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Qui mal dit, mal lui foit rendu.

Jean Regnier, feigneur de Guerchy & Bailli d'Auxerre, a compofé, vers 1520, des ballades où du Verdier ne trouve de bon que quelques pro verbes qui leur fervent de refrain, comme:

Mais nul ne peut contre fortune.
Faute d'argent fait bailler gaige.
Maintefois cognoiffance nuit.
Il a bien chaffé qui a pris.
Vérité ne fe doit celer.

Tel chante qui au cœur foupire.
Il vainq tout qui a patience.
Envié eft qui a chevance.

Un jour de refpit cent fols vault.
Bonne parole bon lieu tient.

Avant ce gentilhomme poëte, Villón avoit fuivi plus d'une fois cet ufage de fermer les ftrophes par un proverbe. J'en tirerai trois exemples de fon Grand teftament. Après avoir rimé le mot fameux d'un corfaire à Alexandre, il fait ajouter à ce pi

rate:

Excufe-moi aucunement;

Et fcaches qu'en grand' povreté
(Ce mot dit-on communément).
Ne gift pas trop grand' loyauté.

Ce proverbe finit une ftrophe, & le fuivant une

autre :

Néceffité fait gens mesprendre,

Et faim faillir le loup du boys.

Une troisième eft ainfi terminée :

Car) de la panse vient la danfe.

Rabelais eft celui qui prodigua le plus les prover bes; & c'est peut-être lui qui en dégoûta la nation. La trempe de fon efprit, fon ftyle mordant & cauftique, le ton burlesque qu'il prit pour jetter du ridicule fur les objets de fes fatyres, en répandit jusques fur les proverbes; & il faut convenir que les fiens ne font pas tous, à beaucoup près, trèshonnêtes ni très-nobles. Cependant la langue s'épura: Henri Etienne & Nicod eurent beau recueillir les proverbes comme une portion de fon tréfor, ils furent infenfiblement exclus des fujets graves & férieux. Relégués dans la conversation, s'ils ofent encore se montrer en littérature, ce n'eft que dans le gente familier & léger, comme les épigrammes & les lettres; (encore ici ne cite-t-on guère que les proverbes étrangers.) Thalie veut bien auffi les regarder comme partie de fon domaine; mais elle ne les admet pas tous indiftinctement. Dans le Menteur de Corneille, Cliton dit à Dorante :

Et le jeu, comme on dit, n'en vaut pas la chandelle.

Voltaire exclut ce proverbe de la haute comé die, & vu l'état des choses, Voltaire a raison. Car il ne faut pas croire que j'aie la folle prétention de rendre à nos proverbes, le droit qu'ils avoient d'entrer dans tous nos ouvrages de littérature: ils

font prefque tous incompatibles avec le génie actuel de notre langue. Je dis feulement que leur exclufion de tout genre férieux & relevé, eft pour elle une richeffe de moins, & ne juftifie pas notre mépris pour tout ce qui s'appelle Proverbe.

La connoiffance des proverbes anciens eft certainement nécessaire, non-feulement à celui qui veut lire avec fruit les bons auteurs grecs & latins, mais encore à ceux qui écrivent, soit dans la dernière langue, foit dans la nôtre. Combien de proverbes anciens dont on peut faire une application ingénieuse, même en françois! Quant aux nôtres, fi la connoiffance en eft à-peu-près inutile pour lire nos pieces légères, & même nos vieux auteurs du moins conviendra-t-on qu'elle peut fervir à ceux qui s'exercent dans les genres où l'on veut bien encore les fouffrir.

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Ne rougiffons donc pas d'imiter tant de grands hommes parmi les Anciens, qui ont fait des proverbes l'objet de leurs recherches. Ariftote connoiffoit trop bien le prix du tems, pour le perdre à des jeux d'enfant; & puifqu'au rapport de Diogene de Laërte, il a compofé un volume fur les proverbes, il faut bien que cette matière ne foit pas dépourvue de tout intérêt. Chryfippe a écrit deux livres fur le même fujet, que Cléanthe a auffi traité. Les petits commentaires de Démosthène parlent des proverbes de Théophrafte. On a, fous le nom

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de Plutarque, un recueil de quelques proverbes
mais fans explication. Athénée cite parmi les paré-
miographes, Ariftide & Cléarque difciple d'Ariftote.
Didyme & Tharrée ont couru la même carrière, &
leurs travaux ont été abrégés par Zénodote. Erafie,
toujours ennemi de ces épitomes, regrette encore
ici la perte de tant d'originaux ineftimables. Si nous
les poffédions, dit-il dans l'amertume de fon ame,
je n'aurois pas été réduit à compulfer les maigres
recueils de ces écrivains petits & inexacts, qui ont
anéanti leurs bienfaiteurs en les dépouillant.
> Ces compilateurs, dont le nom feul allume la bile
d'Erafme, font, comme je l'ai dit, Zénobius, Dio-
génien, Suidas, &c. Il fait encore moins de cas
d'Apoftolius. Cet écrivain, né à Conftantinople dans
le xve, fiecle, avoit fous le titre d'Iovia, (Violier),
compofé un recueil d'apophtegmes, de proverbes
& autres chofes utiles, comme nous l'apprenons
d'Ariftobule fon fils, dans une préfacé grecque, au
devant de la Galeomyomachie. C'eft de ce recueil
qu'ont été tirés les proverbes d'Apoftolius, dont
la plus ample & meilleure édition parut in-4°
grecque-latine, à Leyde, 1619. Erasme, né en
1467 à Rotterdam, a pu voir ce Violier. Si on
l'en croit, la plupart des proverbes d'Apoftolius
font tirés de la lie du peuple. Il en cite rarement
fans ajouter ce jugement, fapit facem : & à l'oc-
cafion du proverbe 2266, il témoigne quelque

crainte qu'Apoftolius ne l'ait encore tiré, non des auteurs anciens, mais de fes compagnons de bouteille (1). Je fuis fâché qu'Erafme, dont l'ame étoit fi belle & l'érudition fi vafte, ait lancé un trait fi peu louable, & que l'envie ou l'humeur. femble lui avoir mis en main. Quand Apoftolius n'auroit fait que reffusciter dans fa nation le goût des proverbes, ce fervice qu'il rendoit aux lettres devoit faire abfoudre les fautes de fon Violier qui, après tout, n'étoit pas fans mérite, fi on en juge par l'extrait qui nous en refte.

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Polydore Virgile a fait auffi un recueil d'Adages ou de Proverbes. L'abbé Ladvocat place fa mort à l'an 1555, & dit qu'avant lui aucun des modernes n'avoit encore traité ce fujet. Erafine étant mort en

1536, il n'eft pas vraisemblable que fes proverbes foient poftérieurs à ceux de Polydore Virgile. D'ailleurs, une preuve que ceux de ce dernier n'exiftoient pas, quand Erafme recueillit les fiens, c'eft qu'il ne cite nulle part Polydore Virgile, au lieu qu'il parle fouvent d'Apoftolius. L'auteur grec paroît donc avoir, le premier des modernes, écrit fur les proverbes anciens, Erafme a prefqu'en même tems marché fur fes traces; & Polydore Virgile ne peut guère revendiquer que la troifième place.

(1) Nonnihil vereor, ne & hoc Apoftolius hauferit non ex autoribus prifcis, fed è fuis combibonibus.

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