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An. 574

voir, & l'Etat éprouvoit tous les défordres de l'anarchie : fi l'Empe. JUSTIN II. rear paroiffoit en public, il étoit obfédé d'une foule de malheureux qui crioient, justice, justice. Après avoir plufieurs fois affemblé les magiftrats & tous les grands de fa Cour, pour trouver les moyens de remédier à ces excès; après avoir inutilement prodigué les remontrances & les menaces, il établit préfet de la ville un magiftrat intégre, plein de fermeté & de vigueur, qu'il revêtit de toute fon autorité, pour punir les coupables fans diftinction d'état ni de rang: il déclara que les fentences du préfet feroient exécutées fans appel, & que le Souverain ne feroit grace à perfonne. Cette déclaration fi terrible effraya tous les tyrans; hormis un feul qui fe crut au-deffus de toutes les loix. Une pauvre veuve vint fe jetter aux pieds du Préfet, fe plaignant d'un officier général, qui l'avoit dépouillée de tous fes biens. Le Magiftrat par ménagement pour ce feigneur, qui étoit parent du Prince, lui écrivit pour le prier de rendre

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justice, & lui fit présenter fa lettre JUSTIN II. par la perfonne offensée. Pour toute fatisfaction, elle ne reçut que des outrages & de mauvais traitemens. Indigné de cette infulte, le Préfet cite l'accufé devant fon tribunal; celui-ci ne répond que par des railleries & des injures contre le juge & le jugement. Au lieu de comparoître, il va diner au palais, où il étoit invité avec un grand nombre de courtifans. Le Préfet ayant appris qu'il étoit à la table avec le Prince, entre dans la falle du feftin, & adreffant la parole au Prince : Seigneur, lui dit-il, fi vous perfiftez dans la réfolution que vous avez annoncée, de châtier les violences, je continuerai d'exécuter vos ordres mais fi vous renoncez à ce deffein fi digne de vous, s'il faut que les plus méchans des hommes foient honorés de votre faveur & reçus à votre table, acceptez la démission d'une charge inutile à vos fujets, & qui ne peut que vous déplaire. Juftin frappé d'une remontrance fi hardie : Je n'ai point changé, répondit-il, pourfuivez par-tout l'injuftice je vous

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l'abandonne fût-elle affife avec moi fur le trone, j'en defcendrois pour la JUSTIN II. livrer au châtiment. Le Magiftrat armé de cette réponse, fait faifir le coupable au milieu des convives; le traîne au tribunal; écoute la plainte de la veuve; & comme cet homme, auparavant fi fuperbe, alors interdit & tremblant, ne pouvoit alléguer aucun moyen de défenfe, il le fait dépouiller, battre de verges, & promener sur un âne, la face tournée en arriere, par toutes les places de la ville. Ses biens furent faifis au profit de la veuve, & cet exemple arrêta pour quelque temps l'ufurpation & la violence. L'Empereur récompenfa la fermeté du préfet en le créant patrice, & lui affurant fa charge pour tout le temps de fa vie.

Tandis que ce Magiftrat incorruptible veilloit au maintien de la tranquillité publique, l'impératrice Sophie prenoit foin des affaires du gouvernement. Chofroës fe préparoit à rentrer en campagne; elle lui fit porter quarante-cinq mille piéces d'or pour obtenir une trève. Elle

III.

Trève aves

les Perfes

JUSTIN II.

efpéroit profiter de cet intervalle pour faire confentir le roi de Perfe An. 574 un congrès, où l'on pourroit accorder les différends des deux nations, & parvenir à une paix folide & durable. Le patrice Trajan, quefteur du palais, vieillard trèseftimé pour fa prudence, fut employé à cette négociation conjointement avec le médecin Zacharie. Ils étoient chargés d'une lettre de I'Impératrice, qui écrivoit en fon propre nom au roi de Perfe. Elle lui repréfentoit le trifte état de l'Empereur Souvenez-vous, lui difoitelle, que dans la maladie dont vous fûtes autrefois accablé, non contens d'épargner vos frontieres, nous employâmes nos bons offices pour vous procurer la guérifon, en vous envoyant nos médecins les plus habiles. Chofroës crut faire beaucoup pour les Romains , en leur accordant une trève d'un an, qu'il fe faifoit cherement payer.

IV. Tibere eft

Cette fufpenfion d'hoftilités étoit néceffaire à l'Empereur. Son efprit fas, s'affoibliffant de plus en plus, il eut le

nommé Cé

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bonheur de fentir lui-même qu'il étoit hors d'état de foutenir le poids des JUSTIN II. affaires, & qu'il avoit befoin d'un lieutenant. Il regardoit & fes deux freres & fon gendre comme incapables d'une fonction fi importante. Sophie lui confeilla de jetter les yeux fur Tibere. Il étoit de Thrace, homme de fortune, dont la naiffance eft inconnue. Juftin l'avoit élevé auprès de lui dès fon enfance; il le chériffoit comme fon fils, & après l'avoir éprouvé dans les emplois du palais & dans les divers grades du fervice militaire, il le fit commandant de la garde Impériale. La valeur de cet officier, fon zele pour la juftice tempéré par la douceur de fon caractère, fa générofité, fa piété nourrie des maximes du Chriftianif me au milieu d'une cour très-corrompue, lui attiroient l'eftime univerfelle. Tant de qualités étoient encore relevées aux yeux de l'Impératrice par une figure aimable noble & majeftueufe; c'étoit l'homme le mieux fait de l'Empire, & l'on eût dit qu'il étoit né pour comman

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