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LE PROFESSEUR. Citoyen, il y a deux manières de considérer les verbes auxiliaires; d'une manière matérielle, et d'une manière logique. Condillac pour lequel vous savez que j'ai infiniment de respect, pense qu'on doit les considérer seulement d'une manière matérielle, et Dumarsais d'une manière logique. Je crois qu'il faut les considérer matériellement et logiquement; materiellement pour les tems. Le verbe avoir et le verbe être et les autres auxiliaires ne sont pour la plupart que des signes de tems, mais il est plus raisonnable de les considérer d'une manière logique; et quoique vous pensiez que le verbe avoir étant l'expression du passé et dépouillé de sa signification, j'espère vous montrer qu'il n'en est pas dépouillé; et qu'on n'emploie le verbe avoir que parce que réellement on a été en possession de la qualité dont on parle ; et que ce verbe exprime cette possession, en exprimant l'existence, au tems passé; qu'il n'y a pas à proprement parler, de verbes auxiliaires; qu'ils conservent tous leur force primitive, et qu'ils ne s'en dépouillent jamais ; qu'ils sont à cet égard comme les verbes auxiliaires anglais. Il est vrai que je ne bornerai pas les verbes auxiliaires à deux seulement, comme l'avaient fait presque tous les grammairiens ; je ferai voir qu'il y en a au moins quatre et même davantage. Car il y a les verbes avoir, être, aller, venir, devoir, qui sont véritablement auxiliaires; s'il est vrai qu'il y en ait. On dit je DOIS faire telle chose, je VAIS faire telle chose, etc.

Deville. Pour répondre à mon collègue, il me

semble qu'il a oublié que Condillac dit que le verbe auxiliaire est lui même un substantif ou un objet d'action, et que le verbe être a la même signification, soit qu'il soit auxiliaire soit qu'il ne le soit pas ; Condillac le dit en termes exprès, mon collègue l'a oublié sans doute.

Butet. Je sais bien que Condillac a dit que le verbe avoir était auxiliaire de l'action, et que le verbe être était auxiliaire de l'état; c'est là véritablement son expression mais je dis que le verbe avoir, quand il est auxiliaire de l'action, perd sa signification première; et quand le verbe être est joint à quelque verbe pour exprimer l'état, je dis qu'alors le verbe être en quelque sorte se dépouille de sa significa tion, et n'exprime que le tems.

Perrier. Citoyen Professeur, je pense que mes collègues qui viennent de vous présenter leurs doutes sur les verbes au iliaires, ne vous ayant rien dit de nouveau pour appuyer leur opinion, votre réponse reste dans toute sa force et doit paraître victorieuse à tous ceux qui comme moi l'ont écoutée sans préjugés.

Je voudrais vous proposer quelques doutes sur la marche analytique des opérations de l'ame présentée analogiquement avec les opérations de l'esprit, ou plutôt avec les opérations du corps vous avez mis, citoyen, dans différens tableaux l'expression. penser, ( je crois que ce ne sera qu'une dispute de mots), vous l'avez mis comme second échelon

des

des opérations de l'esprit. Je trouve sur un tableau de MASSIEU, imprimé par ordre de la convention, une série des opérations du corps, qui me paraît devoir être la marche essentielle des opérations de l'esprit : deux fois voir c'est regarder, deux fois regarder c'est fixer, deux fois fixer c'est considérer, deux fois considérer c'est pénétrer, deux fois pénétrer c'est examiner, et enfin deux fois examiner c'est comparer; d'où suit naturellement le jugement.

Si c'est là la marche de l'homme physique, si l'homme tenant un corps quelconque, commence par le voir, ensuite le regarder, ensuite le fixer, le considérer, et enfin l'examiner, il me semble que ce sont autant d'opérations intermédiaires, qui paraissent repousser de la seconde place, ou du second échelon le mot penser; car la même analogie me paraît aussi devoir se trouver dans les facultés intellectuelles..

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LE PROFESSEUR. Citoyen, je croyais avoir prévenu ces doutes-là, quand j'ai dit que le mot penser était ce qu'on appelle l'opération la plus éminente de l'homme, qu'il enveloppait à-peu-près toutes les autres opérations ; que, par conséquent, quand on par lait de ce mot penser, on pouvait le considérer ou comme étant la seconde opération de l'esprit., ou, par convention, comme renfermant toutes les opérations de l'esprit. Je vous ai dit aussi ( et, à ce propos; je dois vous rappeler la comparaison que j'ai faite) que le mot Epos signifie récit, qu'on pourrait, absolument parlant, appeler poëme épique, la simple, fable ; mais on a réservé le mot du genre à l'espèce la plus Débats. Tome II.

D

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noble du genre. Ainsi, comme la pensée ou l'action de penser est la fonction la plus noble de l'entendement humain, on a pu convenir qu'on se servirait de ce mot-là pour exprimer la collection entière de toutes les opérations de l'entendement humain. Quand on veut ensuite analyser, on rapporte ce mot à sa véritable espèce, on le considère tantôt comme espèce et tantôt comme genre, tantôt comme expression individuelle; alors c'est une simple vue de l'esprit. Je m'arrête à cette simple vue, je pense; c'est alors le premier échelon de l'entendement ensuite lorsque je médite sur un objet, lorsque je réfléchis sur un sujet, lorsque je compare, je pense encore.

La collection entière de ces diverses opérations forme l'ENTENDEMENT; c'est le mot dont mon collègue GARAT a fait choix, quand il a voulu donner un nom à l'objet important de son cours, aux Ecoles Normales. Un autre aurait pu l'appeller cours de MÉTAPHYSIQUE; un autre aurait pu dire : la science de L'ESPRIT, ESSAI SUR LES OPÉRATIONS DE L'AME ESSAI SUR L'AME, ESSAI SUR L'ENTENDEMENT HUMAIN. Il y avait tant de titres à donner à une pareille matière, qu'il ne pouvait y avoir que l'embarras du choix.

Il me suffit de vous dire et de vous rappeller, citoyens, que comme toutes les opérations de l'œil physique ne sont que la première plus ou moins prononcée, que comme le PÉNÉTRER n'est que le VOIR porté au plus haut degré, toutes les opérations de l'esprit, comme la réflexion et la méditation, ne sont

également que la simple IDÉE portée aussi au plus haut degré.

On me reprochera peut-être des redites continuelles sur cette matière. Mais, citoyens, on doit observer que c'est ici entre nous des entretiens familiers où je dois répondre à tout ce que vous prenez la peine de me demander; et où je dois supposer que dès que je suis encore interrogé sur quelque objet déjà traité, les explications que j'ai données ne sont pas suffisantes.

Perrier. Citoyen, en vous remerciant de l'explication que vous m'avez donnée, je vous demanderai de m'en donner une autre sur le mot vouloir. Massieu a mis dans le tableau voyant, comme la plus simple des opérations de l'œil du corps; idéer, comme la plus simple, la première et même involontaire de l'ail intellectuel; vouloir, comme l'opération la plus simple de l'œil du cœur: cependant vous avez dit en passant, que le vouloir supposait de la réflexion, que l'on voulait ce que l'on croyait convenable à son être, et cette supposition m'a frappé singulièrement; cependant si le vouloir suppose une première opéra. tion, celle de croire, il s'ensuit que le vouloir ne sera pas aussi involontaire, aussi simple, dis-je, que l'idéer et que le voir. Je vous prierai de concilier ces deux idées.

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LE PROFESSEUR. Lé citoyen Perrier me demande encore l'explication du mot vouloir, qu'il ne trouve pas aussi simple que les autres définitions déjà don

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