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385. Renvoyer un homme aux calendes grecques, A Rome, on appeloit calendes le premier jour de chaque mois. Ce jour-là, les ufuriers exigeoient le remboursement de l'argent qu'ils avoient prêté à un gros intérêt; & c'eft de-là que le livre où ils enregistroient leurs débiteurs s'appeloit calendrier. Comme les Grecs ne comptoient pas les jours par calendes, on a dit, renvoyer un homme aux calendes grecques, pour dire, le remettre à un tems qui ne viendra pas. Ce proverbe, ufité chez les Romains, étoit familier à Augufte qui, parlant d'un homme infolvable, difoit qu'il paieroit aux calendes grecques..... Les anciens, pour dire qu'une chofe n'arriveroit jamais, difoient encore qu'elle arriveroit quand la mule auroit mis bas, quum mula pepererit. Les Picards difent, quand les poules auront des dents.

386. Mettre quelqu'un au rang des péchés oubliés, pour dire, ne s'en plus foucier, n'y plus fonger. Corneille a dit dans fa Veuve:

On a beau nous aimer: des pleurs font tôt féchés,
Et les morts foudain mis au rang des vieux péchés.

Souvent on n'attend point la mort, pour
pour oublier
la perfonne qu'on aimoit le plus, Les anciens ap-
peloient pannum undique lacerum, un homme dont
on ne tient plus de compte. Cette métaphore est
Mat. Sénon,

Cc

tirée des vêtemens, qui plaisent quand ils font neufs, & qu'on jette lorfqu'ils font ufés. Il en eft, dit Erafme, qui traitent leurs amis comme leurs vêtemens. Tant qu'on trouve de mife un ami, & qu'on en tire du profit, on le careffe, on le choie, on s'en fait honneur. Devient-il vieux, ou ceffe-t-il d'être utile? on le néglige, on le met au rebut (1). C'est ce que le peuple appelle chez nous, laiffer quelqu'un comme un paquet de vieux linge.

387. Mentir comme un arracheur de dents. Cette expreffion vient de ce que les dentiftes affurent avant l'opération, qu'elle ne fera point douloureuse. Les anciens difoient, mentir comme un poëte. Les favoris d'Apollon font ordinairement complimenteurs, & les complimens font rarement vrais. Le chevalier de Cailly a fait cette épigramme fur un avo

cat menteur :

Ne vous fiez nullement

A cet avocat célebre.

Je vous affure qu'il ment
Plus ferré qu'un compliment,
Et qu'une oraifon funebre.

(1) Sic quidam amicis utuntur, uti veftibus. Dum ufui fent ac vigent, amplectuntur, curant, oftentant fimul atque vel ætate defecti funt, vel alioquin utiles effe defierunt, negligunt ac rejiciunt.

L'oraifon funebre, aujourd'hui fi fufpecte de menfonge, n'étoit d'abord que le cri de l'admiration, ou l'expreffion d'une jufte reconnoiffance. L'orateur qui prononça la première, ne dut être que l'écho de la voix publique: tel fut celui qui, ouvrant en France cette carrière de l'éloquence facrée, loua en chaire & au nom de la nation, le fameux Bertrand du Guefclin (1). Le discours fut fi touchant, que tout l'auditoire pleura. Les vers fuivans qu'on fit à ce fujet, ont une naïveté qui caractérise la langue du XIV. fiecle.

Les princes fondirent en larmes,
Des mots que l'évêque montroit.
Car il difoit: « Pleurez, gens d'armes,
» Bertrand qui tretous vous aimoit.
» On doit regretter les faits d'armes

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(1) L'oraifon funebre de ce grand capitaine fut prononcée à Saint-Denys, pendant la messe d'enterrement, par Ferry Caffinel, évêque d'Auxerre, qui officioit.

(2) A l'occafion de l'oraison funebre de Du Guefclin comparée à celles qu'on fait de nos jours, je placerai ici quelques réflexions, qui n'ayant aucun rapport avec le fujet principal du texte, ne peuvent y être inférées.... Le menfonge eft incompatible avec une langue naïve comme les mœurs du peuple qui la parle. La naïveté eft le par

383. Boire en ane, c'eft, felon le Dictionnaire des proverbes, laiffer une partie du vin dans fon verre. Cette expreffion ne devoit pas être ufitée du tems de Montagne; car l'acte qu'elle défigne étoit commandé par la bienféance. « Les petits

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tage de tout ce qui eft dans l'enfance; & malheureusement ce caractère précieux s'affoiblit & s'efface avec les années. C'est ce qu'éprouvent les mœurs publiques, & par contrecoup le langage qui en eft toujours l'expreffion. La dégradation de celles-là néceffite le déguisement; & la langue, qui avance vers la perfection,, à mesure que les mours s'éloignent de leur fimplicité primitive, perd en même proportion cette aimable franchise qui faifoit pardonner fa rudeffe. Ce n'eft qu'à cette époque qu'on a pu dire, mentir comme une oraifon funebre. Le penchant pour le menfonge eft alors fi général, fi violent, que, fous le pinceau des écrivains mêmes qui n'ont aucun intérêt de flatter, les chofes que les couleurs fimples & nobles de la vérité feroient aimer, font ridiculement exagérées & transformées en autant de caricatures: de manière que, par une réunion monftrueufe des deux extrêmes, on ne fauroit plus dire la vérité fans mentir. C'est à ce défaut qu'il faut attribuer en partie la fatiété qu'on éprouve bientôt en lifant le panégyrique de Trajan. Transportons Piine au fiecle des Fabricius & des Cincinnatus, & fuppofons que dans la langue de ces héros, il eût fait l'éloge de l'un d'eux, cet éloge eût été plus fatisfaifant, quoique plus groffier, parce que la naïveté des mœurs & de la langue du

« verres, dit ce philofophe, font les miens favo-«ris: & me plaift de les vuider, ce que d'autres << évitent comme chofe mal féante ». La même chofe que nos pères ne pouvoient fe permettre fans fronder l'ufage, on la fait aujourd'hui pour s'y conformer. Pourquoi le code de la civilité at-il changé à cet égard? Autrefois on buvoit beaucoup; & comme la vertu ne perd jamais l'eftime de ceux qui la pratiquent le moins, lors même que l'on renonçoit à la tempérance, on croyoit conserver fon image, en laiffant au fond du verre une partie de la boiffon. Dans la fuite, la paffion du vin ceffant de fouiller les moeurs publiques, l'on crut pouvoir, fans commettre fa réputation, avaler tout ce qui étoit dans le verre. L'ufage en a

tems auroit contenu l'orateur dans les bornes de la vérité. Eoileau a donc ou raifon de dire;

Rien n'eft beau que le vrai, le vrai seul est aimable.

Ce n'eft pas que la vérité n'admette une certaine parure; mais il y a un choix à faire dans fes ornemens, & jamais on ne le fit mieux que dans les fiecles d'Augufte & de Louis XIV. Aujourd'hui le fard la déguife, l'excès la dénature: & le bon efprit préférera fans balancer le vêtement ruftique mais fait à fa taille, que lui donnent Joinville & Amyot, & les fleurs des champs dont ils la parent, à tout ce clinquant, plaqué fans goût fur la robe où l'enfachent quel ques fripiers littéraires, fans avoir pris fa mesure.

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