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» depuis qu'on boit? il paroît naturel qu'on boive » du vin pour fa propre fanté, mais non pas pour » la fanté d'un autre...... Le propino des Grecs,

adopté par les Romains, ne fignifioit pas, je » bois afin que vous vous portiez bien, mais, je » bois avant vous pour que vous buviez, je vous » invite à boire.... Dans la joie d'un feftin, on bu» voit pour célébrer fa maîtreffe, & non pas » pour qu'elle eût une bonne fanté. Les Anglois, » qui fe font piqués de renouveller plufieurs cou»tumes de l'antiquité, boivent à l'honneur des » dames; c'eft ce qu'ils appellent tofter, & c'eft

parmi eux un grand fujet de difpute, fi une » femme eft toftable ou non (1).... On buvoit » à Rome pour les victoires d'Augufte, pour le » retour de fa fanté. Vous lifez dans Horace :

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Longas ô utinam, dux bone, ferias
Præftes hefperia: dicimus integro
Sicci mane die, dicimus uvidi,
Quum fol oceano fubeft.

Seul tu fais les beaux jours: que tes jours foient fans fin.

(1) Cet ufage a fait naître en Angleterre une expreffion proverbiale. Pour défigner une belle perfonne, on 'dit que c'est une des premières Toftes de l'Angleterre ; & pour caractériser une beauté furannée, on la nomme une Tofte de rebut. Le verbe tofter en anglois fignifie rôtir, & vient de l'ancien ufage de boire avec une rôtie au fond du verre.

C'eft

C'est ce que nous difons en revoyant l'aurore,
Ce qu'en nos douces nuits nous redifons encore,
Entre les bras du dieu du vin.

» C'eft de-là probablement que vint, parmi nos >> nations barbares, l'ufage de boire à la fanté de » fes convives: ufage abfurde, puifque vous vide »riez quatre bouteilles fans leur faire le moindre » bien »..

Il n'est pas étonnant qu'un écrivain, qui fronde tous les ufages, montre de l'humeur contre celuici. Mais le fujet valoit-il la peine de tant s'échauf fer la bile? Quand je bois à la fanté de quelqu'un, mon intention n'eft pas que la liqueur qui va def cendre dans mes entrailles, rafraîchiffe les fiennes ; c'est tout bonnement un vœu que je forme je forme pour fa fanté; vœu d'autant plus vrai, que je le forme à table & le verre en main. Où eft l'abfurdité de cette action?

Notre expreffion, je bois à votre fanté, répond à celle des Romains, tibi propino Ce verbe, formé du grec, fignifie proprement, boire avant quelqu'un, comme pour lui donner l'exemple & l'inviter à faire enfuite de même. Chez les Grecs, à la fin du repas, on apportoit fur la table une grande coupe pleine de vin. Un des convives la prenoit en main, & après y avoir bu, il la présentoit à fon voifin, qui faifoit de même. La coupe paffoit ainfi à la ronde. Cette cérémonie, inftituée par l'a Mat. Sénon.

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mitié dont elle refferroit les noeuds, s'appeloit philotefia, c'eft-à-dire, propinatio poft cœnam, in fignum amicitia: la coupe étoit nommée philotefius

crater.

Les Allemands, dit Erafme, font encore la même chose. Quelque mauvais traitement qu'un homme ait reçu, il eft tenu de tout oublier, quand il a pris des mains de fon ennemi la coupe de réconciliation: cet acte lui enleve jusqu'au droit de le poursuivre en juftice, & les juges ne recevroient pas fa plainte.

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Du tems d'Erafme, on obfervoit le même usage dans fa patrie: mais la crainte de la lepre, maladie contagieufe & fort commune alors, commençoit à le faire tomber. Il est vraisemblable qu'il a été auffi en vigueur en France, & que pour la même cause (1), on l'a remplacé par celui de choquer les verres les uns contre les autres. Cette dernière cérémonie, quand la franchise & la cor

(1) Louis VIII, par fon testament fait en 1225, legue cent fous à chacune des deux mille léproferies de fon royaume. Les Chrétiens, pour fruit de leurs croisades, ne remportèrent enfin que la lepre. Il falloit que le peu d'ufagè du linge, & la malpropreté du peuple euffent bien augmenté le nombre des lépreux. Ce nom de léproferies n'étoit pas donné indifféremment aux autres hôpitaux: car on voit par le même teftament, que le roi legue cent livres de compte à deux cens hôtels-Dieu. Volt.

dialité préfident à un repas, opère le même effet que la précédente, pour laquelle il eft quelquefois pardonnable d'avoir de la répugnance. Le malheur eft qu'aujourd'hui elle tombe auffi en défuétude. Chez les grands & leurs finges, en bien plus grand nombre qu'eux , on ne connoît plus l'ufage de trinquer (1), ni même celui de porter les fantés. A leur table, on boit quand on le peut, & toujours en filence. Quelques bourgeois fuivent juf qu'à l'entremêt cette étiquette: mais à l'arrivée du vin de liqueur, les fronts fe dérident, & une honnête familiarité prend la place de la contrainte. l'Amphitrion de la fête fait pétiller le Champagne dans le crystal, & les convives portent les fantés de madame & de monfieur, au bruit des verres qui fe raffemblent & fe choquent les uns les autres. Voilà la feule relique qui nous refte de la propination des anciens. C'eft la dernière trace (2) que la nature ait laiffée dans nos repas, qu'elle a quitfe retirer au fond de nos campagnes. Là, pour une famille nombreuse couronne une table ronde, dont la furface peut à peine porter un pain massif

tés

(1) De l'allemand trinken, qui fignifie boire.

(2) On en trouve pourtant encore quelques-unes dans les proverbes, comme celui-ci : Ne boira-t-on jamais dans votre verre? c'est-à-dire, Ne me donnerez-vous jamais à manger?

& noir, & un grand plat de gros légumes. A côté du père de famille eft une cruche au large ventre. Il la prend, falue d'un figne de tête la compagne de fa couche, & la lui donne après avoir bu. La femme boit à fon tour, ainsi que toute la famille, jufqu'au plus petit marmot, qui de fes deux foibles mains embraffe étroitement l'embouchure du vafe, que la mère tient & fouleve, en fixant un doux regard fur ce dernier fruit de l'amour conjugal. :

. Non teftea ceffat

Amphora perque manus per & ora calentia ferri,
Optatos fundens refupina in guttura fluflus.

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