaleur : c'étoit une vraie étuve, ou même une fournaise ardente, dans laquelle distilloit goute à goute le bray & le goudron, que les chaleurs liquéfioient au point de lui permettre de paffer par toutes les jointures du bâtiment. Enfin les chaleurs que j'ai fouffertes dans ce rude voyage, étoient telles que je ne crois pas qu'on en puiffe éprouver ailleurs de plus grandes; & je ne suis nullement furpris que la plupart des françois qui font près de deux mois à faire le voyage de Galam en juillet & août, y arrivent rarement fans être attaqués de quelque fievre ardente. Auffi ceux qu'une longue expérience ou une parfaite connoiffance du pays ont rendu plus prudens, partent dès le mois de juin, auffi-tôt que les eaux font affez hautes; alors ils ont beaucoup moins à craindre & à fouffrir de l'intempérie de la faison pluvieuse & des chaleurs qui augmentent continuellement depuis le mois de juin jufqu'en novembre: ils n'y résisteroient certainement point en partant en septembre & octobre,

L

1748.

Abeilles très

Une autre incommodité du voyage de Podor ou Novembre. de Galam, pendant le mois d'octobre, ce font les maincommodes, ringoins & les abeilles. J'ai dit ailleurs combien les premiers font importuns : les abeilles le font encore davantage. Tous les jours vers le midi, j'étois fûr d'être accueilli par un, deux, & quelquefois plufieurs effains qui venoient fe rendre dans la chambre du bateau, attirés peut-être par l'odeur pénétrante & réfineuse du goudron: elles m'obligeoient de quitter le bateau, & de chercher à terre la tranquillité.

La même chose m'arriva à Podor en novembre & décembre. Il y a apparence que c'eft pendant ces trois mois que les effains fortent des vieilles ruches pour en former de nouvelles: on en trouve alors affez fouvent des monceaux confidérables. Je vis un jour un toit de cafe, dont la furface de feize pieds quarrés, étoit recouverte d'une couche de plus de quatre travers de doigt, d'abeilles qui s'y étoient ainfi entaffées. C'est une preuve non équivoque de la prodigieufe quantité qu'il y a de ces infectes dans le pays. Ils fe logent partout; mais communément dans les troncs d'arbres que la vieilleffe a creufés. Cette année ils avoient fait trois ruches dans notre habitation de Podor : l'une entre les volets & la fenêtre d'une chambre au premier étage; l'autre au rez de chauffée, dans une petite armoire pleine de ferrailles dont on ouvroit tous les jours un battant, & qui étoit placée au fond d'un magasin fort obfcur; la troifiéme étoit fufpendue au plancher d'un autre magafin, fur le coin même de la porte. On réuffit difficilement à chaffer ces petits animaux, même pendant la nuit, & par le moyen du feu : ils fçavent

trouver dans les ténèbres ceux qui les inquiétent, & ils les puniffent par des piquûres très-douloureuses.

1749. Novembre.

leur miel.

Ces abeilles ne different de celles d'Europe que par Qualité de la petitesse. Leur miel a cela de fingulier, qu'il ne prend jamais de confiftance comme le nôtre : il est toujours liquide & femblable à un fyrop de couleur brupeut dire qu'il eft infiniment fupérieur pour la délicateffe & le goût au meilleur miel qu'on recueille dans les provinces méridionales de la France.

ne. On

Podor.

Le terrein de Podor me parut alors bien différent Plantes de de ce que je l'avois vû dans mon premier voyage. Au lieu d'une plaine féche & stérile, je vis une campagne agréable, entrecoupée de marais dans lefquels le ris croiffoit naturellement, & fans avoir été femé. Le terrein plus élevé étoit couvert de mil: l'indigo & le coton y étaloient la plus belle verdure. Prefque toutes les plantes aquatiques des pays chauds pafferent en revûe fous mes yeux : j'obfervai là le meniante (1), deux efpeces de pontederia (2), les juffixa (3), les lemma, & le pongati (4) du Jardin de Malabar. J'y trouvai auffi plufieurs efpeces d'alifma, de liferons, de nénuphar, l'utriculaire, l'hottonia (5), les adhatoda, un grand nombre de fouchets & d'autres plantes la plûpart inconnues.

Je ne bornai pas ma curiofité aux campagnes voi- Eminences de

(1) Nymphæa Indica minor lævis. Rumph, Herb. Amb. vol. 6. pag. 167.

tab. 72. fig. 3.

(2) Pontederia floribus umbellatis. Linn. Fl. Zeyl. 129.

(3) Nouvelles efpeces.

(4) Pongati. Hort. Mal. vol. 11. pag. 47. tab. 24.

(5) Hottonia flore folitario, ex foliorum alis proveniente. Burm. Th. Zeyl. pag. 121. tab. 55. fig. 1.

terre fort fingulieres.

1749. Novembre.

Obfervation de la latitude de Podor.

fines; elle s'étendit encore jusques dans les bois & les marigots qui font répandus à deux lieues à la ronde. J'y trouvai auffi beaucoup d'arbres nouveaux, & des oifeaux d'une grande beauté. Mais parmi les choses fingulieres que j'observai, rien ne me frappa plus que certaines éminences de terre, que leur hauteur & leur régularité me firent prendre de loin pour un affemblage de cases de nègres, & même pour un village considérable. Ce n'étoit cependant que les nids de certains petits infectes. Ces nids font des pyramides rondes de huit à dix pieds de hauteur, fur à peu près autant de bafe, dont la furface eft unie, & d'une terre graffe extrêmement dure & bien maçonnée. L'intérieur est un labyrinthe de petites galeries entrelacées les unes dans les autres : elles répondent à une petite ouverture qui donne entrée & fortie aux insectes qui l'habitent. On les appelle vagvague: peut-être font-ce les mêmes que l'on nomme poux de bois & fourmis blanches en Amérique & dans les Indes orientales. Ils ont la figure des fourmis ordinaires, mais leurs membres font moins diftingués. Leur corps qui est d'un blanc fale, eft auffi plus mol, plus rempli, & comme huileux. Ces animaux multiplient prodigieusement, & quand ils travaillent à se soger, ils attaquent d'abord quelque tronc d'arbre mort, qu'ils ont bientôt rongé & détruit.

Dans mes deux voyages j'avois levé avec foin la carte du Niger depuis fon embouchure jusques à Podor: il ne me reftoit plus qu'à connoître là latitude de ce lieu. La différence que je trouvois entre mon plan & celui que donnent les cartes anciennes & mo

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