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cation. Celui-ci, par exemple, Pertusum dolium, qui fe dit ordinairement d'un indifcret & d'un prodigue, fe dira auffi très-bien d'une mémoire qui ne retient rien, & d'un ingrat. Erafme y joint encore l'avare, & c'eft mal-à-propos, felon moi: en vain donne-t-il pour raifon que la paffion de l'avare '. eft infațiable, nunquam expletur; en ce cas, le proverbe feroit applicable à toutes les paffions, puifqu'il n'en eft aucune qui dife, c'eft affez. Loin qu'il puiffe fe dire de l'avare, il répugne à l'idée que le mot avare réveille fur le champ dans l'efprit: cette idée, comme on fait, eft celle d'un homme qui amaffe inceffamment, & ne lâche jamais rien.

L'ironie communique au proverbe une nouvelle grace, en le faifant prendre à contre-fens; comme fi, en parlant d'un menteur, on difoit: Soyez attentif, voici la réponse de l'oracle; Audi è tripode dicta.

Le changement d'un mot dans un proverbe le rend applicable à des objets tout différens de celui pour lequel il a été fait. Dans celui-ci : Hoftium munera non munera, (qui en grec présente un jeu de mots agréable,) on peut fubftituer à hoftium, le mot pauperum, ou adulatorum, ou poetarum; parce que les préfens d'un pauvre, d'un flatteur & d'un poëte, étant intéreffés, ils ceffent d'être de véri– tables préfens. Ce proverbe, ainfi détourné, n'est plus qu'une allufion dont la forme proverbiale plaît fur-tout à ceux qui fe le rappellent.

On trouvera peut-être que je me fuis trop étendu fur la nature du Proverbe: mais perfonne, que je fache, n'en ayant rien dit dans notre langue, j'ai cru devoir un peu approfondir cette matière. Voyons maintenant fi ce genre de connoiffance eft indigne de toute eftime.

- Pour remettre les Proverbes en honneur, s'il fuffifoit de citer les jugemens que. plufieurs écrivains de marque ont portés en leur faveur, ma tâche ne feroit pas difficile, & leur caufe feroit bientôt gagnée. Cardan dit que la fageffe & la prudence de chaque nation confifte en fes proverbes. Selon Senecé, quoi qu'on dise contre les proverbes, que certains efprits, qui fe prétendent fupérieurs, veulent renvoyer au bas peuple, il eft hors de doute qu'ils renferment la quinteffence de la raifon & du bon-fens; & que c'est par un confentement univerfel de tous les âges & de toutes les nations, qu'ils ont tranfinis le dépôt qui leur a été confié, à tout ce qu'il y a eu de peuples les plus polis depuis le berceau du monde.

De toutes les sciences, dit Erasme, il n'en eft peut-être pas de plus ancienne que celle des proverbes. Ils étoient comme autant de fymboles, qui renfermoient presque toute la philofophie des premiers âges. Les oracles des philofophes, dans ces tems reculés, étoient-ils autre chofe que des proverbes? On avoit pour eux tant de refpect, qu'ils

fembloient, non pas fortis de la bouche d'un mor→ tel, mais defcendus du ciel. C'eft ce que dit expreffément Juvenal, en parlant du proverbe Connois-toi toi-même. Auffi les voyoit-on partout infcrits au frontispice des temples, & gravés fur des colonnes, comme dignes de partager, en quelque forte, l'immortalité avec les Dieux dont ils paroiffoient l'ouvrage.

Ces éloges, tout grands qu'ils font, n'ont rien d'exagéré; & il eft aifé de les juftifier en faifant connoître l'utilité de la fcience des proverbes, & l'étude qu'en ont fait les Anciens & les Modernes.

Erafme dit que les proverbes font utiles à la philofophie & à l'art de perfuader, qu'ils contribuent à l'ornement du langage, & que la connoiffance en eft indifpenfable pour l'intelligence des meilleurs auteurs. Il eft vrai qu'il parle des proverbes grecs & latins: mais quand cet avantage ne feróit particulier qu'à eux, il tourneroit toujours à la gloire des proverbes en général; on verra bientôt que ce que cet écrivain attribue aux proverbes des anciens, n'eft pas entièrement étranger aux nôtres.

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Sans entrer dans le détail des fecours que la philofophie a reçus de la fcience des proverbes je me contenterai d'indiquer, par le témoignage de deux auteurs non récufables, le rapport qui exiftoit autrefois entre l'une & l'autre. Si l'on en

croit Ariftote, les proverbes ne font autre chofe que les débris de l'ancienne philofophie, qui avoit été détruite par les funeftes révolutions des chofes humaines. Ces particules précieufes, qui furvécurent au corps dont elles furent heureufement détachées, durent leur falut à la petiteffe de leur volume & à l'élégance de leur forme. Loin donc que les anciens proverbes ne méritent tout au plus que le coup-d'oeil dédaigneux du défœuvrement, on leur doit une attention d'autant plus réfléchie, qu'ils recelent comme des étincelles de cette fageffe antique, beaucoup plus clairvoyante dans la recherche de la vérité, que ne furent les philofophes des âges poftérieurs (1).

Plutarque compare les proverbes aux mystères de la religion, dans la célébration defquels les objets les plus faints & les plus relevés, font figurés par des cérémonies, en apparence minutieuses & prefque ridicules. Car ajoute-t-il, fous le voile

(1) Ariftoteles apud Synefium exiftimat nihil aliud effe. paræmias, quàm reliquias prifca illius philofophiæ, maximis rerum humanarum cladibus extinétæ, eafque fervatas effe partim ob compendium 'brevitatemque, partim ob feftivitatem ac leporem: ideòque non fegniter nec ofcitanter, fed preffiùs ac penitiùs infpiciendas. Subeffe enim velut igniculos quofdam vetuftæ fapientiæ, quæ in perveftiganda veritate multò fuerit perfpicacior, quàm pofteriores philofophi fuerint. Er. Adag.

» de ces mots fi concis eft caché le germe de la » morale, que les princes de la philofophie ont dé»veloppée dans tant de volumes ». Peut-on donner une plus haute idée des proverbes, que de les faire fervir d'afyle & de refuge à la morale, cette partie de la philofophie, la feule néceffaire au bonheur de l'homme, & que l'homme auroit entièrement perdue fans eux (1)? Ceux qui leur accordent ces éloges, philofophes eux-mêmes, & philofophes très-éclairés, fentoient mieux que perfonne, l'importance de leurs bienfaits. Après des témoignages fi authentiques, on ne peut donc s'empêcher de reconnoître que les proverbes ont été très - utiles à la philofophie.

L'éloquence ne leur eft pas moins redevable pour

(1) Ici l'homme eft confidéré comme guidé feulement par le flambeau de la raison, & non par celui de l'Evangile. On obfervera de plus, que le Héros de ce livre divin fembloit penfer, fur les proverbes, à - peu - près comme les philofophes payens. Il n'a pas dédaigné de s'exprimer plus d'une fois proverbialement, en développant aux Juifs cette morale pure & fainte, dont il pouvoit bien être l'apôtre, puisqu'il étoit le modele le plus accompli de toutes les vertus. Faire cet honneur aux proverbes, n'étoit-ce pas reconnoître leur liaison avec la morale, & qu'ils en avoient été les dépofitaires fideles, & feuls capables de la conferver dans un tems où la pratique en étoit devenue fi rare parmi les hommes ?

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