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l'amour, & qu'elle est plus à la portée des Spectateurs, que toute autre : c'eft auffi fur cette paffion que Moliere a fait rouler fon action, son intrigue, & fon dénou

ment.

Mais l'amour devenu le principal mobile de cette Piéce, entraînoit de nouvelles difficultés. Une Scéne d'amour bien filée; une autre Scéne de jaloufie fuivie d'une réconciliation; une intrigue bien foutenue, & un dénoument imprévû, n'auroient pas été convenables. Les Scènes tendres, quoiqu'écrites avec la plus grande précision, auroient refroidi celles des Fâcheux, & celles-ci à leur tour auroient détourné du motif de la Piéce, l'attention du Spectateur. Ce n'eft pas tout; fi telle avoit été la dif pofition de la Fable, cette difpofition eût été vicieuse par rap

port à la Piéce, & l'Auteur eût été embarraffé à lui donner un ti

tre.

par

par

Il n'y avoit donc qu'un feul parti à prendre, en traitant un pareil fujet, je veux dire le ti qu'a pris Moliere. Guidé fon génie, il a traité l'intrigue avec précision, & en des momens différens;il a refferré l'action,il en a rapproché les parties, pour lui donner plus de feu, & la terminer d'une maniere qui fatisfît également, & les Acteurs, & les Spectateurs.

Voilà par quelle raifon on peut donner à jufte titre les Fâcheux pour un parfait modéle de la Comédie de Scénes détachées. Si perfonne jufqu'ici n'a rien tenté de femblable, c'eft l'effet d'une prudence qui mérite des éloges. On a fenti la difficulté, & on n'a pas voulu s'expofer au rif

que prefque inévitable d'échouer. Moliere a réuffi, j'en conviens; mais s'il a furmonté tous les obftacles qui pouvoient l'arrêter, il en eft uniquement redevable à la fineffe de fon génie, à la jufteffe de fon difcernement, & à la parfaite intelligence qu'il avoit de l'Art Dramatique qualités qui fe trouvent fi rarement réunies dans un même fujet, & qui font cependant fi néceffaires pour produire des Ouvrages excellens.

ARTICLE SIXIE'ME.

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De la Critique des mœurs.

Ien n'eft plus difficile, ni plus délicat, & par conféquent rien n'exige plus de précaution de la part du Poëte, que de s'engager à corriger les mœurs, en les critiquant. Plaute qui n'eut

de fon tems d'autre objet en vûe, fait cependant de la plupart de fes Pièces une école plus propre à infpirer le vice qu'à le corriger : il n'y a point de jeune homme, pour peu qu'il foit porté au libertinage, qui n'y apprenne tous les moiens de tromper un pere, ou de féduire une fille ; & point de valet qui n'y trouve des leçons pour voler fon maître, fervir fes amours, & corrompre la vertu. Les Modernes, au lieu de fuivre une route différente, comme ils y étoient infiniment plus obligés, n'ont pas toujours été plus exacts, ou plus fcrupuleux dans leurs Comédies; les jeunes perfonnes y peuvent apprendre toutes les rufes imaginables pour mener une intrigue d'amour ; & . les femmes s'y inftruisent à conduire contre toutes les régles du devoir, les filles confiées à leurs

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foins, & quelquefois même à les confeiller aux dépens de la vertu. Je ne difconviens pas que comme il y a dans l'un & dans l'autre fexe des maîtres, dont le caractére eft de mettre tout en ufage. pour fatisfaire leurs paffions : il y a auffi des valets naturellementfourbes & fans honneur ; mais je penfe auffi qu'il feroit beaucoup plus fage de les faire rougir les uns & les autres de leurs vices & de les en corriger, que de les y confirmer, en les rendant heureux dans une action theatrale.

On peut dire la même chofe des paffions les plus violentes, & qui conftituent les principaux caractéres des hommes. Combien y a-t'il d'originaux dans le monde, dont les copies n'ont été expofees fur le Théatre, qu'à deffein de corriger ces mêmes originaux, & qui au lieu de profiter

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