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de Latran tenu trois ans après : qui pour y remédier ordonne la tenuë des chapitres generaux tous les trois ans. Mais ce remede a eu peu d'effet ; & depuis ce temps les moines & les chanoines réguliers ont continué de fe relâcher de plus en plus, jufqu'aux dernieres réformes. D'ailleurs les chapitres generaux ont leurs inconvéniens, & la diffipation inféparable des voyages, eft plus grande : & plus ils font grands, plus eft la dépense, qui oblige à faire des impofitions fur les monafteres, fources de plaintes & de murmures. Et quel eft le fruit de ces chapitres ? De nouveaux réglemens & des députations de vifiteurs pour les faire executer; c'eft-à-dire, multiplication de voyages & de dépenfe; & le tout fans grande utilité, comme a fait voir l'experience de quatre fiecles. Auffi faint Benoît n'a-t'il rien ordonné de semblable, quoyqu'il ait eu en même temps la conduite de plufieurs monafteres: chacun étoit gouverné par fon abbé, & chaque abbé avoit pour infpecteur fon évêque, qui étant fur le lieu étoit plus propre que tout autre à lui faire obferver la regle.

Can.

VII.

Le même concile de Latran en 1215. défendit d'inventer de nouvelles religions, c'eft-à-dire, de nouveaux ordres ou congregations: de peur, dit Multiplications le canon, que leur trop grande diverfité n'apporte de la confufion dans l'é- d'ordres religlife. Mais quiconque voudra entrer en religion, embraffera une de celles gieux. qui font approuvées. Cette défense étoit très-fage, & conforme à l'efprit Ne nimia extra de la plus pure antiquité. S. Bafile dans fes regles, demande s'il eft à pro-9. extra de relig. pos d'avoir en un même lieu deux communautez religieufes ; & il répond dom. que non. Il ne s'agiffoit pas de deux ordres differens, mais feulement de Reg. fuf. n. 3.6. deux maifons du même inftitut; & faint Bafile rend deux raifons de fa réponse négative; la premiere, qu'il eft difficile de trouver un bon fuperieur, & encore plus d'en trouver deux : la feconde, que la multiplication des monasteres est une fource de divifion. D'abord ce ne fera qu'une émulation.loüable à qui pratiquera mieux la regle: enfuite l'émulation fe tournera en jaloufie, en mépris, en averfion: on cherchera à fe décrier & fe nuire l'un à l'autre : telle eft la corruption de la nature. Les payens mêmes ont pris pour fondement de la politique, que la république fût unie autant qu'il feroit poffible, & qu'on éloignât d'entre les citoyens toute femence

de divifion. Combien doit-on plus travailler à en préferver l'églife de JE- Plat. Repub. lib. SUS-CHRIST, fondée fur l'union des cœurs, & la charité parfaite ? c'est un 5. p. 418, Gr. feul corps dont il eft le chef, & dont les membres doivent avoir une en

tiere correfpondance, & compâtir en tout les uns aux autres.

Or les divers ordres religieux font autant de corps, & comme autant de petites églises dans l'églife univerfelle. Il eft moralement impoffible qu'un ordre eftime autant un autre inftitut que le fien, & que l'amour propre ne pouffe pas chaque religieux à préferer l'inftitut qu'il a choifi, à fouhaiter à fa communauté plus de richelles & de réputation qu'à toute autre, & se dédommager ainfi de ce que la nature fouffre à ne poffeder rien en propre. Je laiffe à chaque religieux à s'examiner de bonne foi fur ce fujet. S'il n'y avoit qu'une fimple émulation de vertu, verroit-on des procès fur la préléance & les honneurs, & des difputes fi vives, pour fçavoir de quel ordre étoit un tel Saint, ou l'auteur d'un tel livre de pieté ? b ÿ

n. 48.

dians.

VIII.

Matth. x. 9.

Le concile de Latran avoit donc très-fagement défendu d'inftituer de nouvelles religions: mais fon decret a été fi mal obfervé, qu'il s'en est beaucoup plus établi depuis que dans tous les fiecles précedens. On s'en plaignit dès le concile de Lyon tenu foixante ans après: on y réitera la défenfe, & on fupprima quelques nouveaux ordres: mais la multiplication n'a pas laiffé de continuer & d'augmenter toujours depuis.

Si les inventeurs des nouveaux ordres n'étoient pas des faints canonifez Religieux man- pour la plûpart, on pourroit les foupçonner de s'être laiffez féduire à l'amour propre, & d'avoir voulu fe diftinguer & rafiner au-deffus des autres. Mais fans préjudice de leur fainteté, on peut fe défier de leurs lumieres, & craindre qu'ils n'ayent pas fçû tout ce qu'il eût été à propos qu'ils fçûffent. Saint François croyoit que fa regle n'étoit que l'Evangile tout pur, s'attachant particulierement à ces paroles: Ne poffedez ni or ni argent, ni fac pour voyager, ni chauffure, & le refte; & comme le Pape Innocent III. faifoit difficulté d'approuver cet inftitut fi nouveau, le cardinal de S. Paul, évêque de Sabine, lui dit: Si vous rejettez la demande de ce pauvre homHift. liv. LXXVI. me, prenez garde que vous ne rejettiez l'évangile. Mais ce bon cardinal, ni le faint lui-même, n'avoient pas affez confideré la fuite du texte. JESUSCHRIST envoyant prêcher fes douze apôtres, leur dit d'abord: Guériffez les malades, reffufcitez les morts, purifiez les lépreux, chaffez les demons, donnez gratis ce que vous avez reçû gratis. Puis il ajoûte: Ne poffedez ni or, ni argent, ni le refte. Il eft clair qu'il ne veut que les éloigner de l'avarice & du defir de mettre à profit le don des miracles, à quoi Judas n'auroit pas manqué; & que n'auroit-on point donné pour la réfurrection d'un mort? Le Sauveur ajoûte: L'ouvrier gagne bien fa nourriture. Comme s'il difoit: Ne craignez pas que rien vous manque, ni que ceux à qui vous rendrez la fanté ou la vie, vous laiffent mourir de faim. Voilà le vrai fens de ce paffage de l'évangile,

n. 54.

Mais il ne s'enfuivoit pas que l'on fût obligé à nourrir de bonnes gens, qui fans faire de miracles, ni donner des marques de miffion extraordinaire alloient par le monde prêcher la penitence, d'autant plus que les peuples pouvoient dire : Nous fommes affez chargez de la fubfiftance de nos pafteurs ordinaires à qui nous payons les dîmes & les autres redevances. Il faut donc attribuer aux vertus perfonnelles de faint François & de fes premiers difciples, la benediction que Dieu donna à leurs travaux: ce fut la récompenfe de leur zele ardent pour le falut des ames, de leur defintereffement parfait, de leur profonde humilité, de leur patience invincible. Ils vinrent à propos dans un fiecle très-corrompu pour ramener l'idée de la charité & de la fimplicité chrétienne, & pour suppléer au défaut des pafteurs ordinaires, la plupart ignorans & négligens, & plufieurs corrompus & fcandaleux.

papes

Il eût été, ce femble, plus utile à l'église que les évêques & les fe fuffent appliquez férieufement à réformer le clergé féculier, & le rétablir fur le pied des quatre premiers fiecles, fans appeller au secours ces troupes étrangeres; en forte qu'il n'y eût que deux genres de perfonnes confacrées à Dieu, des clercs deftinez à l'inftruction & à la conduite des

fidéles & parfaitement foumis aux évêques ; & des moines entierement féparez du monde, & appliquez uniquement à prier & travailler en filence. Au treiziéme fiecle l'idée de cette perfection étoit oubliée, & l'on étoit touché des défordres que l'on avoit devant les yeux : l'avarice du clergé, fon luxe, fa vie molle & voluptueuse, qui avoit auffi gagné les monafteres

rentez.

On crut donc qu'il falloit chercher le remede dans l'extrêmité oppofée, & renoncer à la poffeffion des biens temporels, non-feulement en particulier fuivant la regle de faint Benoît, fi fevere fur ce point; mais en commun, en forte que le monaftere n'eût aucun revenu fixe. C'étoit l'état des c. 33, moines d'Egypte; car quel revenu auroient-ils pû tirer des fables arides qu'ils habitoient? Or ceux à qui le revenu manque n'ont que deux moyens de fubfifter, le travail ou la mandicité. Il étoit impoffible aux moines de mandier dans des deferts où ils vivoient feuls: il falloit donc nécessairement travailler, & c'étoit le parti qu'ils avoient pris.

Mais les freres Mineurs & les autres nouveaux religieux du treiziéme fiecle choffirent la mandicité. Ils n'étoient pas moines, mais deftinez à converfer dans le monde, pour travailler à la conversion des pecheurs; ainsi ils ne manquoient pas de perfonnes de qui ils puffent efperer des aumônes; & d'ailleurs leur vie errante & la neceffité de préparer ce qu'ils devoient dire au peuple, ne leur paroiffoient pas compatibles avec le travail des mains. Enfin la mandicité leur fembloit plus humiliante, comme étant le dernier état de la focieté humaine, au-deffous des ouvriers, des gagne.deniers & des porte-fais. D'autant plus que ́jufques-là elle avoit été méprifée & rejettée par les plus faints religieux. Le venerable Guigues dans les conftitutions des Chartreux, traite d'odieuse la neceffité de quêter; & le concile de Paris en 1212. veut que l'on donne aux religieux qui voyagent de quoi fubfifter, pour ne les pas réduire à mandier à la honte de Teur ordre.

Il est vrai que faint François avoit ordonné le travail à fes difciples, ne leur permettant de mandier que comme la derniere reffource. Je veux travailler, dit-il, dans fon testament, & je veux fermement que tous les autres freres s'appliquent à quelque travail honnête; & que ceux qui ne fçavent pas travailler l'apprennent: que fi on ne nous paye pas, ayons recours à la table de notre Seigneur, demandant l'aumône de porte en porte. Il conclut son testament par une défense expresse de demander au pape aucun privilége, ni de donner aucune explication à fa regle. Mais l'efprit de chicane & de difpute qui regnoit alors, ne permettoit pas cette fimplicité.

Il n'y avoit pas quatre ans que le Saint homme étoit mort, quand les freres Mineurs affemblez au chapitre de 1230. obtinrent du Pape Gregoire IX. une bulle qui déclare qu'ils ne font point obligez à l'obfervation de fon teftament, & qui explique la regle en plufieurs articles. Ainfi le travail des mains fi recommandé dans l'écriture, & fi eftimé par les anciens moines, est devenu odieux; & la mandicité odieufe auparavant, eft devenue ho norable.

c. 7.0.

Hift. liv. LXVII.

n. 58.

C. 11.

Hift. liv. LxxvI.

n. 6.

Opufc. p.
Hift. liv. LXXIX.

n. 26.

n. 63.

1. Difc. n. 8.

J'avoue que le merite perfonnel des freres Mandians y a bien contribué. Ayant pris pour objet de leur inftitut la converfion des pecheurs, & en general l'inftruction des fidéles, ils regarderent l'étude comme un devoir capital, & y réüffirent mieux que la plupart des étudians de leur temps, parce qu'ils agiffoient par des intentions plus pures, ne cherchant que la gloire de Dieu & le falut du prochain: au lieu que les autres clercs ou moines étudioient fouvent pour parvenir aux benefices & aux dignitez ecclefiaftiques. C'eft ainfi que les freres Prêcheurs & les freres Mineurs, dès l'enfance de leurs ordres, se rendirent si considerables dans les Universitez naiffantes de Paris & de Boulogne, où l'on regarda comme des lumieres de leur fiecle, Albert le Grand, Alexandre de Alés, & enfuite S. Thomas & faint Bonaventure. Je n'examine point ici quelles étoient ces études dans le fond, je l'ai fait ailleurs, il fuffit que ces faints religieux y réüssiffoient mieux que les autres.

Leurs vertus en même temps les faifoient aimer & refpecter de tout le monde: la modeftie, l'amour de la pauvreté & de l'abjection, le zele de la propagation de la foi, qui les faifoit aller chez les infidéles chercher le martyre. De-là vient qu'ils furent fi-tôt chéris & favorisez par les papes, qui leur donnerent tant de privileges, par les princes & les rois: jufquesHift. liv. LXXXVI. là que faint Louis difoit, que s'il pouvoit fe partager en deux, il donneroit aux freres Prêcheurs la moitié de fa perfonne, & l'autre aux freres G. de Bello loco. Mineurs. Dès les commencemens on fit plufieurs évêques de l'un & de l'autre de ces ordres, & on en vit bien-tôt de cardinaux.

n. 6.

6. 12.

Les freres Prêcheurs au commencement n'étoient pas tant un nouvel ordre qu'une nouvelle congrégation de chanoines réguliers.. Auffi Jacques Hift. liv.LXXVIII. de Vitri, auteur du temps, les appelle chanoines de Boulogne.. Saint Do-minique, avant que de quitter l'Espagne, & penfer à la fondation de fon Hift. eccl. c. 27. ordre, étoit chanoine régulier dans la cathedrale d'Ofma; & la premiere Hift. liv. LXXVI. approbation de fon inftitut, le qualifie prieur de faint Romain à Toulouse,

n. 54..

n. 28. LXXVIII.

n. 5.. n.34

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& confirme à cette église la poffeffion de tous fes biens. Ce ne fut qu'au premier chapitre general tenu en 1220. que lui & fes confreres embraffe-rent la pauvreté entiere, renonçant aux fonds de terre & aux revenus affurez, à l'exemple des freres Mineurs ; ce qui les réduifit à être mandians comme eux. Mais ils pratiquerent la pauvreté plus fimplement & plus noblement ;, & je ne vois point chez eux de ces difputes frivoles fur la proprieté & le fimple ufage de fait, qui diviferent fi cruellement les freres Mineurs, & produifirent enfin l'herefie des Fraticelles.

Ce feroit ici le lieu de traiter à fond la matiere de la pauvreté évangePauvreté évan- lique, & nous ne pourrions en cette recherche fuivre de meilleur guide gelique. que faint Clement Alexandrin, inftruit par les difciples des apôtres. Il a Combf.auct.bibl. fait un traité fur cette question: Quel est le riche qui fera fauve, où il raiPP. p. 163. fonne ainfi. La richeffe eft de foi indifferente, comme la force & la beauté. du corps; ce font des inftrumens dont on peut ufer bien ou mal, & des efpeces de biens.. Les biens temporels, dont l'abondance fait la richeffe, font la matiere neceffaire de plufieurs bonnes œuvres commandées par JESUS-CHRIST ; s'il ordonnoit à tous les fidéles de les quitter, il fe contredi

roit; & en effet, il ne l'ordonna pas à Zachée, il trouva bon qu'il en gardât la moitié. Au contraire l'extrême pauvreté eft un mal en foi, plutôt qu'un bien: c'est un obftacle à la vertu, & une fource de plufieurs tentations violentes, d'injuftice, de corruption, d'impudence, de lâcheté, de découragement, de defefpoir; c'eft pourquoi l'écriture dit: Ne me donnez ni les richesses, ni la pauvreté.

Il ne faut donc pas prendre groffierement le précepte de vendre tous fes biens, non plus que celui de hair fon pere. Comment JESUS-CHRIST pourroit-il nous ordonner de le haïr pofitivement, lui qui nous commande d'aimer même nos ennemis? Il veut feulement nous faire entendre par cette expreffion fi forte, que nous ne devons pas préferer à Dieu les perfonnes qui nous font les plus chéres, mais les abandonner s'il est besoin, pour nous attacher à lui. Ainfi, en nous ordonnant de renoncer aux richeffes, il nous oblige feulement à combattre les paffions qu'elles excitent naturellement, l'orgueil, le mépris des pauvres, l'amour des plaifirs fenfuels, le defir de s'enrichir à l'infini, & les autres femblables. Un riche usant bien de ses richeffes, & toujours prêt à les perdre, comme Job fans murmurer, eft un veritable pauvre d'efprit. Telles font les maximes de ce grand docteur du fecond fiecle de l'église, bien au-dessus des sophismes de la scolastique moderne.

Luc x1x. 8.

Prov. xxx. 9.

n. 7.

X.

Laiffons les raifonnemens, & nous en tenons à l'experience. Trente ans après la mort de faint François, on remarquoit déja un relâchement con- Relâchement fiderable dans les Ordres mandians. Je ne rapporterai pas les plaintes de des religieux Matthieu Paris, ni de Pierre des Vignes au nom du clergé feculier, c'étoit mandians. les parties intereffées. Je me contenterai du témoignage de S. Bonaven- Hift. liv. LXXXII. ture, qui ne peut être fufpect. C'eft dans la lettre qu'il écrivit en 1257. "Hift. liv.LXXXIX. étant general de l'Ordre, à tous les provinciaux & les cuftodes. Il fe plaint. 43. de la multitude des affaires pour lefquelles ils demandoient de l'argent, de Opufc. tom. 2. p. l'oifiveté de quelques freres, de leur vie vagabonde, l'importunité à de- 352. mander, les grands bâtimens, l'avidité des fepultures & des testamens; chacun de ces articles merite quelques réflexions.

n. 45.

Les freres mandians, fous prétexte de charité, fe mêloient de toutes fortes d'affaires publiques & particulieres. Ils entroient dans le fecret des familles, & fe chargeoient de l'execution des teftamens. Ils acceptoient des députations pour négocier la paix entre les villes & les princes: les papes fur tout leur donnoient volontiers des commiffions, comme à des gens fans confequence, qui leur étoient entierement dévouez & qui voyageoient à peu de frais. Ils les employoient quelquefois à des levées de deniers. L'af- Hift. liv. LXXXIL faire qui les détournoit le plus, étoit l'Inquifition. Car quoiqu'elle ait pour but la confervation de la foi, l'exercice en eft femblable à celui des justices criminelles; informations, captures de criminels, prifons, tortures, condamnations, confifcations, peines infamantes ou pecuniaires, & fouvent corporelles par le miniftere du bras feculier. Il devoit paroître étrange, au moins dans les commencemens, de voir des religieux faifant profeffion de l'humilité la plus profonde, & de la pauvreté la plus exacte, tout d'un coup transformez en magiftrats, ayant des appariteurs & des

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