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dernes, me fit foupçonner que cette latitude n'avoit
été bien déterminée, s'il étoit vrai qu'on y eût
pas
jamais travaillé. Pour m'en affurer, je fixai avec les
précautions requifes un gnomon de 8 pieds 1 pouce

I

ligne de hauteur, au-deffus d'une plate-forme réduite à un niveau affez exact. J'y obfervai, pendant le mois de novembre & une partie de celui de décembre, différens points d'ombre du foleil, qui me donnerent, par le calcul, fa hauteur; d'où je conclus la latitude de Podor de 16 d. 44 m. boréale, conformément au résultat que je communiquai pour lors à M. le Monnier, qui voulut bien en faire part à l'Académie des Sciences (1). Cette observation étoit de quelque importance, puisqu'elle corrige une erreur de plus de 15 minutes dont toutes les cartes font Podor trop feptentrional; & qu'elle diminue de beaucoup la longueur du cours du fleuve, dont même la plupart des directions données jusqu'à préfent étoient fauffes. Ainfi outre l'avantage que je retirai de mon fecond voyage de Podor, en prenant des connoiffances de l'hiftoire naturelle du pays; il me procura encore celui de vérifier & de corriger un point de géographie effentiel pour le cours du Niger, dont nous ne connoissons bien encore qu'une petite partie.

1749. Décembre.

17.

Retour de

du Sénégal.

En defcendant ce fleuve, les vents d'eft me furent auffi favorables qu'ils m'avoient été contraires en mon- Podor à l'ifte tant. Je partis de Podor le 17 décembre, & j'arrivai le 21 à l'isle du Sénégal; déforte que je ne fus que cinq jours dans mon retour, au lieu que j'en avois

(1) Cette obfervation a été imprimée dans le 2e volume des Mémoires préfentés à l'Académie par divers Sçavans, p. 605.

Décembre.

1749. employé dix-neuf à monter à Podor. Les eaux en baillant avoient laiffé fur les bords du fleuve un limon dont les nègres fçavent profiter auffi-tôt qu'elles se font retirées. Ils avoient femé par-tout le gros mil, le tabac, & des haricots de plufieurs efpeces.

1750.

Second voyage à Gorée.

10 Février.

Voyage de Gambie.

Je ne reftai pas long-tems à l'isle du Sénégal : j'en 11 Janvier. partis le 11 janvier de l'année fuivante pour retourner une feconde fois à l'ifle de Gorée, où j'arrivai le 15. De-là je devois faire le voyage de Gambie avec Mrs de la Brue & de Saint-Jean, directeurs, l'un de la conceffion du Sénégal, & l'autre de l'ifle de Gorée. Ils alloient rétablir le comptoir françois d'Albréda, fitué fur ce fleuve à fix ou fept lieues de fon embouchure, & diftant d'environ cinquante lieues de l'ifle de Gorée. Trois bâtimens mirent ensemble à la voile le 10 février, & entrerent le 20 dans le fleuve Gambie. Son embouchure ne commence, à proprement parler, qu'à la pointe de Bar, quoique fon lit foit prolongé affez avant dans la mer, par des bancs de fable ou des hauts-fonds qui se trouvent entre l'isle aux Oiseaux & le cap Sainte-marie. Ce cap est une terre haute qu'on laiffe fur la droite. Depuis la pointe de Bar jufqu'au comptoir d'Albréda le fleuve a une largeur affez inégale d'une lieue dans quelques endroits, & d'un peu davantage dans d'autres. Ses bords font affez élevés, & garnis des deux côtés de grands arbres qui indiquent affez la bonté du terrein.

le vis-à-vis

On mouil L'on mouilla vis-à-vis le comptoir, & l'on resta le comptoir quelques jours en rade fans descendre à terre. On y fit d'Albréda, bonne chere, en maigre fur-tout. Les nègres nous apfleuve de portoient quantité d'excellens poissons, des rayes, des

Poiffons du

Gambie.

1750.

bres.

Février.

foles, des vieilles monftrueuses, & beaucoup d'huîtres d'arbres (1) qui font très-abondantes dans ce fleuve. Elles ont tout ce qui leur faut pour y vivre. Les man- Huîtres d'argliers dont tous fes bords font bien fournis, leur prêtent leurs racines pour s'y attacher, & l'eau de la mer n'y perd jamais fa falure. Ce qu'il y a de fingulier, c'eft que par-tout ailleurs on détache les huîtres des rochers, au lieu que là on les cueille fur les arbres. Lorfque la mer a baiffé, elle les laiffe à découvert, & on les voit pendantes à leurs racines : c'eft ce qui a fait dire à quelques voyageurs qui en ont vûs de femblables en Amérique, qu'elles perchoient fur les arbres. Les nègres n'ont pas tant de peine qu'on penferoit bien, à les cueillir: ils ne font que couper la branche où elles font attachées. Une feule en porte quelquefois plus de deux cens, & fi elle a plufieurs rameaux, elle fait un bouquet d'huîtres qu'un homme auroit bien de la peine à porter. La coquille de ces huîtres differe de celles d'Europe, en ce qu'elle eft plus lon gue, plus étroite & moins épaiffe; du refte la délicateffe & le bon goût de leur chair ne permettent pas aux connoiffeurs d'y appercevoir aucune différence.

terelles.

Ce fut dans ce voyage que je commençai à con- Nuage de fau noître par moi-même les défordres que caufent les fauterelles, ce fléau fi redouté dans ces brûlans climats. Le troifiéme jour après notre arrivée, nous étions encore en rade: il s'éleva au-deffus de nous, vers les huit heures du matin, un nuage épais qui obfcurcit l'air en nous privant des rayons du foleil. Chacun fut

(1) Voyez l'Histoire naturelle des Coquillages bivalves. Genre 1. l'Huitre, planc. 14. fig. 1.

1750. Février.

mangent les

étonné d'un changement si subit dans l'air, qui est rarement chargé de nuages dans cette faifon; mais on reconnut bientôt que la cause en étoit dûe à un nuage de fauterelles. Il étoit élevé d'environ vingt ou trente toises au-dessus de la terre, & couvroit un espace de plufieurs lieues de pays, où il répandoit comme une pluie de fauterelles qui y paiffoient en se repofant, puis reprenoient leur vol. Ce nuage étoit apporté par un vent d'est assez fort : il fut toute la matinée à passer fur les environs, & on jugea que le même vent les précipita dans la mer. Elles porterent la défolation par-tout où elles pafferent: après avoir consommé les herbages, les fruits, & les feuilles des arbres, elles attaquerent jusques à leurs bourgeons & leurs écorces: les rofeaux mêmes des couvertures des cafes, tout fecs qu'ils étoient, ne furent point épargnés : enfin elles cauferent tous les ravages qu'on peut attendre d'un animal auffi vorace. J'en pris un grand nombre que l'on voit encore dans mon cabinet: elles étoient entierement brunes, de la groffeur & longueur du doigt, & armées de deux mâchoires dentées comme une fcie & capables d'une grande force. Elles avoient des aîles beaucoup plus longues que celles de toutes les fauterelles que je connois : c'étoit fans doute à leur grandeur qu'elles devoient cette facilité à voler & à se foutenir dans l'air.

Peuples qui On ne fe perfuaderoit pas facilement qu'un infecte Lauterelles. hideux comme l'eft la fauterelle, pût fervir de nourriture à l'homme. C'est cependant un fait certain que plufieurs nations de ce pays la mangent. Elles donnent même différentes façons à ce mêts fingulier, Les unes

le

les pilent & en font une bouillie avec le lait ; les autres les font rôtir fimplement fur les charbons, & les trouvent excellentes. On ne peut guères difputer fur les goûts; mais j'aurois laiffe volontiers aux nègres de Gambie tous les nuages de fauterelles pour le plus miférable de leurs poissons.

1750. Février,

fève dans les

plantes.

Une chose qui m'a toujours étonné, c'est la promp- Activité de la titude prodigieuse avec laquelle la féve des arbres répare dans ce pays-là les pertes qu'ils ont faites : & je n'ai jamais été plus furpris que lorfque defcendant à terre quatre jours après ce terrible paffage de fauterelles, je vis les arbres couverts de nouvelles feuilles, & ils ne paroiffoient pas avoir beaucoup fouffert. Les herbes porterent un peu plus long-tems les marques de la désolation; mais peu de jours fuffirent pour faire oublier tout le mal que les fauterelles avoient fait.

Mandingues,

Les peuples qui habitent le pays de Gambie font Nation des Mandingues ou Sofés, pour m'exprimer comme eux. Ils ne vivent & ne s'habillent pas différemment des autres noirs ; mais leurs cafes font mieux bâties: peut- Leurs cafes, être doivent-ils le goût de leur architecture aux Portugais qui s'y font établis autrefois. Leurs murailles font de terre graffe bien pétrie, fort liante, & qui prend en féchant beaucoup de folidité. Le dôme qui les couvre eft de paille, & defcend jufques à un autre petit mur de hauteur d'appui, qui fait autour de la cafe une petite galerie où l'on eft à couvert des rayons du foleil. Le feu avoit pris au village peu de tems avant mon arrivée : les murs des cafes qui avoient réfiftés, étoient en partie d'un beau rouge, & en partie vitrifiés par la violence du feu : ils fembloient de

M

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