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Mais ils fe font tus, & leur filence prouve leur ignorance fur cet objet. Cependant parce qu'eux & peut-être leurs contemporains, ne le connoiffoient pas, faudroit-il en conclure qu'il n'exiftoit pas alors ?

L'hiftoire de TIMOUR,écrite par lui-même, porte des marques certaines qu'il ne travailloit que pour fa postérité. En effet la prudence & la politique lui défendoient de la publier pendant fa vie. Car, outre le détail exact & circonftancié de tous les événemens de fon régne, tels qu'ils fe trouvent dans les autres Auteurs, il vous montre encore ce que lui feul pouvoit montrer les raifons & les caufes fecrettes qui ont influé sur sa conduite, dans fes différentes opérations politiques & militaires, la manière dont il gouvernoit fes peuples, & la force qu'il employoit dans fes conquêtes. Il avoue franchement fes foibleffes, reconnoît fes fautes, décrit les embarras dans lefquels elles le jettèrent, & avec quelle adroite politique il s'en tira. En un mot c'est un miroir fidèle de fa tête & de fon cœur. Et, quoiqu'après tout cet Ouvrage faffe honneur à l'une &

& à l'autre, cependant il n'étoit pas fait pour paffer, pendant la vie de l'Auteur, entre les mains de fes fujets ou de fes ennemis; il leur auroit fervi à le combattre avec fes propres armes ; c'est-à-dire, à tourner les Manœuvres & la Politique de Timour contre lui-même. Voilà donc une raifon très-fimple de fuppofer que cet Ecrit a du refter ignoré, tant qu'a vécu fon Auteur. Comme il n'en existɔit, fans doute, qu'une feule Copie, & qu'on ignore entre quelles mains elle tomba pendant les troubles qui furvinrent dans fa famille, à la mort de Chahrokh, fils & fecond fucceffeur de Timour on ne doit pas s'étonner qu'il ait femblé quelque-temps plongé dans l'obfcurité.

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Aboutaleb-al-Hoffeini dans la Dédicace de fa Traduction au Sultan El-A'dil, nous apprend que, dans la Bibliothèque de Jafir Gouverneur d'Yémen, il trouva un MS. Turc ou Mogol; à l'infpection, il jugea que c'étoit l'Hiftoire de TIMOUR, écrite par lui-même, contenant fa vie & fes actions, depuis l'âge de fept ans, jufqu'à foixante

quatorze, &c. &c. Alors Aboutaleb com

mence la Traduction de cette Histoire, qui

contient auffi les INSTITUTS.

des

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On fera peut-être étonné de voir que le Tra ducteur ait dit fi peu de chofes pour prouver l'authenticité de fon texte ; cela paroît affez étrange. Mais voici, je crois, les feules conféquences qu'on peut en tirer. C'eft qu'il regardoit cet ouvrage,comme portant en lui-même preuves fuffifantes de fon authenticité, ou qu'alors elle étoit fi bien reconnue que perfonne n'en doutoit ; quant à moi, je regarde cette inattention d'Aboutaleb comme une excellente preuve, pour ne pas dire la plus forte, en faveur de la Vie & des INSTITUTS DE TIMour.

Un Critique Européen m'objectera peutêtre qu'Aboutaleb a pu écrire lui-même cet Ouvrage en Perfan, & le donner comme une Traduction d'après l'Auteur Conqué

rant.

Je regarde cela comme impoffible. Les Auteurs en Orient ne vendoient point leurs Ouvrages aux Libraires, ni ne les publioient par Soufcription; ainfi leur fuccès ne dét

pendoit point des applaudiffemens, de la générofité ou de la crédulité du Public. Ils étoient foutenus par des Princes qui récompenfoient leurs travaux, à proportion du mérite de leurs productions. C'est pourquoi, si Aboutaleb eût été capable de composer un pareil Ouvrage, jamais il ne fe feroit rendu coupable d'un fi dangereux & fi ftupide artifice, qui n'auroit fervi qu'à diminuer fa gloire & fon profit. En effet, quel que foir le mérite du Traducteur d'un excellent Original, il s'en faut bien qu'on lui doive les mêmes éloges & les mêmes récompenfes qu'à l'Auteur. Si celui-ci eût eu le talent de compofer la VIE & LES INSTITUTS DE Timour tels qu'ils font, il auroit employé la troifiéme perfonne, au-lieu de la première, (il n'étoit pas néceffaire de faire d'autre changement ) & il se feroit annoncé pour F'Auteur de la première & de la meilleure Histoire de TIMOUR (1), ce qui lui auroit valu dix fois plus de gain & de gloire.

(1) En effet quand même on parviendroit à nous prouver la fuppofition des INSTITUTS de Timour, on

Le même raifonnement peut fervir à prou ver que la Copie Turque n'a pu être écrite par aucun autre Auteur Mogol, que celui auquel elle eft attribuée; c'est-à-dire, par TIMOUR même.

La noble fimplicité de la diction, l'égoïsme naturel qui régne dans le cours des INSTITUTS & de l'HISTOIRE de TIMOUR, font à-la-fois le cachet de leur originalité & de leur antiquité. Les Orientaux, depuis quelques fiécles ont adopté une manière toute différente. Leurs meilleures Hiftoires font remplies de fleurs poétiques & d'hyperboles fi nombreuses & fi fréquentes, qu'un grand infolio, dépouillé de ces inutilités, fe rédui

roit à un mince in-8°.

Le feul Ouvrage dans lequel j'aye remar qué quelque reffemblance avec la VIE & les INSTITUTS de TIMOUR, c'eft l'Hiftoire ou les Commentaires du Sultan Babour, écrits par lui-même. Ce Prince defcendoit de Timour

ne pourra difconvenir que c'eft la meilleure Hiftoire de ce Conquérant qui nous foit encore parvenue, & que les idées & les mœurs des Orientaux s'y trou vent peintes d'une manière vraiment piquante.

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