1 Tranquillas etiam naufragus horret aquas, qui préfente la même penfée que notre Proverbe, Chat échaudé craint l'eau froide. Il faut raifonner de même par rapport à l'Apophtegme, ou, dit notable de quelque perfonne illuftre. La femme de Céfar ne doit pas même être foupçonnée, eft un mot plein de fens qu'on peut appliquer dans l'occafion; mais il n'a pas été d'un usage affez commun pour devenir Proverbe. Au contraire, le mot rapporté par Plutarque: Qui femetipfum non habet, Samum petit, « Il ne peut dif» poser de lui-même, & il demande Samos » eft à la fois Apophtegme & Proverbe. Appliqué d'abord aux Athéniens qui, livrant leur ville aux vainqueurs, demandèrent qu'on leur laifsât au moins Samos, il paffa enfuite à ceux qui font des demandes abfurdes ou qui négligent les chofes les plus importantes pour s'occuper de bagatelles. Le Proverbe, d'après la définition d'Erafme renferme deux qualités effentielles, que cet auteur appelle celebritas & novitas. Ces deux termes, plus aifés à entendre qu'à traduire littéralement, répondent à-peu-près à ce que nous entendons par fréquent ufage, (que j'appellerai célébrité,) & par intérêt en littérrature. Quelles font les caufes de la célébrité des Pro verbes? c'est-à-dire, comment un mot, une expreffion ont-ils pu paffer de bouche en bouche, & par-là s'éternifer fous le nom de Proverbe ? Sans doute il feroit très-curieux de connoître quels ont été les auteurs de tous les Proverbes ; comment tant de Sentences, de Dictons ou de fimples expreffions ont acquis cette vogue univerfelle, qui les a introduits dans le langage habituel du peuple même. Mais cette connoiffance étant impoffible, contentons-nous, pour le préfent, de rechercher les fources générales des Proverbes. Pour ne parler d'abord que de ceux de notre langue, il est bable que beaucoup d'entr'eux doivent leur naiffance à nos vieux poëtes; & ce qui m'induit à le croire, c'eft que la plupart de ces Proverbes font rimés. Des perfonnes recommandables par le rang, par l'âge, par le favoir ou l'expérience, peuvent en avoir inventé d'autres ceux qui les ont entendus, frappés de la jufteffe de la penfée & de la nouveauté de l'expreffion, les auront répétés dans la même occafion; & cette fréquente & continuelle répétition aura enfin donné à ces dits le caractère proverbial. pro Il y a plus je ne crois pas que tant de dictons, aujourd'hui abandonnés aux carrefours par les gens honnêtes, foient tous nés dans la fange où ils croupiffent. Les peuples qui doivent aux lettres la politeffe qui les diftingue, étoient avant elles auffi fimples, auffi groffiers que ceux chez (1) Parmi les occupations domeftiques, communes aux femmes de tous les rangs, celles qui confiftoient à manier l'aiguille & le fufeau, finirent chez les grands par avoir la religion pour objet. Telle princeffe, dont les aïeules avoient travaillé leurs propres vêtemens ne Si, dans ces premiers fiecles de la monarchie, les grands étoient fi peu diftingués du peuple pour la vie commune, il eft à croire qu'ils n'en différoient pas plus du côté du langage. Cela pofé, pourquoi tel Proverbe, qu'on rougiroit aujourd'hui de citer dans une fociété honnête, auroit-il été exclus de celle des grands? Il eft même vraisemblable que plufieurs de ces dictons, fi méprifés maintenant, font nés au milieu de la Cour, ou dans la maifon de quelque puiffant feigneur. Autrefois on ignoroit l'art de creufer une pensée: cette féchereffe d'idées étoit plus propre à enfanter des proverbes, que la ftérile fécondité de nos jours (1). On en tint plus l'aiguille que pour broder les ornemens d'églife. Il y a peu de facrifties confidérables, qui n'aient quelques chafubles brodées par des mains royales; & notre dernière Reine, la digne fille de Stanislas le Bienfaifant, confacroit fes momens de loifir à cette noble & pieufe occupation. (1) La même caufe, à laquelle j'attribue une partie de nos proverbes, est, felon moi, ce qui les foutient aujourd'hui. Ils font journellement dans la bouche du peuple. Il n'en fait ufage que parce que fon efprit, en quelque forte trop matériel pour réfléchir fur les objets abftraits & fpirituels, refte comme enchaîné aux premiers principes, & faifit à peine les conféquences qui en résultent prochainement. Effayez de raifonner avec un homme fans étude; il ne vous répondra que par des axiômes triviaux penfoit plus jufte: l'efprit ne, confidérant un objet que fous fes principales faces, n'étoit pas diftrait par une foule d'idées fecondaires & parafites, qui, fruit d'une imagination déréglée par une méditation trop profonde, nous cachent trop fouvent la vérité. Auffi la faififfoit-on plus sûrement: on parloit peu, & l'on s'exprimoit par des fentences courtes, & toujours empreintes du fceau de la vérité. Ces fentences, recueillies par ceux qui les entendoient, acquéroient de la célébrité en raison du rang, de l'expérience, de l'âge de la perfonne qui les avoit produites. Telles font, je crois, les causes d'un bon nombre de proverbes françois. Nous en reconnoîtrons de moins générales parmi les fources qu'Erafme affigne à ceux des Anciens, & qui font: ou par des proverbes. C'est ce qu'on remarque tous les jours dans le commerage des femmes du peuple. Loin d'approfondir l'objet dont elles s'entretiennent, elles ne l'effleurent pas même, & leur efprit inculte & groffier ne fait que ramper autour de fa fuperficie. La plupart de nos proverbes doivent leur confervation à cette pénurie d'idées. Exclus de prefque tous les genres de littérature, employés très-rarement dans les cercles des gens inftruits, ils fe perdroient bientôt, fi le peuple avoit l'habitude & le tems de réfléchir, & qu'il pût les remplacer. par des penfées tirées des entrailles des chofes qui font le fujet de fes entretiens. |