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talens. Si je déploie les miens devant vous, et que j'obtienne vos éloges, je serai parvenu au comble de mes espérances, et j'aurai recueilli tous les suffrages en un seul. Eh! quel autre que vous pourrois-je choisir pour mon juge, sans m'exposer à passer pour un insensé ? Je fais, en apparence, dépendre mon sort (1) d'un seul homme; mais, dans la vérité, c'est me faire entendre d'une nombreuse assemblée. Ne sait-on pas combien vous l'emportez sur tous les autres pris en particulier, ou tous à la fois. Les rois de Lacédémone avoient droit de porter chacun deux suffrages, tandis que les autres citoyens n'en portoient qu'un seul : mais vous, vous réunissez ceux des Ephores, des anciens et de tout le peuple; et quand il s'agit de belles-lettres, votre suffrage en vaut mille. C'est vous sur-tout qui donnez la pierre blanche, le gage de la victoire, et c'est ce qui me rassure dans cette circonstance, où la témérité de ma démarche me donne tout lieu de craindre. Mais ce qui m'inspire encore quelque

αὐτελέ; 2°. ἀρετῆς ἁπάσης ὁ γνώμων, ne peut erre traduit par norma virtutis omnis, modèle de toute vertu. Tváμær, signifie l'aiguille du cadran solaire; ainsi Lucien dit que cet homme est, pour ainsi dire, l'indicateur des talens ( car tel est ici le vrai sens de ἀρετῆς ἁπάσης ), et comme l'aiguille indique l'heure, de même celui-ci par ses lumières et son goût, indique les vrais talens. J'ai osé changer la métaphore, parce qu'elle étoit intraduisible en notre langue.

(1) A la lettre ensorte qu'en apparence je jette le dé sur un seul homme, mais dans le vrai.

confiance, c'est que je ne vous suis pas tout-àfait étranger. J'ai pris naissance dans une ville qui a souvent éprouvé vos bienfaits publics et particuliers: et si, lorsque j'aurai parlé, les suffrages ne m'étoient pas favorables, ajoutez-y celui de Minerve (1), et suppléez à ce qui peut me manquer, mon succès sera votre ouvrage. Ce n'est point assez pour moi de l'admiration que j'ai précédemment obtenue, de la célébrité que je me suis acquise, et des applaudissemens qu'ont prodigués à mes ouvrages ceux qui les ont entendus: tous ces éloges ne sont à mes yeux que des vains songes (2); la vérité, en ce moment, va se montrer dans tout son jour : elle seule est le but de mes travaux. Ma réputation ne sera plus incertaine, personne n'en pourra plus douter; si votre jugement m'est propice, je serai désormais regardé comme le plus habile des gens de lettres, sinon, comme le plus.... Mais il ne faut prononcer que des paroles de bon augure en entrant dans cette carrière périlleuse. Faites, ô dieux! que je paroisse digne de quelque considération; confirmez les éloges que j'ai reçus ailleurs, et donnez-moi la confiance nécessaire pour paroître devant une nombreuse assemblée; car il n'est plus de

(1) Allusion au suffrage de Minerve, qui sauva Oreste prêt à être condamné par l'Aréopage.

(2) Le grec ajoute et des ombres de paroles, comme on dit en proverbe.

carrière redoutable pour celui qui a triomphé dans les grands jeux olympiques (1).

(1) Ce n'est pas sans raison que Lucien nomme icî les grands jeux olympiques, ceux qui se célébroient tous les quatre ans en Elide: il y avoit encore dans différentes contrées de la Grèce, différens jeux moins célèbres, qui portoient aussi le nom d'olympiques. En Macédoine, le roi Archelaüs avoit établi des jeux olympiques, qui duroient neuf jours. Les Athéniens avoient aussi des jeux de ce nom, qui se célébroient après les Panathenées; Smyrne, Pergame, Alexandrie avoient aussi les leurs. Extrait d'une note de Paulmier de Grentménil.

LE SCYTHE,

O U

L'ÉTRANGER.

ANACHARSIS NACHARSIS ne fut ne fut pas le premier qui vint de Scythie à Athènes, dans le desir de connoître les sciences de la Grèce; Toxaris y vint avant lui, conduit par l'amour de la philosophie, des lettres et des beaux-arts. Ce dernier n'étoit pas, il est vrai, comme Anarcharsis, issu de race royale; ni de ces nobles qui portent des chapeaux: il avoit pris naissance parmi le peuple, et étoit un de ceux qu'on appelle octapodes; c'est-à-dire, qu'il ne possédoit que deux boeufs et un char; jamais il ne retourna dans sa patrie; il mourut dans Athènes, et peu de temps après sa mort, on le mit au rang des héros ; les Athéniens lui offrent encore des sacrifices sous le nom du médecin étranger: tel est en effet le nom qu'on lui donne depuis son apothéose. La raison de ce nom et celle du culte qu'on rend à Toxaris, et le motif pour lequel il passe pour un des descendans d'Esculape, méritent de vous être rapportés. Vous saurez par-là que ce n'est pas un usage particulier à la nation des Scythes de donner l'immortalité à des hommes, et d'envoyer des ambassadeurs à Zalmoxis; (1) mais que les

(1) Législateur de Scythes, auquel ils sacrifioient un vieillard tous les ans,

Athéniens, au sein même de la Grèce, ont aussi le droit de faire un dieu d'un Scythe.

Lors de cette grande peste (1) qui ravagea l'Attique, la femme d'Architèle, sénateur de l'Aréopage, crut voir Toxaris, qui, se présentant devant elle, lui ordonnoit de dire aux Athéniens, qu'ils seroient délivrés de la contagion, s'ils arrosoient de vin toutes les rues de la ville (2). Les Athéniens ne négligèrent point cet avis, et le remède fréquemment employé fit cesser la peste qui les désoloit; soit que l'odeur du vin dissipât les exhalaisons funestes, soit qu'il ait quelque autre vertu que le héros Toxaris, qui étoit aussi médecin, connoissoit et qu'il avoit en vue. On lui paie encore aujourd'hui la récompense de ce grand bienfait, et tous les ans on immole un cheval blanc sur son tombeau, situé dans l'endroit ou Dimainète crut avoir vu ce héros s'avancer vers elle et lui donner l'ordre de répandre du vin. Ce tombeau fut reconnu pour être celui de Toxaris à une inscription à moitié effacée, et sur-tout à la colonne sur laquelle étoit. sculpté un Scythe vêtu d'une longue robe,

(1) Pendant la guerre du Péloponnèse.

(2) ΣTEVWTO's, ne signifie pas rue, mais cul-de-sac. Nous n'avons pas voulu risquer ce mot, qui déshonore la langue françoise. Il est bon pour l'intelligence de cet endroit, de remarquer que la principale porte des maisons étoit dans un enfoncement, que les Athéniens appelloient sevaros ou ser; ainsi Toxaris ordonnoit par-là de répandre du vin devant toutes les portes.

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