Imágenes de páginas
PDF
EPUB

par le jeûne, la priere, l'humilité & la pauvreté, & lui confeilla d'aller à un monaftere. Le jeune Simeon entra dans un monaftere voisin, où il demeura deux ans. Mais le défir d'une vie plus parfaite, le fit aller Philoth. c. 4. à Thelede, bourgade fituée au pied du mont Coryphe, entre Berée & Antioche. Il y avoit là deux monafteres, dont l'un étoit gouverné par Heliodore & compofé de quatre-vingt moines. Simeon y demeura dix ans, & furpaffa en aufterité tous les confreres car au lieu qu'ils mangeoient de deux jours l'un, il ne mangeoit que deux fois la semaine; & quoique les fuperieurs l'en repriffent, comme d'une défobéïffance, ils ne pouvoient le perfuader.

Un jour il prit une corde à puits faite de palmier, tres rude, même pour les mains, & s'en entoura le corps depuis la ceinture, en haut, enforte qu'elle lui entra dans la chair : l'aïant ainfi portée plus de dix jours, on s'en apperçût enfin à l'odeur & au fang qui en dégoutoit. On la lui ôta à peine, & le voïant fi exceffif dans fes mortifications, on le fit fortir du monaftere. Ilfe retira dans le plus défert de la mon. tagne, & defcendit dans une citerne feiche, où il continuoit à louer Dieu. Au bout de cinq jours, les fuperieurs du monaftere fe repentirent de l'avoir chaffé, ils l'envoïerent chercher, on le trouva, & on le retira avec une corde. Peu de tems aprés, il s'en alla à Thelaniffe, bourgade fituée au pied d'une montagne près d'Antioche. Il y trouva une petite loge, où il s'enferma pendant trois ans.

Alors il voulut imiter le jeûne de Moïfe & d'Elie, & paffer quarante jours fans manger. L'abbé Baffus étoit fuperieur d'un monaftere voifin, & avoit

l'inspection des prêtres de la campagne. Simeon le pria de murer fa porte avec de la terre, fans lui rien laiffer dans fa cellule. Baffus lui dit : Que fe donner la mort n'étoit pas une vertu, mais le plus grand de tous les crimes. Simeon lui dit : Mon pere, mettezlà dix pains & un vafe plein d'eau: fi j'ai besoin de nourriture j'en prendrai. Ainfi fut fait. Au bout des quarante jours, Baffus revint : il ôta la terre dont la porte étoit bouchée, & étant entré, il trouva tous Îes pains en leur entier, le vafe encore plein d'eau, & Simeon profterné fans voix, fans mouvement, fans refpiration. Il demanda une éponge, dont il lui humecta la bouche, & lui donna les divins myfteres. En étant fortifié, il fe leva & prit un peu de nourriture, c'est-à-dire, des laituës, de la chicorée & des herbes femblables, qu'il mâchoit & avaloit peu à peu. Baffus ravi de joïe retourna à fon monaftere, compofé de plus de deux cens moines, & leur raconta cette merveille. Depuis ce tems, Simeon continua de jeûner ainfi tous les ans quarante jours de fuite, & il avoit déja paffé vingt-huit ans de la forte, quand Theodoret l'écrivoit. Il demeuroit de bout les premiers jours, enfuite il s'affeïoit continuant de prier, puis il demeuroit étendu & demi

mort.

Après avoir paffé trois ans dans cette cellule près de Thelaniffe, il monta au haut de la montagne, & fit faire une enceinte de murailles, dans laquelle il s'enferma, aïant une chaîne de fer de vingt coudées de long, attachée par un bout à une groffe pierre, & par l'autre à fon pied droit; afin que quand il eût voulu, il ne pût fortir de cette efpace. Là il

Vuu iij

VIII

colomne.

s'occupoit à la méditation des chofes celeftes. Melece alors corévêque d'Antioche, lui confcilla d'ôter cette chaîne, lui reprefentant que la volonté fuffifoit, pour tenir le corps par des liens raisonnables. Simeon fe rendit & fit venir un forgeron, qui détacha la chaîne. Ce Melece femble être le même, qui fut depuis évêque de Mopfueste, ami particulier de Theodoret.

La réputation de Simeon fe repandant de tous côtez, on venoit à lui, non seulement du voisinage, mais de plufieurs journées de chemin. On lui amenoit des paralytiques, on le prioit de guerir diverfes maladies, ou d'obtenir la fecondité aux perfonnes fteriles. Ceux qui avoient reçû ce qu'ils demandoient, s'en retournoient avec joïe, & publioient fes bien-faits : ce qui en attiroit encore un plus grand nombre. Toutes fortes de nations y venoient en foule, des Ifmaëlites, des Perfes, des Armeniens, des Iberiens, des Omerites & des Arabes plus reculez. On y venoit des extrêmitez d'Occident, d'Italie, de Gaule, d'Espagne, de la grande Bretagne. Sa reputation s'étendoit jufques aux Ethiopiens & aux Scythes errans. A Rome elle étoit fi grande, que les artifans avoient mis de petites images du faint à l'entrée de toutes les boutiques, pour attirer fa protection. Theodoret témoigne l'avoir oüi

dire.

Simeon se sentoit importuné de cette foule inS. Simeon fur la nombrable, qui s'empreffoit autour de lui pour le toucher, & tirer quelque benediction des peaux dont il étoit vêtu. Il lui paroiffoit impertinent de fouffrir ces honneurs exceflifs & penible d'être toû

jours ainfi preffé; c'eft ce qui le fit aviser de fe tenir de bout fur une colomne. Il en fit faire une d'abord de fix coudées; puis de douze, puis de vingtdeux, & enfin de trente-fix; & de là lui vint le nom de Stylite car Stylé en grec fignifie une colomne. Plufieurs blâmerent une maniere de vie fi extraordinaire, & quelques-uns s'en moquoient; mais Theodoret croïoit, que c'étoit l'effet d'une providence particuliere de Dieu, pour frapper les hommes d'un tel spectacle ; & les miracles que Simeon fit devant & après, donnent bien fujet de le

croire.

Les moines du defert lui envoïerent demander, Evagr. I. hift.c.13 quelle étoit cette maniere de vie fi étrange: lui ordonnant de la quitter, & de fuivre le chemin battu de leurs peres. Ils avoient dit à leur envoïé : S'il obéit volontiers, laiffez-le vivre à fa maniere, s'il resiste & se montre esclave de fa propre volonté, tirez-le de la colomne par force. L'envoïé étant arrivé, & aïant déclaré à Simeon l'ordre des peres, aufsi-tôt il avança un pied pour descendre. `L’envoïé lui dit de demeurer & de prendre courage, & que fon état venoit de Dieu. Les moines d'Egypte fcandalifez aufli de cette nouveauté, lui envoïerent Theod, let. II. p. dénoncer l'excommunication. Mais étant mieux sés. informez de fon mérite, ils rentrerent dans fa communion. Domnus évêque d'Antioche le vint voir, admira fa maniere de vie, & lui donna les facre

mens.

Depuis que Simeon fut fur la colomne, il con

vertit un grand nombre d'infideles, d'lberiens, Theod. p. 885+

p. 885.

I X. Occupations de

S. Simeon.

d'Armeniens, de Perses, & particulierement d'A rabes Ifmaëlites. Ils venoient le voir en grandes troupes de deux ou trois cens, quelquefois de mille; renonçoient à haute voix aux erreurs de leurs ancêtres, particulierement au culte de Venus, & brifoient leurs idoles en fa prefence; ils recevoient le baptême, & apprenoient de fa bouche les loix fuivant lefquelles ils devoient vivre Theodoret en parle, comme témoin oculaire, & penfa une fois être écrasé par ces barbares, qui par ordre du saint s'empreffoient à recevoir fa benediction. Il rend auffi témoignage, que Simeon avoit le don de prophetie, qu'il prédit deux ans devant une secheresse & une famine, & une autre fois une grande multitude de chenilles.

Son occupation ordinaire étoit la priere: tantôt de bout tantôt incliné, & il s'inclinoit si bas, qu'il p. 887. touchoit du front aux doigts de fes pieds: car fes jeûnes continuels lui avoient rendu le ventre creux. Il faifoit des inclinations fi frequentes, qu'on en compta une fois jusqu'à douze cens quarante-quatre. Aux grandes folemnitez, il paffoit les nuits debout les mains étendues. Après avoir prié toute la nuit & tout le jour jufqu'à none, il commençoit à inftruire les affittans; puis il écoutoit leurs demandes, gueriffoit des malades, & terminoit des differends. Vers le coucher du foleil, il recommençoit

p. 888.

prier. Il ne mangeoit qu'une fois la femaine, & point du tout pendant le carême. Les femmes n'entroient point dans l'enceinte de fa colomne: il ne permit pas même la fa mere de le voir; mais érant

morte

« AnteriorContinuar »