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JUSTINIEN.
An. 554.

avancer; & courbant enfuite leurs aîles, ils les envelopperent de toutes parts. C'en étoit fait de ces braves téméraires, si le désespoir n'eût enflammé leur courage & rédoublé leur vigueur. Tous par une évolution foudaine font volte-face vers la ville, & ferrés les uns contre les autres, courant au-devant de la mort, ils s'élancent tête baiffée fur les Dolomites, qui cédant à cette furie, leur ouvrent le paffage. Ils rentrent ainfi dans la ville fans autre fuccès, que de s'être tirés du péril où leur bravoure inconfidérée les avoit précipités. Ce pendant les pionniers des Perfes après avoir faigné le foffé pour en faire écouler l'eau, achevoient de le combler. Cet ouvrage occupa long, temps un grand nombre de travailleurs. Ils y jetterent quantité de pier res & de terre; mais il falloit aller chercher bien loin le bois, tant pour les fafcines, que pour la conftruction des béliers & des autres machines; les Romains avant le fiége avoient eu la précaution de mettre le feu à tous les arbres & à tous les bâtimens

des environs, pour priver les enneJUSTINIEN. mis des matériaux, dont ils pourroient faire ufage.

An. 555.

XV. Martin craignoit beaucoup moins Stratagême les efforts des Perfes, que le décou

de Martin.

ragement de fes troupes. Pour entretenir leur confiance, il ufa d'un ftratagême, qui donna en même temps de l'inquiétude aux ennemis. It fit affembler toute l'armée, comme pour délibérer fur l'état préfent des affaires. Pendant qu'il expofoit fon avis fur les mefures qu'il falloit prendre, on voit paroître au milieu de F'affemblée un inconnu, couvert de fueur & de pouffiere, fur un cheval haraflé comme s'il arrivoit d'un long voyage. Il fe difoit envoyé de l'Empereur, & il remit une lettre entre les mains de Martin, qui après F'avoir parcourue des yeux, en fit la lecture à haute voix. L'Empereur lui mandoit, que bien qu'il comptat affez fur la valeur de fes troupes, pour ne pas craindre la fupériorité du nombre des ennemis, toutefois plutôt par furcroît de précaution, que par néceffité, il lui envoyoit une nouvelle armée

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Añ. 555.

auffi forte que celle qu'il avoit déjà. Il finiffoit par exhorter fes foldats à JUSTINIEN. bien faire, leur promettant de fa part tous les fecours qu'ils pouvoient attendre de fa vigilance. Martin ayant demandé au courier, où étoit cette armée, celui-ci répondit, qu'elle étoit déjà fur les bords du fleuve Neocnus, à quatre lieues de Phase. Alors Martin prenant le ton d'un homme en colere, qu'ils fe retirent au plutôt, dit-il brufquement, & qu'ils retournent d'où ils viennent. Je ne fouffrirai pas qu'ils fe joignent à mes troupes. Ne feroit-il pas étrange, qu'elles euffent effuyé tant de fatigues qu'elles euffent couru tant de hazards, & qu'à la veille d'une victoire affurée & decifive, de nouveaux venus, fans avoir partagé les périls, vinffent leur ravir une partie de leur gloire & des récompenfes qu'elles feules ont meritées? Je n'ai besoin que de mes foldats nous fçaurons bien terminer la guerre, fans ces fecours tardijs & fuperflus. A ces mots, fe tournant vers fes troupes, camarades, leur dit-il, n'êtes-vous pas du même avis? Ils ré

pondirent par une acclamation géJUSTINIEN. nérale, & fe retirerent fort contens An. 554 de leur chef, & embrafés d'un nou

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veau courage. Affurés de vaincre, ils n'étoient plus embarraffés que du partage des dépouilles ; c'étoit le fujet de tous leurs entretiens. Ce ftratagême produifit encore un autre effet, qui ne fut pas moins utile: il jetta la crainte dans l'armée des Perfes, où ce faux bruit ne manqua pas de fe répandre: comment après tant de fatigues pourroient-ils réfifter à une nouvelle armée, dont les forces étoient toutes fraîches? Nachoragan fans différer, fit partir un grand corps de cavalerie pour fermer les paffages, & ce fut autant de troupes perdues pour lui. Voulant prévenir l'arrivée du fecours, il forma une nouvelle attaque; & ce préfomptueux général fe vantoit hautement, il juroit même qu'avant la fin du jour, la ville feroit en cendres avec tous ceux qui la défendoient. Il en étoit fi perfuadé, qu'il envoya ordre aux bucherons, qui coupoient du bois dans les foxêts pour le service du camp & du

fiége, d'accourir auffi-tôt qu'ils verroient la fumée s'élever, pour accroî- JUSTINIEN. tre l'embrasement, & prendre leur part du pillage.

An. $54.

XVI.

Nouvelle

Rempli de ces vaines idées, il franchit le foffé, & s'avance au pied attaque. des murs. Une heure auparavant, Juftin qui ne croyoit pas que l'ennemi vînt attaquer la ville ce jour-là, étoit forti par la porte oppofée : pouffé par un de ces mouvemens de dévotion, que la prudence ne guide pas toujours, il alloit vifiter une célebre églife voifine. Dans ce pélérinage il étoit accompagné de fes plus braves fantaffins & de cinq cents cavaliers, bien armés & marchans en bon ordre fous leurs étendarts. Comme la place n'étoit pas inveftie, & que le côté du fleuve reftoit libre les vaiffeaux affemblés fur le Phase ne permettant pas aux ennemis de fe montrer fur les bords, Juftin paffa fans être apperçu des Perfes. La confiance de Nachoragan s'étant communiquée à fes troupes, l'attaque fut vive & opiniâtre. Les décharges de fleches fe fuccédant fans intervalle,

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