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roit pas sa maison en sûreté, fi l'on négligeoit cet ufage. Ailleurs les gens de la campagne vont, la nuit de ce jour, avec des torches de paille allumées, parcourir les arbres de leurs jardins, & les apoftrophant les uns après les autres, ils les menacent, s'ils ne portent du fruit cette année, de les couper & de les brûler. Cette pratique paroît venir des payens, qui, au mois de Février, couroient les nuits avec des flambeaux allumés pour fe purifier & procurer le repos aux mânes de leurs parens & de leurs amis. Peutêtre auffi faifoit-on la même chose, avant le retour du printems, pour purger les arbres des chenilles, dont les œufs commencent à éclore aux premières chaleurs, fans cette précaution, qui infenfiblement aura dégénéré en fuperftition.

214. La gourmandife tue plus de gens que l'épée. Ce proverbe, que l'expérience juftifie tous les jours, nous vient du latin: Gula plures occidit quàm gladius. Beaucoup de gens aifés trouvent la mort dans ce qui, pris modérément, prolongeroit leur vie, & c'eft à table qu'ils reçoivent le germe des maladies qui les enlevent. Le payfan, qui ne mange què des chofes communes, eft forcé de s'arrêter quand il eft raffafié, parce que l'appétit, feul affaifonnement de fa nourriture groffière, étant fatisfait,

celle-ci n'a plus rien qui l'excite à paffer les bornes: au lieu que le riche, qui mange presque toujours fans faim, fupplée à ce défaut par un appétit perfide que l'art homicide d'un cuifinier lui fabrique à grands frais, & qui, loin de fe régler fur le befoin de la nature, femble croître & s'aiguiser à mefure que l'eftomac fe remplit.

215. Les gros poiffons mangent les petits; c'eftà-dire, les puiffans oppriment les foibles. Oppien prétend que ce proverbe eft vrai au propre comme au figuré, & que ce qui refpire fous l'eau eft foumis à la loi du plus fort, dont le foible devient la pâture, parmi les poiffons de la même efpece. Si cela eft, la gent aquatique partage feule ce privilege avec l'homme. Les autres animaux respectent ordinairement leur efpece, &, comme on dit, les loups ne fe mangent pas.... Notre proverbe étoit connu des Grecs. Dans Polybe, vivre en poisson, fignifie ne connoître de loi que celle du plus fort.

216. Peu & bon. C'eft la devife des tables où regne la délicateffe fans profufion. Nos pères ignoroient cette manière de régaler leurs amis. Leur table étoit chargée de viandes de toute efpece, accumulées dans le même plat; ce qui faifoit un mê

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lange peu appétiffant. L'abondance des viandes étoit auffi la manie des anciens: ils aimoient les pieces tremblantes, mais elles étoient d'un autre volume que les nôtres. Athénée dit, après Hérodote, que chez les Perfes, les riches fe faifoient fervir, au jour anniversaire de leur naiffance, un bœuf, un âne, un cheval & un chameau entiers, cuits devant le feu & plus fouvent au four. De-là le proverbe, folidos è clibano boves, (fous-entendu præbere,) pour défigner une table où la profufion l'emporte fur le goût & l'élégance, barbarica copia. A ces cadavres énormes, fi propres à faire le repas d'une compagnie de loups, Erafine préféroit avec raifon un perdreau bien gras & cuit à point: ici du moins on éprouve, au lieu de nausées, l'aiguillon de l'appétit, & l'estomac reçoit avec plaifir un aliment dont le volume eft proportionné à fa capacité.

217. A grands feigneurs peu de paroles; pour dire, qu'il faut leur expliquer en peu de mots ce qu'on a à leur faire entendre. Les grands, & en général les maîtres, ne font pas moins laconiques à l'égard de leurs inférieurs & de ceux qui les fervent. C'est la pensée d'un proverbe grec, dont voici la traduction: Omnis herus fervo monofyllabum, at fupplicare longum. Qui commande à bientôt fait:

quand un maître a parlé, il ne refte qu'à obéir. Un monofyllabe fuffit pour manifefter une volonté qui fait loi:

Sic volo, fic jubeo, fit pro ratione voluntas.

Le rôle d'un fuppliant est tout différent. Que de mots il faut dire pour en obtenir un feul! Encore n'ofe-t-on fatiguer les oreilles de la divinité dont on réclame la bienfaifance. On s'adreffe aux heureux diftributeurs de fes graces; & fouvent, pour prix de toutes les peines qu'on s'eft données pour réaliser ses espérances, on apprend qu'on n'a plus rien à espérer.

Erafme observe que les feigneurs ménagent les fyllabes, non-feulement quand ils parlent à leurs domestiques, mais encore lorfqu'ils les nomment. Dans l'antiquité, les efclaves n'avoient qu'un nom, & très-court; Epicure appeloit le fien Mus. Chez nous, ces noms ne paffent guère deux fyllabes; & c'eft bien affez pour des hommes qui, dans l'ordre focial, ne font que des cirons imperceptibles. Il n'en eft pas de même de leurs maîtres. Ces dieux de la terre font des êtres trop confidérables pour fe défigner par un chétif diffyllabe, & leurs noms doivent être l'image de leur grandeur. Auffi en portoient-ils autrefois de très-longs; Ariobarzane, Megalodore, Nabuchodonofor, & dans Plaute, Po lypyrgopolinice, &c. Les noms modernes n'ont pas

cette mesure; c'est un défaut auquel on a remédié en les multipliant. Un feigneur, peu content de fon nom de famille, le fait escorter, à la moindre occafion, des noms de tous les endroits qui lui appartiennent on n'omet pas le plus petit fief; & cette litanie eft toujours terminée par un &c., qui femble dire, qu'on n'eft pas encore au bout, mais qu'on ne veut point aller plus loin, dans la crainte de fatiguer le lecteur. Cette vanité ridicule eft prefque un acte de modeftie, fi on la compare à ce qui fe pratique en Espagne. Là, tout le monde prétend être noble, & le prouver par une fuite de noms, dont les élémens combinés fuffiroient pour la compofition d'un difcours. Le plaifant de la chofe, c'eft que cette manie regne jufques dans la claffe des pauvres. Tel qui mendie fon pain, en auroit à donner, s'il avoit, en revenu journalier, autant de nos patards, qu'il eft chargé de noms.

218. A battre faut l'amour, c'est-à-dire, les mauvais traitemens font ceffer l'amour. Ce proverbe eft, dit-on, démenti par les femmes de Ruffie: battues par leurs maris, elles les en aiment bien davantage (1). Malheur à un M. Robert qui s'aviseroit

(1) Experientia teftatur fœminas Mofcoviticas verberibus plecari. Drex. de jejunio. Lib. 1. cap. 2.

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