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ARTICLE SIXIE'ME.

De l'unité de tems, & de l'unité de lieu.

J

E joins ensemble ces deux unités, parce que l'une naît pour ainfi dire de l'autre. En effet Ariftote ne parle point de l'unité de lieu, parce qu'aïant établi l'unité de tems, il a pensé qu'en obfervant l'une, on ne manqueroit point à l'autre. Il eft aife de concevoir que le Poëte qui donnera à fa Fable l'étendue que les régles & le bon fens lui prefcrivent, obfervera en même tems l'unité de lieu.. Cependant, fi les Anciens, fur ce principe, ne nous avoient parlé que de l'unité de Lieu, fans parler de l'unité de tems, il fe pourroit trouver des Fables: près-défectueuses, quoique les

autres régles y fuffent obfervées parce que l'unité de tems n'est pas néceffairement amenée par l'unité de lieu. Il peut dans un même licu fe paffer une action qui dure plufieurs jours; mais jamais l'unité de tems ne fera gardée lorsqu'on fera paffer l'action de la Fable d'une Province & même d'une Ville à une autre. C'est ce que j'ai traité plus aut long dans ma Differtation fur la Tragédie moderne, & ce que l'on peut voir dans les Obfervations qui ont été faites fur les Tragédies Gréques, que l'on regarde, comme très-défectueuses par rapport aux unités de tems & de lieu. Je me bornerai feulement à dire que les Latins y ont été très-exacts: que les Italiens dans leur bon Theatre n'y ont jamais

*Hiftoire du Théatre Italien, à Paris 3728.

manqué; mais que les François & les Efpagnols ont fait bien des fautes à cet égard. Ces derniérs furtout ont choqué tout à la fois le bon fens & la vraisemblance lorfqu'au commencement d'une Piéce ils ont représenté le principal perfonnage comme un enfant qui ne fait que de naître, & qu'à la fin de la même Piéce, ce même perfonnage eft parvenu à une extréme vieilleffe. Quoiqu'en général,les Poëtes Espagnols n'aient pas eu plus d'égard à l'unité de Heu qu'à l'unité de tems; il eft cependant vrai que quelques-uns d'entr'eux fe font moins écartés des régles & de la vraisemblance; mais il n'eft pas moins vrai auffi que c'est aux Fables Efpagnoles que les François doivent leurs fautes & leurs beautés, puifque ce fut dès le commencement du fiécle paffé, c'est-à-dire vers

l'an 1600. qu'ils commencerent à prendre les Fables Efpagnoles pour modéles. Les exemples que J'ai rapportés dans ma Differtation fur la Tragédie moderne peuvent fervir de preuve à ce que j'avance. Je me contenterai de rappeller ici le trait fingulier qui regarde Claveret, Tragique François. Ce Poëte qui fçavoit apparemment que fes prédéceffeurs avoient été critiqués, pour avoir péché contre l'unité de lieu, prétendit fauver une femblable faute, en mettant ces mots à la tête de fa Tragédie du Ravissement de Proferpine: La Scéne eft au Ciel, en la Sicile, & aux Enfers, où l'imagination du Lecteur fe peut reprefenter une certaine espece d'unité de lieu, les concevant comme une ligne perpendiculaire du Ciel aux Enfers. Les François voulant éviter ces extravagances, tombe

rent dans un autre excès; s'ils obferverent fcrupuleufement l'u nité de lieu, ce fut prefque toujours aux dépens de la vraifemblance *. Enfin Moliere parut, & malgré le mauvais goût du Theatre François, dans lequel il avoit été élevé, il fçut profiter de la licence des premiers, & de la fauffe exactitude des feconds, en confervant & en rectifiant les unités

que les Efpagnols avoient

fi mal entendues.

Si je n'hésite point à dire mon. fentiment, c'eft que je me fens foutenu par les exemples que nous fournit Moliere. J'approuve fort la plus fevere unité du tems, je vais même jusqu'à defirer que l'action ne durât que la moitié du tems preferit par les régles; & je trouverois encore

*Voyez ma Differtation fur la Tragédie moderne.

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