Imágenes de páginas
PDF
EPUB

rapports de cet objet avec tout ce qui peut lui être comparé, une proposition unique n'aura pu lui suffire; il lui aura fallu autant de propositions que de jugemens, puisqu'il a dû former autant de jugemens que de rapports.

Mais si les propositions se multiplient, au gré des jugemens, comment, dans leur énonciation successive, imiter et conserver cette unité que la pensée la plus vaste ne perd point, tant qu'elle demeure cachée au fond de ce laboratoire impénétrable?

Le mot que les Latins appellaient, verbum, nous a appris, en confondant ensemble, le sujet et la qualité, comment, à force d'art, l'énonciation d'un sim. ple jugement, pouvait, ainsi que cette opération de l'esprit, être une et simple, avec l'apparence d'une énonciation successive. Pourquoi donc, pour lier entre eux, de simples jugemens, comme ils sont liés dans l'esprit, n'eût-on pas fait un essai de plus ? Et c'est cet essai que firent nos pères, quand, après avoir formé des mots, en liant des consonnes par des voyelles, et formé le jugement, en liant, par le moyen du verbe, des mots entre eux; pourquoi, dis-je, avec la conjonction, n'auraient-ils pas lié les jugemens eux-mêmes, et construit ainsi des phrases et des périodes ?

Cette liaison s'opéra, comme s'étaient opérées toutes les autres; et c'est ainsi que tout fut lien dans le langage, comme tout est lien dans l'intelligence, depuis la simple voyelle, qui est le verbe des con

sonnes, jusqu'à la période, dont tous les membres ont leur verbe, ou leur voyelle, ou leur mot-lien, leur mot conjonctif, ou leur conjonction.

Il pouvait n'y avoir qu'une voyelle, comme nous avons enseigné qu'il n'y a qu'un verbe unique. Nous pourrions donc enseigner qu'il n'y a qu'une seule conjonction; que tous les mots qui en portent le nom, ou sont les synonymes de cette conjonction, ou ne sont conjonctifs que par elle et à cause d'elle, comme tous les verbes ne sont tels que par leur union avec le verbe unique.

Heureux privilège des MOTS LIENS dans le langage! La pensée, à l'aide de ce moyen magique, sort toute entière, et à la fois, et comme par un seul signe, et d'un seul jet, de l'esprit qui l'a conçue, à la manière de l'image qui passe à travers la glace, à l'instant même où le modèle lui est présenté. Ce sont les mots-liens qui, tels que des teintes perdues, fondent, dans le tableau de la pensée, les diverses couleurs, pour que tout paraisse formé par une empreinte unique, dans son énonciation, comme tout est lié et un dans sa génération.

On le voit bien : tout est donc liaison dans le langage, parce que tout est un dans la pensée. Comme la pensée est une opération simple et insusceptible de composition, tant qu'elle reste intérieure et cachée dans l'esprit où elle se conçoit et s'engendre, tout

doit être, également, autant qu'il est possible, sim-` ` ple et insusceptible de composition et de décomposition, dans son énonciation et dans sa manisfestation.

Cependant, il n'en est pas ainsi ; et l'on n'exprime la pensée que successivement, et par des signes détachés, les uns des autres ; de sorte qu'on dirait, si on jugeait de la nature de la pensée par les moyens qu'on emploie pour la faire connaître, qu'elle est composée de divers élémens, qui, comme autant de parties détachées, les unes des autres, sont susceptibles de composition et de décomposition.

Que fait-on pour réparer le vice de cette sorte dé manifestation successive? On lie, entre eux, tous ces signes divers, comme on attache, ensemble, pour monter au haut d'une tour, plusieurs échelles, pour n'en former qu'une seule et même échelle. Et ces signes, ainsi liés, forment un ensemble, un et simple, comme la pensée, elle-même.

Qu'on imagine que les cordes qui attachent chaque échelle à une autre, sont, ce que nous appelons dans le langage, des conjonctions; qu'on imagine encore que chaque échelle est un jugement énoncé par une proposition; qu'on imagine, enfin, que toutes ces petites échelles, liées ensemble, et ne formant qu'une grande et seule échelle, est la phrase composée ou la période, et on aura la véritable

idée

idée de ce travail formé dans l'esprit, quand il s'arrête sur un objet, et qu'il le considère, sous ses rapports principaux.

Ainsi, comme des cordes qui lient les échelles, ne sont pas des échelles, de même les conjonctions ne sont pas des jugemens, ni des élémens de jugement. Des cordes sont comptées pour rien, pour le but qu'on se propose, en formant une grande échelle, de plusieurs petites échelles. Elles n'ajoutent rien à la longueur de la grande échelle, elles ne fournissent pas un échelon de plus. De même, les conjonctions ne fournissent pas une iaée de plus, dans le langage; mais on s'en sert pour confondre, ensemble, tellement, les idées, qu'elles se groupentin ou de l'idée principale, comme les petites échelles se répassent à la plus grande, et servent à la rendre propre à atteindre au but proposé.

Nous avons dit que tout est lien dans le langage, et nous avons distingué les differentes sortes de liens.

1o. Les voyelles, qui forment les mots.

2°. Le verbe, qui forme la proposition.

3o. La conjonction, qui forme la phrase et la pé

riode.

Débats. Tome II.

G g

Ainsi, la conjonction est le lien le plus fort; car elle attache, ensemble, les jugemens formés dans l'esprit, et mis sous les yeux de l'esprit des autres, au moyen de la proposition.

Le verbe est le lien le plus important, puisque, sans le verbe, il n'y aurait pas de jugement.

A

La voyelle est un moyen, absolument, nécessaire, puisque, dans elle, ou sans un équivalent quelconque, comme dans la langue hébraïque, il n'y aurait pas de mot.

A proprement parler, il ne peut y avoir plus d'une conjonction essentielle, comme il ne peut y avoir qu'un seul verbe, puisque la nature de la conjonction, comme celle du verbe, est de lier. Mais de même qu'on a composé plusieurs verbes avec un seul, en le réunissant à des mots, qui, de leur nature, ne l'eussent jamais été; de même, on a composé plusieurs sortes de conjonctions avec la conjonction véritable, en la réunissant à des adverbes ou à d'autres mots, qui, sans elle, n'eussent jamais été des conjonctions.

Cette doctrine sur la conjonction sera nouvelle, sans doute, pour quelques lecteurs. Je ne l'avais trou vée dans aucun Traité de Grammaire, quand un grammairien (1) l'imaginait, ou plutôt, la décou

(1) LEMARE, auteur du Panorama des verbes français.

« AnteriorContinuar »